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« Afropéens » – Un métis face à la crise identitaire

« Afropéens » – Un métis face à la crise identitaire

par | 11 novembre 2021 | Politique

Par  Johan Hardoy ♦ Né dans les années 1980 d’une mère issue du prolétariat irlandais et d’un père acteur et chanteur afro-américain, Johny Pitts a grandi dans une banlieue ouvrière du nord de l’Angleterre et a publié en début d’année Afropéens (Éditions Massot, 550 pages, 24,90 euros). Avec ce livre, plongeon dans l’esprit d’un métis toujours habité par le ressentiment racial à l’égard des Européens.
Polémia

 

Un métis en quête d’identité

Son livre relate la recherche obstinée d’une communauté d’appartenance qui est rendue d’autant plus difficile que les cultures authentiques se diluent sous la pression de la globalisation capitaliste.

L’auteur pose les bases de son identité en se qualifiant de Noir, en référence à ses origines paternelles, bien qu’il n’ignore pas qu’un de ses ancêtres possédait des plantations et des esclaves en Caroline du Nord.

Ses voyages lui ont également révélé que son existence devait être vécue sur le continent européen et non sur les terres de ses ancêtres en Afrique de l’Ouest ou au lieu de naissance de son père à Brooklyn.

Johny Pitts se définit ainsi comme Afropéen. Ce concept, apparu dans les années 1990 dans les milieux de la musique et de la mode, ne désigne pas des immigrés africains de première génération mais des Noirs participant à l’identité européenne tout en s’écartant des stéréotypes médiatisés tels que le « nigga » du ghetto ou le « king » du rap ou du football.

L’auteur s’intéresse donc aux interactions entre les cultures noire et européenne sur notre continent, tout en souhaitant que son ouvrage puisse contribuer à l’avenir d’une future communauté afropéenne.

À la recherche de l’Europe noire

Ses pérégrinations l’amènent à interroger des Afropéens et des Africains pour connaître leur vie quotidienne dans diverses grandes villes européennes.

Il retourne préalablement sur les lieux de sa jeunesse à Sheffield. L’histoire de l’immigration dans cette ville est classique : après guerre, le gouvernement a fait appel à des sujets coloniaux pour combler ses besoins de main-d’œuvre à moindre coût, sans prévoir qu’il serait difficile de les expulser une fois leur mission accomplie.

L’auteur se souvient avec nostalgie de son quartier, « un endroit bon pour la racaille » mais où régnait un certain sens de la communauté sur fond de culture musicale hip-hop. Aujourd’hui, les rues lui paraissent désolées, d’autant que la créativité artistique populaire dans laquelle il a baigné a été aliénée par l’esprit mercantile. Il se surprend même à émettre quelques doutes sur l’évolution multiculturelle de la ville en constatant qu’un quartier voisin, jadis réservé aux communautés pakistanaise, jamaïcaine et yéménite, est désormais peuplé par de nombreux Roms venant de Slovaquie.

L’empreinte de la culture noire dans ces villes du nord de l’Angleterre est pourtant palpable comme l’atteste le nombre de jeunes Blancs qui se trémoussent au son de la musique afro-américaine.

Johny Pitts débarque ensuite à la Gare du Nord. La capitale française lui donne le sentiment d’être encore plus peuplée d’Africains qu’il ne l’avait remarquée lors de ses précédents séjours. Il intègre un groupe de touristes afro-américains dont l’objectif est de découvrir le « Paris noir » à travers des célébrités telles qu’Alexandre Dumas (dont la grand-mère était africaine), James Baldwin, Richard Wright (qui ont vécu à Neuilly-sur-Seine), Joséphine Baker, Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor, etc. Un des visiteurs remarque avec ravissement que personne ne le regarde de travers malgré sa couleur de peau. Un peu plus tard, le même juge pourtant avec mépris la population africaine du XVIIIe arrondissement, vêtue de façon trop « bariolée », très certainement dépourvue de papiers en règle et ruineuse pour le pays d’accueil.

Johny Pitts se rend ensuite sur les Champs-Élysées où il croise une manifestation de Noirs appartenant visiblement à une classe intellectuelle ou artistique. Ceux-ci protestent contre le parfumeur Jean-Paul Guerlain qui a tenu des propos désobligeants à l’égard des « Nègres ». En les observant, l’auteur ressent le dynamisme qui anime la diaspora noire en Europe.

Désireux de connaître la banlieue parisienne, il réside quelques jours à Clichy-sous-Bois. Cette ville, à la fois si proche et si lointaine de Paris, le déprime. Un travailleur social reconverti dans l’activisme communautaire lui explique avec dépit que seule la culture des Blancs est considérée comme française. En l’écoutant, Johny Pitts ressent néanmoins une certaine gêne devant ce qu’il qualifie « d’obsession » des militants noirs pour la situation aux États-Unis. Il estime quant à lui que le système capitaliste américain est à l’origine de la soumission de la communauté afro-américaine.

La suite de son voyage l’amène à Bruxelles, dans le quartier de Matongé, qui tire son nom d’un marché de Kinshasa, et au musée royal d’Afrique centrale de Tervuren. Ce dernier lieu lui fait horreur car l’histoire de la colonisation y est racontée par des Européens qui ont occulté l’exploitation et les souffrances des indigènes. Il découvre également Tintin au Congo en remarquant qu’Hergé n’est jamais allé dans ce pays et qu’il s’est manifestement inspiré de ce qu’il avait vu dans ce musée.

À Liège, il rencontre deux Anglais d’origine caribéenne, l’écrivain Caryl Phillips et le poète chanteur Linton Kwesi Johnson. Ceux-ci l’impressionnent par leur « sens de la communauté », une valeur oubliée par sa génération obsédée par la réussite individuelle.

Il séjourne ensuite à Amsterdam, où une Afro-Néerlandaise engagée au sein d’une ONG surinamienne lui explique leur volonté de rompre avec l’idée que l’histoire de la race noire se définit uniquement par son rapport à l’esclavage ou la traite.

À son arrivée à Berlin, il croise une manifestation de néo-nazis tout de noir vêtus. Renseignement pris, ce sont des antifas ! Plus tard, des Ghanéens installés depuis plusieurs années en Allemagne lui confient leur nostalgie du pays.

À Stockholm, il rencontre une jeune métisse de la classe moyenne, née de père suédois et de mère afro-cubaine, qui déplore que de nombreux jeunes immigrés refusent de perdre leur accent d’origine, ce qui les empêche de s’assimiler socialement. Selon elle, les Noirs sont obsédés par les questions raciales alors qu’ils auraient plutôt intérêt à travailler pour s’intégrer.

À Moscou, une jeune femme lui fait remarquer qu’il ressemble comme deux gouttes d’eau à Alexandre Pouchkine, héros national russe dont l’arrière-grand-père était un Africain.

Johny Pitts revient ensuite en France et s’arrête sur la Côte d’Azur pour voir la villa du dictateur zaïrois Mobutu, bénéficiaire corrompu du pillage des ressources naturelles de son pays et du détournement de l’aide internationale. Il visite également la dernière demeure de James Baldwin à Saint-Paul-de-Vence.

Finalement, après un détour à Lisbonne où il fait connaissance avec un métis dont le père blanc a dû fuir lors de l’indépendance du Mozambique, c’est à Marseille que l’auteur découvre son point d’ancrage. Charmé par la « bohème noire » d’une ville dont le port est ouvert sur la Méditerranée et l’Afrique du Nord tout en « tournant le dos à la France », il se dit qu’il a enfin découvert le seul lieu dans lequel son afropéanitude pourrait durablement trouver sens.

Un bricolage identitaire

Au terme de son périple, Johny Pitts tente de définir l’afropéanité comme « une sorte de bric-à-brac d’éléments propres à la négritude. »

C’est donc sur cette base qu’il propose de créer une communauté d’appartenance, tout en reconnaissant que les populations d’origine africaine subissent de nombreuses dissensions internes dont celles qui sont liées à la question religieuse ne sont pas les moindres.

Le Fardeau de l’homme blanc

Par-delà cette définition, il exprime à maintes reprises la conviction que l’exploitation de l’Afrique constitue une des causes majeures du niveau de prospérité atteint par la civilisation européenne.

Selon lui, même la Suède participe à cette oppression en vendant des armes puisque ce pays est le troisième exportateur mondial par habitant ! [NDRL : ces ventes représentent en fait moins de 1 % des exportations mondiales. En outre, même les partis de gauche et ONG suédois hostiles à ces transactions ne citent pas de pays africains parmi les acheteurs.]

Ici, nous sommes en terrain connu… Les Blancs n’auront jamais fini d’acquitter leur dette !

Johan Hardoy
11/11/2021

Johan Hardoy

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