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5 ans après les Gilets Jaunes – Jean-Yves Le Gallou : « C’est la France blanche qui souffre ! »

5 ans après les Gilets Jaunes – Jean-Yves Le Gallou : « C’est la France blanche qui souffre ! »

par | 17 novembre 2023 | Politique, Société

5 ans après les Gilets Jaunes – Jean-Yves Le Gallou : « C’est la France blanche qui souffre ! »

Le mouvement des Gilets Jaunes – le mouvement social et populaire le plus puissant de ces dernières décennies – a été lancé le 17 novembre 2018, il y a 5 ans tout pile. Polémia a publié de nombreux articles à ce sujet, que vous pouvez tous retrouver ici : https://www.polemia.com/mot-clef/gilets-jaunes/. Nous republions pour l’occasion un entretien accordé par Jean-Yves Le Gallou à l’hebdomadaire Minute quelques jours après le début de la révolte. Un entretien forcément daté mais toujours très intéressant dans lequel Jean-Yves Le Gallou saluait cette révolte de la France périphérique.
Polémia


« Cette marginalisation des Français de souche, personne ne voulait la voir »

Minute : Qui sont ces Gilets jaunes, sortis de nulle part ?

Jean-Yves Le Gallou : Les Gilets jaunes ? Permettez-moi de parler cru : c’est la France blanche, ce sont pour la plupart des Français d’origine européenne, qui habitent les périphéries des villes, ayant été chassés des hypercentres par les prix que l’on y pratique et des proches banlieues parce qu’elles sont devenues des quartiers immigrés. Alors les Gilets jaunes ont besoin de leur voiture pour travailler, pour aller faire leurs courses, pour amener leurs enfants à l’école. Et ils souffrent des mesures d’augmentation du gasoil, prises par un Gouvernement qui s’identifie à la clientèle des hypercentres villes, dans lesquels Emmanuel Macron, lors de la dernière Présidentielle, a fait des scores dignes de la Corée du nord, autour de 90 %. Ce que je vous explique là correspond aux développements, devenue classique aujourd’hui, du géographe Christophe Guilluy, inventeur de cette expression de France périphérique qui fait florès. Au début de ce processus, cette marginalisation des Français dits de souche dans leur propre pays, personne ne voulait la voir. Elle n’était pas conforme au Politiquement correct. Et pourtant elle était claire en Seine Saint-Denis par exemple, où le Front national, il y a trente ans, faisait ses plus gros scores. Aujourd’hui, cette population a quitté la Seine Saint Denis. C’est l’un des départements d’ailleurs où il y a eu le moins de blocage. Les actions des Gilets jaunes, on les trouve dans d’autres départements : de la petite couronne parisienne, en particulier la Seine et Marne, ou du grand bassin parisien, l’Yonne, l’Aube, l’Eure et Loir. La presse elle-même (Libé ou le Parisien) met en évidence cette fracture, quand elle montre presque exclusivement, pour ce week-end, des incidents entre automobilistes et manifestants au cours desquels, peut-être pour diaboliser les Gilets jaunes, on nous montre des immigrés qui refusent les barrages violemment. Les « Minorités » ont pris l’habitude d’être les seules entendues. Cette fois, avec les Gilets jaunes, de façon informelle, c’est la Majorité que l’on appelait silencieuse, qui prend la parole. D’après les chiffres du Ministère de l’Intérieur, qui n’a pas l’habitude de grossir les chiffres, cela donne 290 000 personnes dans la rue et près de 2000 barrages dans toute la France. Ce n’est pas un événement que l’on peut se contenter de minorer ou de culpabiliser dans les médias…

Européen d’abord : Jean-Yves Le Gallou appelle au Grand Ressourcement des Européens

Minute : Vous refusez la culpabilisation des Gilets jaunes. Mais pourtant ce qui est au cœur des manifestations, c’est bien le refus de l’impôt ? Ce n’est pas très citoyen ? On peut quand même les culpabiliser pour cela…

Jean-Yves Le Gallou : Les Gilets jaunes ne refusent pas l’impôt, ils le paient comme tout le monde. Précisément, ils refusent la hausse massive de l’impôt sur le diesel. Pendant des années, on a incité les familles et les artisans à choisir un moteur diesel, en proposant ce carburant moins cher à la pompe. Aujourd’hui il est dix centimes plus cher que l’essence et vraisemblablement cela ne fait que commencer : au nom d’impératifs écologiques, on incite ceux qui ont acheté une voiture diesel à s’en détourner. Pourquoi s’en prendre aux petits consommateurs ? Il y a un sentiment d’injustice. On taxe les voitures particulières dites les plus polluantes, mais pour les avions, pour les cargos super containers, le carburant n’est pas taxé. Vous me direz : il n’est pas taxable. Et c’est vrai que si la France prélevait ce genre de taxe, les avions atterriraient (ou feraient le plein) ailleurs. Il faudrait des mesures internationales, que l’on ne prendra jamais, parce que l’avion ou le cargo super containers constituent des instruments de la mondialisation…

Minute : Les médias font beaucoup état d’une diminution assez notable du prix du brut, qui est tombé de 80 à 65 dollars le baril. Une telle chute ne suffirait-elle pas à absorber la hausse des taxes ?

Jean-Yves Le Gallou : La baisse du prix du pétrole est très spéculative, un coup il baisse, un coup, il monte. Et ce qui coute le plus ce sont les taxes prélevées en France !

« Je suis convaincu qu’Emmanuel Macron aura du mal à aller au terme de son mandat »

Minute : Certains manifestants sont eux carrément dans le tout ou rien : ils revendiquent la démission du président. Est-ce possible ?

Jean-Yves Le Gallou : Je suis convaincu qu’Emmanuel Macron aura du mal à aller au terme de son mandat. A force d’exaspérer les Français comme ses partenaires internationaux, ce vilain garçon pourrait finir par être lâché par les soutiens qui l’ont fait élire (médias et finance). Et s’il parvient à finir ce sera en plus mauvais état encore que François Hollande. Vous savez, c’est la loi des présidents de la Vème République depuis le début : le suivant est toujours pire que le précédent, il n’y a pas eu d’exception. Mais les institutions le portent. Alors, pour en revenir aux Gilets jaunes, soit le mouvement finit par s’épuiser à l’usure, soit le gouvernement devra capituler sur le prix de l’essence. Je ne vois pas d’autres solutions. Les mesures techno – le chèque énergie, les encouragements sur le financement de véhicules électriques – tout cela est inaudible pour les manifestants. En tablant sur de tels remèdes, Macron et Edouard Philippe montrent juste ce qu’ils sont : des technos sélectionnés par le Bilderberg. Quant au mépris des médias pour les Gilets jaunes, il ne fait que mettre de l’huile sur le feu.

Macron : de l’itinérance mémorielle à l’errance présidentielle

Minute : Que dites-vous à ceux qui invoquent les nécessités de la transition écologique ? Plus précisément, que dites-vous de la manière dont nos gouvernants se réfèrent à l’urgence écologique pour justifier la hausse des carburants ?

Jean-Yves Le Gallou : Je pense qu’ils se moquent du monde. Leur discours est : je suis obligé d’augmenter le prix du pétrole pour sauver la Planète. A ce moment-là, il est urgent avant tout de limiter le commerce mondial et les effets écologiques pervers de la mondialisation. Voilà d’où vient la pollution ! Vous savez la France représente 1 % des rejets carbonés dans le monde. Et la pollution par les véhicules automobiles représente le dixième de ce 1 %. Autant dire que quelques centimes par litre à la pompe, cela a une incidence réelle sur le pouvoir d’achat des Français modestes qui travaillent. Cela n’a et n’aura aucune incidence ni sur les rejets carbonés ni sur le climat de la Planète…

« Le peuple se lève aussi, consciemment ou non, parce qu’il y a cette masse des banlieues sous perfusion »

Minute : Y a-t-il d’autres exemples d’un tel mouvement, spontanéiste et sans chef ?

Jean-Yves Le Gallou : Parmi les mouvements auxquels on peut penser, quand on parle des Gilets jaunes, vient immédiatement le mouvement des Bonnets rouges. Certes ce mouvement, sous la présidence de François Hollande, n’a pas la dimension nationale des Gilets jaunes. Il s’est développé surtout en Bretagne. Notons quand même qu’il a obtenu la fin de l’écotaxe non seulement en Bretagne mais partout en France. La mobilisation était locale, le résultat national. Autre précédent ? Il y a aussi le mouvement poujadiste bien sûr. Sur ce point on repère des constantes inattendues. Poujade avait, en Isère, un véritable fief électoral, et cette fois encore, à Pont de Beauvoisin à Voiron, à Grenoble aussi les Gilets jaunes ont été particulièrement nombreux. Cela dit, si on analyse la situation en termes d’opposition entre des classes sociales, et non pas simplement en termes de défense d’intérêts corporatifs, le présent mouvement est bien plus important que ne l’était le vote Poujade. Il ne s’agit pas seulement de défendre telle catégorie de la population (les commerçants pour Poujade) ou de crier au Tous pourris. Je crois qu’il y a eu peu de moments d’opposition aussi forte, parce que les privilégiés, l’hypercentre n’est plus relié avec les périphéries dans son Pays. Il se sent relié uniquement aux autres superclasses dans le monde. Si le peuple se lève aujourd’hui, c’est dans le sentiment diffus des craquements de la sociologie française actuelle, c’est aussi de façon plus ou moins consciente parce qu’il y a cette masse des banlieues sous perfusion financière et médiatique et que la classe moyenne a l’impression de payer pour tout le monde : les très riches ne paient pas l’impôt en France et le produit de l’impôt payé par les autres, bref les Français de base est déversé sur les banlieues de l’immigration. Dépenses sociales, de logement, de sécurité, de justice, d’enseignement, d’aides aux associations : c’est le tonneau des Danaïdes !

« L’absence de chef est aussi une force »

Minute : Le fait qu’il n’y a pas de chef apparaît comme une faiblesse pour les Gilets jaunes ?

Jean-Yves Le Gallou : L’absence de chef est très difficile à gérer non seulement pour les manifestants, certes, mais aussi pour le pouvoir, qui ne trouve pas de prise. Cette impression de panique que donnent les autorités, elle est due aussi au fait que les autorités civiles ne trouvent pas d’interlocuteurs et donc qu’ils ne peuvent pas exercer de pression pour calmer le mouvement. Il n’y a pas un syndicat des Gilets jaunes que l’on pourrait satisfaire en douce. Dans les manifestations elles-mêmes, personne ne déclare de regroupements. On ne peut pas faire pression sur les manifestants, leur indiquer qu’ils auront à changer de lieu de manifestation et exercer un contrôle sur les foules à travers un appareil policier qui sait exactement ce qu’il doit faire et un appareil judiciaire qui interviendrait si les conditions retenues au préalable avec les organisateurs n’étaient pas respectées. Officiellement, il n’y a pas d’organisateurs, il n’y a pas non plus de déclaration de manifestation. Ce sont les Réseaux sociaux qui tiennent lieu de puissance invitante : Rendez-vous à la Concorde. C’est ainsi qu’a émergé le projet « Tous à Paris », par la suggestion de simples internautes. L’absence de chef est donc aussi une force : le mouvement est diffus, spontané, donc difficile à réprimer. D’un autre côté la faiblesse est évidente : quel est le message ? Qui le porte ?

Marion Maréchal : « Le chef est avant tout celui qui fait grandir l’autre » [Entretien]

Minute : Croyez-vous à l’émergence d’un chef ?

Jean-Yves Le Gallou : Un chef pourrait émerger de trois manières me semble-t-il : s’il y a élection de représentants. Cela paraît long et difficile à organiser, mais c’est un peu l’histoire de l’émergence du mouvement italien Cinq étoiles, qui a fini par gagner sa légitimité par les urnes. Les élections européennes de 2019 pourraient servir de banc d’essai. Il y a deux autres moyens pour faire émerger un chef : on peut penser que le grand nombre de suivants (followers) sur Internet peut conférer une légitimité à tel individu. La pire des solutions serait la troisième : la sélection par les médias. En tout cas il est clair aujourd’hui qu’aucun parti politique, qu’aucun politique en place n’est capable de récupérer le mouvement.

Minute : Est-ce que tout de même Nicolas Dupont-Aignan ne joue pas les récupérateurs ?

Jean-Yves Le Gallou : Tous les partis politiques d’opposition aimeraient récupérer le mouvement. Il est vrai que Nicolas Dupont-Aignan apparaît comme le seul qui fait pleinement le job. Il a été plus réactif, il peut compter sur des troupes aguerries, qui se mêlent au mouvement et il est un peu moins clivant que Marine Le Pen, dont on sait par ailleurs qu’elle n’aime pas beaucoup aller dans la rue. Raison pour laquelle, en ce moment elle a l’air de dire « Oui » et « Non » en même temps.

« On peut s’attendre à tout, même au meilleur ! »

Minute : Que pensez-vous des derniers développements du Mouvement et en particulier de ce slogan qui se répand comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux : Tous à Paris le 24 novembre ? C’est une Révolution ?

Jean-Yves Le Gallou : Un petit peu. Les gens s’estiment victimes du pouvoir. Ils vont chercher à Paris ce pouvoir qui les a fait souffrir. On ne peut pas leur donner tort : c’est à Paris que se sont prises les décisions qu’ils contestent. Que va-t-il arriver ? Si l’on compare la futur Manif en gestation avec les mobilisations de la Manif pour tous, il y a une grande différence. La Manif pour tous était cornaquée par un ancien haut responsable militaire le général Dary, banané comme un maréchal soviétique. Il était convenu entre le pouvoir et les responsables de la Manif pour tous qu’il n’y aurait pas de descente des Champs Elysées. Quelques manifestants sont passés, mais c’est l’Organisation elle-même qui a empêché le déferlement des manifestants sur la Concorde et sur l’Elysée surtout. Cette fois, il n’y a aucun accord préalable avec la Police et d’ailleurs il n’y a personne pour conclure cet accord, comme je vous l’expliquais tout à l’heure. Autant dire que si les manifestants ont accès à la Place de la Concorde, comme ils le revendiquent sur les Réseaux sociaux, on entre dans une grande incertitude. On peut s’attendre à tout, même au meilleur !

Propos recueillis par Lionel Humbert
17/11/2023 – Entretien initialement publié en novembre 2018

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