Lors du XIe colloque de l’Institut Iliade, Jean-Yves Le Gallou, président de Polémia, a pris la parole afin de montrer que la civilisation européenne était fondée sur les libertés. Un discours évidemment d’actualité, alors même que l’anarcho-tyrannie de l’extrême centre macroniste s’amplifie chaque jour, menaçant plus que jamais les libertés individuelles.
Polémia
Je vais vous faire une confidence. Je vais vous raconter à quoi Romain et moi avons passé cette dernière semaine de préparation du colloque. Cette semaine, toutes les trois heures, nous sommes allés sur le site de la préfecture de police pour vérifier qu’il n’y figurait pas d’arrêté d’interdiction de notre colloque. Il n’y a pas eu d’interdiction de notre colloque et c’est heureux. Mais le simple fait que la question ait pu se poser, le simple fait qu’il ait pu être envisagé qu’un colloque intellectuel comme celui-ci soit interdit, montre l’ampleur des menaces qui pèsent sur les libertés françaises et les libertés européennes aujourd’hui. Cette interdiction potentielle est à mettre en perspective avec la vague d’interdictions bien réelle de manifestations, la vague de dissolutions, la vague de détentions arbitraires qui ont eu lieu au cours de la dernière année.
C’est aussi à mettre en perspective avec trois propositions de loi en cours de discussion au Parlement. Enfin, quand je dis en cours de discussion, j’exagère, puisqu’on s’achemine vers des votes à l’unanimité. Je vais vous les énumérer rapidement. Et puis nous rappellerons ce que sont les libertés européennes et en quoi elles peuvent nous inspirer aujourd’hui. D’abord, il y a un projet, un premier projet de loi, qui vise à compléter la loi Pleven par l’ajout d’un interdit supplémentaire, à savoir la discrimination capillaire. Je dois dire que ça me sidère un petit peu puisqu’il y a quatre ans j’avais prévu d’organiser le 1ᵉʳ avril 2020 une manifestation parodique précisément contre la discrimination capillaire. Mais ce qui était un « 1ᵉʳ avril » il y a quatre ans est une proposition de loi votée en première instance aujourd’hui. Certes, cela vise davantage à protéger les jeunes rastas noirs que les vieux hommes blancs chauves. Mais enfin, l’esprit des lois est là. Ça, c’est la première loi. La deuxième loi, c’est un nouveau dispositif qui crée un délit d’outrage en ligne pour tout ce qui porte atteinte à la dignité d’une personne et présente à son égard un « caractère injurieux, dégradant ou humiliant », ou crée une « situation intimidante, hostile ou offensante », c’est-à-dire une définition extrêmement large de ce nouveau délit pénal. Et puis il y a le sommet, déjà voté en première instance à l’Assemblée nationale, à l’unanimité : c’est la création d’un délit d’opinion privé. La correctionnalisation des propos privés, c’est-à-dire l’extension de l’ensemble du dispositif de la loi Pleven aux conversations privées – entre amis, en famille – qui est a été votée en première lecture à l’Assemblée nationale. C’est l’interdiction, la pénalisation, la criminalisation de la blagounette.
Certes, et ce n’est pas une consolation, il n’y a pas qu’en France qu’on connaît une telle évolution liberticide. En Écosse, J. K. Rowling, la mère d’Harry Potter, a expliqué qu’elle risquait sept ans de prison – oui, vous avez bien entendu, sept ans de prison – puisqu’elle refusait la loi faisant de la négation de la transidentité un délit. En Allemagne, la présidente du Bundestag a demandé à l’Office fédéral de protection de la Constitution, c’est-à-dire la police politique, de contrôler le choix de leurs assistants par les parlementaires de l’AfD, ce qui est la négation de la démocratie représentative. Dans le même temps, le gouvernement a engagé 400 procédures disciplinaires contre des policiers pour délit d’opinion identitaire. Je pourrais aussi citer la Pologne où on prévoit une loi contre les discours de haine dans le but de protéger la propagande LGBTQ X, Y, Z. Trois ans de prison ferme. Je pourrais citer la Belgique, les Pays-Bas. Partout en Europe, c’est la nuit qui tombe sur les libertés.
Alors, comment appelle-t-on un régime où la liberté d’expression est réprimée ? Comment appelle-t-on un régime où des interdits professionnels sont mis en place en fonction des opinions ? Comment appelle-t-on un régime qui abolit la distinction entre le domaine privé et le domaine public ? On appelle cela un régime totalitaire, ou, pour reprendre le titre du livre de l’essayiste Mathieu Bock-Côté, un « totalitarisme sans le goulag ». Alors comment faire face ? Comment réagir ? Eh bien, en retournant à la source des libertés européennes à l’aube grecque, de la pensée aux discussions de l’Académie, à la fondation de la rhétorique, c’est-à-dire à l’organisation de la libre confrontation des opinions et au développement de la disputatio. À l’origine de l’essor de la pensée européenne.
Voici ce qui est au cœur de la pensée européenne : en dehors des dogmes religieux, ne peut être dit vrai que ce qui peut être librement contesté. Je précise : la proposition A peut être dite vraie, mais uniquement si elle est confrontée à la proposition non A et qu’elle en sort victorieuse ou en tout cas et uniquement à cette condition. Je vais donner, au risque de choquer, un exemple concret. Je croirai personnellement à la thèse de l’origine anthropique du réchauffement climatique le jour où, dans la dizaine de disciplines qui concernent le climat, les recherches critiques sur la thèse officielle seront financées et publiées, autant financées et publiées que les recherches conformes à la doxa. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Un chercheur américain qui a publié un article dans la revue Science (à propos de l’origine des feux de forêts en Californie) a déclaré : « Je n’ai pu le publier que parce que j’ai biaisé les résultats. » Donc, en l’état actuel, on ne peut pas dire que la thèse du réchauffement d’origine anthropique soit scientifique. Ce n’est rien d’autre qu’un millénarisme, une hérésie millénariste. Et d’ailleurs, il y a dans les tuyaux la préparation d’un adjuvant à la loi Pleven visant à interdire le « déni climatique » (sic). C’est le retour de la « science officielle » comme à la belle époque du lyssenkisme, sous Staline. Alors il faut retrouver les libertés académiques, retrouver les libertés universitaires, retrouver les libertés publiques. Il y a 30 ans ou 40 ans, il aurait été impensable d’avoir à tenir un tel discours tellement ces exigences-là paraissaient évidentes.
Alors, continuons notre retour aux sources et revenons à la distinction entre le public et le privé. Le dictateur romain Sylla, précurseur d’Auguste, avait fait adopter une loi, une lex Cornelia, qui réprimait les violences et les injures au domicile. Mais il avait exclu des poursuites les membres de la famille et les proches parce que l’État n’avait pas à entrer dans le privé. L’État n’avait pas à entrer dans la maisonnée. Et cette loi a inspiré beaucoup d’autres lois successives aux différentes époques de l’histoire. Elle a contribué à fonder une distinction essentielle entre le domaine public et le domaine privé. Bref, il ne faut pas faire entrer l’État dans l’espace privé comme il est en train d’y entrer par la loi que j’ai évoquée, de criminalisation des propos privés. Comme il y entre aussi par l’intermédiaire de toute une série de réglementations sur ce qu’on peut ou doit faire à l’intérieur de son domicile pour respecter des normes de plus en plus nombreuses et tatillonnes. Quand on accepte cela, on va dans le sens du totalitarisme. Alors, il faut libérer le domicile et les relations à l’intérieur du domicile des contraintes de l’État.
Continuons d’aller aux sources. Eh bien, les sources, ce sont aussi les leçons du Moyen Âge. Pour le grand historien Fernand Braudel, du ve au xve siècle il y a un mot qui traverse toute la dynamique économique et sociale de l’Europe.
Ce mot, c’est les libertés. Pas la liberté, les libertés : liberté des villes, libertés universitaires (qui sont aujourd’hui en voie de disparition), liberté des corporations, liberté des terres, les alleux. Quand vous vous promenez en France, vous trouvez partout des bourgs, des lieux-dits qui s’appellent Les Allues, Les Alluets. Des toponymes qui renvoient à cette période d’émancipation des terres. Alors cette idée de liberté, c’est une idée de libertés au pluriel. C’est une idée très féconde pour faire face à la normalisation, au retour du jacobinisme contre les libertés locales et à la concurrence dans le domaine agricole des petites exploitations avec les latifundia. Les réglementations sont écrites et faites par les grosses unités, les multinationales en particulier. Il faut en dispenser les petites unités. Et, comme dans cette période finalement féconde (contrairement à ce qu’on a pu en raconter à certaines périodes) du Moyen Âge, cet âge des libertés, l’heure est aux franchises. Franchises pour les terroirs, franchises pour les communes, franchises pour les petites et moyennes entreprises, franchises pour les écoles.
Continuons d’aller aux sources avant de conclure. Aller aux sources, c’est aussi se rappeler l’histoire de la liberté de la presse. Toute la lutte du xixᵉ siècle en France et dans les pays voisins tourne autour de la lutte contre la censure qu’on appelait « Anastasie » avec ses ciseaux. Quand Polignac, ministre de Charles X, a voulu rétablir la censure par des ordonnances, il a déclenché la révolution de Juillet contre la censure. Mais la liberté de la presse a connu encore différents avatars. Sous la monarchie de Juillet, sous le Second Empire, sous les débuts de la Troisième République, il y eut régulièrement le retour de la censure. Il faut attendre la grande loi de 1881 pour fonder durablement la liberté de la presse. Son article 1 est simple et merveilleux. Il faudrait y revenir, voici son texte : « La presse et l’imprimerie sont libres. » C’est ce qui est resté la règle, en dehors des périodes de guerre, jusqu’en 1972. Année funeste où a été votée la loi Pleven, première étape d’un resserrement progressif puis d’une disparition des libertés. D’abord par l’extension progressive de son contenu en France, l’extension des incriminations – j’en ai cité quelques-unes – et par son imitation dans la quasi-totalité des pays européens. Face à l’extension permanente de nouveaux sujets de poursuites, il faut, là aussi, un choc de liberté. Aujourd’hui, l’Europe a besoin d’un double choc, d’un choc de liberté et d’un choc d’identité. Ces deux chocs sont liés car il n’y a pas d’identité européenne s’il n’y a pas de liberté européenne, et il n’y a pas de liberté européenne sans identité. Liberté et identité, c’est le combat central. Nous ne pouvons sauver l’un que si nous sauvons l’autre. Les deux sont liés. Nous devons retrouver les sources, les fondements des libertés européennes.
Jean-Yves Le Gallou
Discours prononcé le 06/04/2024 lors du XIe colloque de l’Institut Iliade
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