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Les Frères musulmans, acteurs majeurs de l’islamisation de l’Europe

Les Frères musulmans, acteurs majeurs de l’islamisation de l’Europe

Par Johan Hardoy ♦ Florence Bergeaud-Blackler s’intéresse aux Frères musulmans dans son dernier livre, Le frérisme et ses réseaux, l’enquête (Éditions Odile Jacob, 400 pages, 24,90 euros). Celui-ci décrit en détail l’origine, la conception du monde et le mode d’action de cette confrérie, créée en 1928 en Égypte et très présente en Occident depuis les années 1960.
Le contenu de l’ouvrage a suscité la polémique et l’anthropologue a même reçu des menaces de mort qui ont justifié son placement sous protection policière. En mai dernier, sa conférence prévue à l’université de la Sorbonne a été annulée pour des « raisons de sécurité », avant d’être finalement reprogrammée le mois suivant en raison du scandale causé par cette mesure.

L’Europe, « terre d’islam »

Selon le préfacier Gilles Kepel, les Frères musulmans considèrent que notre continent est devenu « terre d’islam » depuis 1989, l’année de la chute du mur de Berlin et du bicentenaire de la Révolution, mais aussi celle de la fatwa de l’ayatollah Khomeini contre l’écrivain Salman Rushdie et de l’affaire du « voile islamique » au collège de Creil, dans l’Oise.

Dès lors, au-delà de la revendication de l’application de la charia à titre personnel, leur objectif vise à étendre l’islamisation du Vieux continent en fonction de son évolution démographique, en se référant au Prophète qui passa de la « phase de faiblesse » à la « phase de force » dans la ville de Médine.

[Cette stratégie de conquête amène un essayiste virulent comme René Marchand à préconiser l’interdiction de cette religion en Europe et son incompatibilité avec la nationalité française !]

Le « frérisme »

Florence Bergeaud-Blackler observe que les Frères musulmans sont animés par « un projet intellectuel, politico-religieux, visant l’instauration d’une société islamique mondiale ». Cette « dimension du plan » a longtemps échappé à de nombreux analystes en raison de leur représentation d’un monde sécularisé dans lequel la dimension prophétique de l’islam, alliant loi religieuse et prosélytisme, ne serait pas essentielle.

« En vertu d’une religion-loi, missionnaire et suprémaciste, les Frères se considèrent comme des élus ayant pour mission d’accomplir la prophétie califale. (…) Toute leur énergie est dévouée à cette tâche sur plusieurs générations, d’où leur force, leur résistance et leur résilience hors du commun. »

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Les Frères musulmans à l’œuvre

Le modèle égyptien de référence forme une structure pyramidale à sept niveaux comportant un guide suprême, un bureau d’orientation (seize membres), un conseil législatif (quatre-vingt-dix membres), un bureau administratif, des districts, des divisions (trente ou quarante membres), et, à la base, des « familles » (cinq à sept personnes).

Il existe cinq niveaux d’adhésion : sympathisant, supporter, associé, régulier (ce qui suppose une allégeance) et membre actif.

En Europe, la procédure est simplifiée, d’autant que les Frères considèrent les musulmans nés sur ce continent comme « particulièrement indociles ». De leur côté, « les jeunes convertis semblent acquérir plus rapidement du galon en raison du zèle qui les anime. La confrérie est très intéressée par ces profils de convertis qui lui ouvrent des portes dans les lieux de pouvoir où les immigrants sont peu présents, et qui les aident à comprendre et à traduire le fonctionnement des institutions ».

Lors de la formation des adeptes, l’accent est mis sur l’éducation fondée sur l’amour de Dieu, laquelle doit s’exercer sur les plans intellectuel, moral, spirituel, pratique et physique. Les Frères, qui ne sont pas extraits de leur environnement contrairement aux pratiques sectaires, doivent être des modèles pour leur famille et leur entourage.

Tout en veillant à rester dans le cadre de la loi, leur mode d’action privilégié consiste à « recruter des sympathisants tout en les “activant” in situ, dans leur milieu, afin qu’ils l’imprègnent de leur idéologie. Autrement dit, recruter des recruteurs ». « Les Frères musulmans procèdent de la même manière qu’en Égypte et dans les pays musulmans en revêtant les habits de la vertu, en combattant les discriminations, pour la défense des droits et des libertés. Ils organisent l’aide sociale, l’aide aux devoirs, l’éducation sportive, la réussite entrepreneuriale, etc. »

La stratégie de l’entrisme est également utilisée en vue d’infiltrer ou de cibler une personne déjà en place dans une association, un parti, une entreprise ou une salle de sport, par exemple.

De fait, « le frérisme utilise toutes les énergies (…) selon un principe binaire, en pourchassant l’illicite et en imposant le licite ».

Ce principe est néanmoins susceptible des plus grands accommodements en fonction des circonstances. « Les Frères, canal historique, qui sont plutôt sociologiquement des entrepreneurs citadins de classe moyenne, ont toujours combattu les idéologies de gauche », ce qui ne les a pas empêchés d’instrumentaliser ces dernières « en se portant du côté des altermondialistes, puis en appuyant le mouvement indigéniste et décolonial et ce que l’on appelle le wokisme ». Il est ainsi licite « de faire alliance avec des non-musulmans si une telle alliance peut apporter à l’Umma un bénéfice global plus important que l’inconvénient qu’il y a à s’allier avec eux ».

« L’une des personnalités les plus actives et influentes dans l’infiltration du mouvement altermondialiste à la fin des années 1990 » est le Suisse Tariq Ramadan, le petit-fils du fondateur de la Confrérie Hassan el-Banna.

Par ailleurs, « la notion de “l’islamophobie”, supposée imprégner le monde occidental, (…) est devenue un instrument commode pour faire entrer le frérisme dans les centres d’influence et de décision, abaisser les systèmes de défense (école, police, santé, armée, justice) au nom du combat supposément antiraciste ».

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L’implantation réussie de l’UOIF en France

En 1983, l’Union des organisations islamiques en France (UOIF) est déclarée sous la forme d’une association loi 1901. Ses membres, bien éduqués et habillés sobrement, rassurent d’autant plus leurs interlocuteurs qu’ils se disent déterminés à construire un islam indépendant des influences consulaires, notamment algérienne et marocaine.

Il ne faut qu’une dizaine d’années pour que se développe un maillage associatif du territoire français, comprenant des mosquées (Lille Sud, Bordeaux, La Courneuve, etc.) et de nombreux centres cultuels.

Dans la Nièvre, la commune de Saint-Léger-de-Fougeret accueille l’Institut européen des sciences humaines, financé par des banques islamiques et des donateurs, tandis que le congrès annuel du Bourget rassemble plusieurs dizaines de milliers de visiteurs.

En 1989, l’association devient l’Union des organisations islamiques de France [c’est nous qui soulignons], une nouvelle dénomination confirmant l’analyse de Gilles Kepel sur la France considérée désormais comme « terre d’islam ».

En 2003, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur en charge des cultes, habilite l’UOIF à devenir un interlocuteur de l’État au sein du Conseil français du culte musulman.

En 2017, l’association change de nom pour adopter celui de Musulmans de France.

***

Dans son livre, Frères musulmans – Le cercle restreint (Éditions Global Watch Analysis), l’islamologue italo-américain Lorenzo Vidino rappelle que, depuis les années 1990, le Qatar, soucieux de contester l’hégémonie saoudienne dans la péninsule Arabique, a « pris la décision stratégique et calculée d’utiliser la Confrérie comme un outil lui permettant de projeter une influence géopolitique dans le monde entier ». La chaîne nationale Al Jazeera médiatisait ainsi la parole du théologien et prédicateur Yûsuf al-Qarâdâwi, mort l’an dernier à Doha où il s’était installé.

Après leurs victoires éphémères en Égypte et en Tunisie à la suite des Printemps arabes, de nombreux Frères ont fui la répression du régime d’Abdel Fattah al-Sissi en se réfugiant en Occident, au Qatar ou en Turquie, un pays « devenu un foyer incontesté des Frères musulmans ». A contrario, les Émirats arabes les considèrent comme une menace subversive.

Aux États-Unis, le débat à leur sujet demeure très polarisé. Les Républicains ne ménagent pas leurs critiques tandis que les Démocrates rejettent très souvent les accusations portées à leur encontre, « même celles ayant fait l’objet de nombreuses études, en les qualifiant de mensonges grotesques dictés par l’islamophobie ».

[Cette divergence d’appréciation n’est pas sans conséquence sur la politique étrangère américaine – et sur des instances européennes vassalisées – tant il est manifeste que le Département d’État sous administration démocrate considère la Confrérie comme un acteur utile et acceptable dans le monde arabe…]

Johan Hardoy
19/07/2023

Johan Hardoy

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