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Le paradigme de la Quenelle ou La nouvelle guerre des représentations

Le paradigme de la Quenelle ou La nouvelle guerre des représentations

par | 18 janvier 2014 | Société

« L’antiracisme a servi d’idéologie de substitution et d’outil de division et de sidération de la droite. Tout cela est désormais bien connu ».

Derrière la « guerre de la quenelle » des enjeux capitaux se jouent : le contrôle des grandes représentations sociétales. Nous sortons d’une fiction : les méchants Blancs « racistes » contre la France black-blanc-beur. Dieudonné nous en propose une autre : tout le monde uni contre la « domination sioniste ». La fiction change mais l’écart avec le réel subsiste. Pour les Français, la vraie question reste la reconstruction de leur mémoire longue. Le point de vue du médiologue Didier Beauregard.
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Ne nous y trompons pas, sous l’apparente bouffonnerie du sujet – « la guerre de la quenelle » pourrait faire penser au titre d’un conte satirique burlesque – se joue un combat aux enjeux capitaux, qui seuls peuvent expliquer la violence de la confrontation à laquelle nous assistons.

L’ « antiracisme » socle de la suprématie culturelle et morale du pouvoir

Il en va de la maîtrise du pouvoir politique, c’est-à-dire du contrôle des grandes représentations sociétales qui façonnent les consciences collectives. Cet enjeu est vital pour le pouvoir de gauche et sa nébuleuse d’influence.

Depuis 30 ans maintenant, ce dernier a bâti un système de représentation dominant sur le thème de l’antiracisme qui forme le socle de sa suprématie culturelle et morale sur laquelle s’appuie sa domination politique : un système construit au début des années 1980 quand l’échec de l’expérience d’un socialisme à la française, sur la base du Programme commun de la gauche, menaçait d’emporter le pouvoir socialiste.

L’antiracisme a servi d’idéologie de substitution et d’outil de division et de sidération de la droite. Tout cela est désormais bien connu.

Ce système reposait sur un paradigme univoque : la France est menacée d’une gangrène raciste et toutes les minorités ethniques ou religieuses doivent être protégées des pulsions xénophobes d’une majorité effectivement ou potentiellement dangereuse. C’est le syndrome SOS Racisme, « Touche pas à mon pote ».

Cette construction simpliste et efficace a été massivement relayée par les outils de communication de masse d’un système bien tenu en main par les autorités politiques et morales de la gauche, les associations dites « antiracistes » et le show-biz en tête, et la sphère médiatique dominante.

Un des exemples les plus symptomatiques de ce système de représentation accusateur est celui du film La Haine, qui, au cœur des années 1990, scénarisa avec succès cette mythologie politico-sociétale.

Cette énième dénonciation du « racisme au quotidien » et de la violence policière contre les jeunes des banlieues était construite autour d’une scénographie identitaire, passait inaperçue à l’époque parce que jugée évidente, qui revêt désormais une dimension particulièrement parlante dans le cadre de l’affrontement exacerbé que nous vivons actuellement.

Une scénographie manichéenne du paysage ethnique de la France

Cette scénographie délimitait un paysage ethnique de la France qui départageait précisément les bons et les méchants : trois jeunes en déshérence, un Black, un Beur et un juif, confrontés à l’hostilité hargneuse de la France des petits Blancs ; flics racistes, skinheads et beaufs à moustache… Du Cabu ou du Plantu en images animées.

La construction s’affichait toujours avec ostentation, en juillet 2012, lors de la manifestation provoquée par les assassinats de Mohamed Mehra, pas encore identifié comme le tueur, quand SOS Racisme exhibait une banderole affirmant que « La France est le pays où l’on assassine les juifs, les Noirs et les Arabes ». Et ça, tout juste quelques mois avant le big bang de la quenelle alors que le phénomène Dieudonné était déjà bien identifié.

C’est encore et toujours cette vision qui anime l’esprit de la circulaire de Manuel Valls adressée aux préfets pour faire interdire les spectacles de Dieudonné et les manifestations qui porteraient atteinte à la dignité humaine des juifs, des musulmans ou des Noirs… sans même citer les chrétiens dont, entre autres choses, les lieux de culte sont statistiquement trois fois plus profanés que ceux des autres communautés ! Un tel oubli traduit une indifférence et un mépris qui ne se donnent même plus la peine de faire semblant, comme l’a montré l’impunité totale dont a bénéficié la profanation des Femen à l’église de la Madeleine.

La recomposition des cartes dans le domaine de la représentation

Et c’est bien ce système de représentation binaire, horizon indépassable de l’univers médiatique des trois dernières décennies et clé de voûte de la construction politique qui tient le Système en l’état, que la tornade Dieudo bouscule et menace.

Il fallait, en effet, que le pouvoir de gauche ait un irrépressible sentiment d’urgence pour déclencher une offensive politique d’une telle ampleur, au risque de se couper d’un électorat musulman qui lui est désormais indispensable et d’enflammer les banlieues alors que le gouvernement doit affronter une crise majeure de son image et de sa crédibilité.

L’idée de resserrer l’ensemble des forces de gauche derrière lui sur le thème d’une nouvelle croisade « antiraciste » semble peu convaincante face aux risques encourus.

Cette tornade frappe donc au cœur du pouvoir, car la redistribution des cartes dans le domaine des représentations ne peut qu’accompagner et activer une recomposition des rôles et des rapports de force dans la société réelle.

Dominante du « racisme blanc » ou dominante du « sionisme » ?

La dynamique Dieudonné substitue, à la représentation dominante du racisme blanc, celle de la « domination sioniste » qui suggère un nouveau front black-beur-blanc face aux « sionistes » et leurs alliés. On comprend alors le désarroi du président de l’UEJF, Sacha Reingewirtz, qui avoue « avoir peur de l’influence de Dieudonné ».

Ce chassé-croisé repose prioritairement sur la captation de la jeunesse des banlieues issues de l’immigration que les associations « antiracistes » considèrent comme leur fonds de commerce exclusif.

Le coup est rude et ouvre des perspectives inédites dans le champ politique. De fait, on peut être dérouté de voir une foule bigarrée de jeunes supporters de Dieudonné déclamant à tue-tête une Marseillaise martiale en agitant des drapeaux tricolores face aux jeunes de la LDJ qui viennent les défier à la sortie du Tribunal de Paris où comparaissait l’ancien partenaire d’Elie Semoun.

Ce nouveau paradigme annonce bel et bien la fin d’un cycle, celui de la domination sans partage de « l’antiracisme » de gauche comme système de déconstruction et de stigmatisation de l’identité française historique et de domination politique.

Et pourtant, tout cela était largement prévisible ; mieux encore : tout cela était inscrit dès les origines du mouvement « antiraciste » où les tensions entre les membres de l’UEJF et les représentants du PS d’un côté, et les jeunes leaders maghrébins de l’autre, étaient déjà manifestes.

En 1991, à l’occasion de la « Fêtes des potes » à Vincennes, les drapeaux israéliens avaient été abondamment conspués par la foule. En 1991, toujours, la première guerre du Golfe avait ranimé de vives tensions au sein de SOS Racisme sur la question du Moyen-Orient et la politique israélienne.

Dieudonné n’a fait qu’exploiter une brèche déjà ouverte dans le dispositif originel de l’idéologie « antiraciste » et il élargit cette brèche jusqu’au point de rupture.

Dieudonné, le Frankenstein de la gauche sociétale

Dieudonné est bien le Frankenstein qu’a fabriqué la gauche sociétale et son « antiracisme » communicationnel, le fils légitime et rebelle « d’Harlem Désir et de Christiane Taubira », pour reprendre la formule percutante d’Eric Zemmour.

Les phénomènes politiques et sociétaux qui marquent leur époque se traduisent toujours par un changement dans les systèmes de représentation dominants. C’est là que se joue une part essentielle du combat politique.

L’adéquation entre le réel et le système de représentation qui l’interprète n’est pas une condition indispensable ou nécessaire à la domination d’un ensemble de représentations idéologiquement orientées dans le même sens. Dans nos sociétés qui vivent à l’heure des mass-médias, la communication de masse – un terme plus élégant pour parler de propagande, tout simplement – peut construire des réalités fictives (plus ou moins) ou virtuelles capables de vivre de leur propre dynamique durant de longues périodes de temps.

La réalité, toutefois, finit par rattraper la fiction, car le principe de réalité, que nul ne peut abolir définitivement, petit à petit se venge. C’est la séquence à laquelle est aujourd’hui confrontée l’idéologie « antiraciste » à travers le phénomène Dieudonné qui agit comme un accélérateur dans le changement et le brouillage des représentations dominantes.

La nouvelle scénographie que celui-ci construit sur le mode de l’union de toutes les communautés contre la domination « sioniste » triche avec le réel, tout comme le modèle précédent du black, beur, juif et «progressiste » face au racisme blanc était une manipulation du réel, tout comme également est illusoire et simpliste la position de ceux qui en appellent à l’union des juifs, des chrétiens et des laïcs contre le danger de l’Islam.

Si ces représentations idéologiques intègrent bien le processus conflictuel de communautarisation que nous subissons désormais, elles simplifient grossièrement la problématique identitaire de la société française marquée par une dynamique de fragmentation qui interdit toute construction en termes de blocs monolithiques.

Le vrai problème, c’est la reconstruction de notre mémoire longue

Cette désintégration identitaire repose d’abord et avant tout sur la déconstruction de l’identité historique de la France et de son peuple, la mise à bas du roman national, qui reste le non-dit, l’impensé, et le tabou du débat national institutionnel, le cancer silencieux dont la souffrance doit se taire.

La reconstruction de la mémoire longue, seule garante de notre avenir en tant que nation vivante, reste le vrai combat à mener.

 Didier Beauregard
13/01/2014

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