L’excellente revue Livr’arbitres présente un hors-série, De l’héritage à l’engagement – L’Europe de nos enfants (124 pages, 10 euros), rédigé à partir des actes du XIe Colloque annuel de l’Institut Iliade qui s’est tenu à Paris en avril dernier. Par-delà la perspective originale adoptée par chaque intervenant, les diverses contributions s’inscrivent dans un cadre général dont Polémia se propose de restituer la teneur.
Une longue mémoire
La connaissance des racines lointaines de notre civilisation permet « de comprendre en quoi l’Europe est à la fois un mythe et notre destin ». Après la « double guerre civile européenne » du XXe siècle, les Européens doivent prendre conscience de leur héritage commun, celui d’un temps où « les ancêtres des ancêtres de nos différentes populations parlaient tous la même langue, l’indo-européen, constituant ainsi un seul et même peuple » (Pierluigi Locchi).
Ses valeurs civilisationnelles sont le fruit d’une « rencontre apparemment impossible d’Athènes et de Jérusalem, de la religion et de la philosophie », via une approche dialectique où l’opposition des contraires aboutit à une « harmonie souveraine » telle qu’elle apparaît magnifiquement avec l’influence de Platon sur Saint Augustin et celle d’Aristote sur Saint Thomas d’Aquin (Olivier Battistini).
Pour autant, « l’emploi de la notion de “judéo-christianisme” semble procéder d’un raccourci contestable, impropre à définir l’essence de notre civilisation ». Sans évidemment nier l’immense apport chrétien et les influences extérieures, notamment orientales, il convient de se souvenir que « les sites de Stonehenge, du Parthénon ou du forum romain ont été érigés bien avant la conversion de l’Empire romain au christianisme » (Henri Levavasseur).
Depuis l’Antiquité, une tradition de liberté accompagne « toutes les valeurs et attitudes mentales qui vont de pair avec la recherche scientifique : honnêteté intellectuelle, sens de l’exactitude et de la preuve objective, goût d’apprendre, visée encyclopédique, rejet absolu de l’argument d’autorité ». Face à l’actuelle pression législative, judiciaire et médiatique qui instaure des vérités officielles et des délits d’opinion, « le premier axe de défense de la civilisation européenne doit être le rétablissement plein et entier de la liberté de pensée, d’opinion et d’expression » (Jean-Yves Le Gallou).
L’individualisme libéral déconstructionniste
Le creuset de la culture plurimillénaire des Européens était fondé sur un socle de communautés locales organiques. C’est à l’époque contemporaine, comme l’a observé le sociologue Ferdinand Tönnies, qu’ont émergé des sociétés dans lesquelles les hommes sont gouvernés par des relations d’intérêt encadrées essentiellement par des liens juridiques et économiques. Désormais, « rien n’interdit à la société de devenir demain mondiale. Les hommes et les femmes à force d’échanges en deviennent interchangeables et forment une humanité divisible en autant d’identités, de genres, de modes d’association qu’il existe de délires dans tout le fumier du cervelet humain ». Ce processus mortifère, porté par une idéologie individualiste libérale qui tend vers une société de marché pure et parfaite, doit être désigné comme « l’ennemi » des peuples, qui demeurent des sujets politiques ancrés « dans une terre et ses morts ». L’Histoire continue, cependant, et la « révolution conservatrice qui arrive » emportera « le vieux monde des marchands » (Pierre Gentillet).
Une nation telle que la Hongrie résiste avec succès afin de préserver son identité particulière « face au modèle unilatéralement imposé par un système capitaliste tardif qui broie les pays et déconstruit tout ce qu’il peut » (Ferenc Almássy).
De leur côté, les instances européennes mettent tout en œuvre pour favoriser « l’avènement d’un monde indifférencié réduit au seul horizon de l’homo economicus complété aujourd’hui par l’homo festivus ».
Dans les universités, des historiens déconstruisent les événements du passé dans la perspective des « valeurs démocratiques » et des « droits de l’Homme ». Sous couvert de lutte contre le racisme et « l’extrémisme violent », leur implication idéologique vise à en finir avec le « roman national » et à promouvoir le multiculturalisme et la question du genre (Philippe Conrad).
Ainsi, « l’Occident européen fait face à une attaque sans précédent contre les fondements de l’éducation traditionnelle ». L’élaboration d’un « programme européen conservateur et intelligent » sur la question éducative devient dès lors hautement souhaitable (Axelle Girard).
Le funeste Euroland
Le déclin européen est accentué par les coups de boutoir de « l’occidentalisme » promu par les États-Unis, dont l’action est bien relayée par « l’omniprésence délétère de l’Union européenne et de ses institutions non-démocratiques (…) toute entière au service des intérêts de l’oligarchie financière mondialisée » (Xavier Eman).
Loin de l’avènement tant vanté d’une « Europe puissance », « la construction européenne s’est rapidement attachée à intégrer ses pays membres dans une vaste zone de libre-échange atlantique ». Pour les États-Unis, une Europe fédérale constitue un « bloc plus facilement influençable » stratégiquement, politiquement et économiquement. Dans le même temps, en opposition à « la tradition des peuples du continent », une « gouvernance technicienne » a supplanté une « authentique démocratie représentative » au sein de l’Union européenne (Christophe Réveillard).
« Bruxelles ne reflète que l’abaissement des peuples européens » au profit de l’empire américain et au sein d’une « planète entière arraisonnée à la Forme-Capital, c’est à dire au système techno-marchand ». Les peuples européens se doivent donc d’employer leur énergie pour faire advenir la « forme impériale » d’un avenir commun (Thibaud Gibelin).
Le déclin de l’Occident
Le déclin de l’Europe dans les domaines économique, industriel, technologique, militaire, diplomatique, culturel, etc., est la conséquence directe de choix politiques désastreux de la part de ses dirigeants depuis les années 1980, accentués encore par « l’impasse bruxelloise ».
Au-delà de notre continent, le reste du monde porte un regard sévère sur un Occident arrogant, « qui a cru pouvoir proclamer la fin de l’Histoire à son profit » et dont « le centre de gravité se trouve dans les puissances anglo-saxonnes ». « Le fait majeur, et qui échappe à toute discussion, c’est que le monde extérieur ne veut pas de nos Lumières ni de ses avatars successifs, individualisme, nihilisme, wokisme, mondialisme et autres ».
L’Europe doit « retrouver son indépendance au milieu de ce naufrage qu’est l’Occident contemporain » (Lionel Rondouin).
Frontières, géopolitique, puissance… L’Europe par l’Institut Iliade
Le vrai projet européen
Tout en revendiquant une triple appartenance réunissant une Région, une Nation et l’Europe, il est essentiel de dépasser les chauvinismes nationaux et de « transmettre une européanité positive » alliant chaleur (sentiments) et froideur (arguments). C’est ainsi que pourra naître « une idée solidaire étendue à toute l’Europe » (Benedikt Kaiser).
Cette volonté de « redonner vie et vigueur à l’idée européenne » doit s’entendre dans le respect des particularismes et du principe de subsidiarité (Xavier Eman).
Afin de « retrouver l’innocence qui a toujours appartenu aux créateurs de nouvelles tables » tel que le préconisait Nietzsche, il est nécessaire de vaincre la tentation d’une référence constante à un passé « qui est comme une armure trop encombrante : belle à regarder, mais qui nous empêche de bouger » (Adriano Scianca).
« Il ne s’agit pas de retourner en arrière, dans un passé devenu peu à peu légendaire et muséifié afin d’y planter nos tentes, mais bien de plonger dans les trésors de notre longue mémoire, de se nourrir de ses riches enseignements afin d’y trouver l’immanence de l’homme européen. » La solidarité entre les peuples européens pourra advenir en privilégiant trois vertus majeures : l’humilité, la radicalité et le sens de la communauté (Marion du Faouët).
Depuis l’aube de la civilisation, animés par le sentiment du tragique et mus par l’horizon de la beauté, les Européens ont toujours su « réaliser l’impensable contre vents et marées » (Duarte Branquinho).
Selon les mots du philosophe Giorgio Locchi : « Si nous voulons parler d’Europe, nous devons planifier l’Europe, nous devons penser à l’Europe comme à quelque chose qui n’a jamais été, quelque chose dont le sens et l’identité restent à inventer. »
Johan Hardoy
27/05/2024
- Breizh-Info, acteur majeur de la réinfosphère - 25 novembre 2024
- Léon Daudet, le réactionnaire sensuel - 21 novembre 2024
- La diversité du monde expliquée à travers les structures familiales - 19 octobre 2024