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Hausse des demandes d’asile, faiblesse des expulsions… Le Sénat dénonce… mais reste mou !

Hausse des demandes d’asile, faiblesse des expulsions… Le Sénat dénonce… mais reste mou !

Par Paul Tormenen, juriste et spécialiste des questions migratoires ♦ Le 10 mai dernier, la commission des lois du sénat présentait un rapport d’information sur la gestion de l’immigration par les pouvoirs publics. Si ce document contient des constats parfois réalistes, les préconisations qui y figurent ne sont aucunement de nature à freiner l’immigration massive et croissante que connait la France. Cela est d’autant plus inquiétant qu’elles émanent de représentants des différents groupes politiques du sénat.
Après un premier article consacré au traitement par l’administration des demandes de titres de séjour et au contentieux des étrangers, ce second article aborde les demandes d’asile dans le contexte du droit communautaire et la politique de retour des étrangers en situation irrégulière.

Retrouvez la première partie de l’analyse de ce rapport du Séant par Paul Tormenen :

Immigration. Un rapport du sénat réaliste… et inquiétant !

Le traitement des demandes d’asile dans le contexte du droit communautaire

Constats :

  • La France est soumise depuis une dizaine d’années à une demande d’asile croissante, qui a atteint un niveau inédit en 2019 avec 132 826 demandes, alors qu’elles n’étaient qu’au nombre de 30 000 en 2007.
  • Pour les instruire, l’OFPRA a vu ses effectifs passer de 455 agents en Equivalent Temps Plein en 2012 à 1 003 à 2021. Le nombre de rapporteurs à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) a également augmenté. Ces renforts n’ont néanmoins pas permis d’instruire les demandes d’asile et les recours contre les décisions de refus dans le délai moyen souhaité.
  • Près d’un tiers des demandeurs d’asile sont placés en « procédure Dublin » au terme de leur passage en préfecture. Cette procédure fait porter sur un autre État membre de l’U.E. que la France la responsabilité d’examiner leur demande d’asile. Passé le délai de 6 mois, « la France redevient automatiquement responsable de l’examen de la demande d’asile de l’intéressé ».
  • Les procédures de transfert des migrants vers les pays responsables de cette instruction ont un taux d’échec très élevé. Ainsi, en 2019, sur les 44 623 demandeurs d’asile enregistrés sous « procédure Dublin », seuls 1 569 transferts ont été réalisés !  Les raison sont multiples : fréquents refus de réadmission des demandeurs d’asile par les pays de l’U.E. concernés, difficultés d’exécution de la décision (non coopération de l’étranger, recours, etc.).
  • Des demandeurs d’asile formulent des demandes successives dans plusieurs États membres. Les disparités importantes entre pays de l’U.E. en matière de taux de protection accordée les y encouragent. Les rapporteurs soulignent que « l’OFPRA est à ce jour relativement peu armé pour prendre en compte les précédentes demandes formulées par un demandeur dans un autre État membre ».

Préconisations du Sénat :

  • Le règlement « Dublin III » doit être remis à plat. Le principe de la responsabilité du pays de première entrée pour l’instruction des demandes d’asile doit être abandonné.
  • Une plus grande convergence des systèmes d’asile nationaux doit permettre un système de reconnaissance mutuelle des décisions de rejet prises en matière d’asile au sein de l’Union européenne.

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Commentaires :

  • S’agissant de l’abandon du principe de la responsabilité du pays de première entrée dans l’Union européenne, il est important de souligner que cette réforme est invariablement associée par ses promoteurs à l’obligation qui serait imposée aux pays européens de se répartir les clandestins arrivés aux frontières extérieures de l’U.E. Or, cette préconisation entérinerait encore un peu plus les circuits d’immigration clandestine. Elle n’est par ailleurs aucunement de nature à faire baisser le nombre de demandes d’asile déposées chaque année dans l’U.E., et en France en particulier.
  • La reconnaissance mutuelle entre pays de l’U.E. des décisions de rejet pourrait effectivement mettre fin aux demandes d’asile faites successivement par les mêmes demandeurs d’asile. De même, une plus grande convergence des systèmes d’asile nationaux permettrait de freiner le « benchmarking » opportuniste de certains migrants. Mais ces mesures sont loin de pouvoir réduire de façon drastique le nombre de demandes d’asile, qui progresse de façon exponentielle.

Ces préconisations ne sont pas une nouveauté. Elles sont promues depuis quelques années tant par la commission européenne que par le gouvernement français dans le cadre de la négociation du nouveau pacte européen sur l’asile et la migration. Or, force est de constater que celle-ci est en panne et n’a débouché sur aucune concrétisation, à l’exception de la création récente de l’agence européenne de l’asile (1).

La mission d’information sénatoriale a soigneusement écarté des mesures véritablement à même de réduire le nombre de demandes d’asile :

  • le strict contingentement du nombre d’octroi du statut de réfugié, en fonction notamment des capacités d’accueil et d’assimilation en France ;
  • l’obligation pour les requérants d’effectuer leur demande d’asile dans un pays extérieur à l’U.E., afin de limiter les demandes d’asile injustifiées et de ne pas à avoir à organiser l’éloignement des déboutés, très rarement effectif.

Ces deux mesures impliqueraient de changer le droit applicable dans un sens moins favorable aux migrants (droit communautaire, conventions internationales, constitution), ce qui, chacun l’a bien compris, ne figure pas dans les objectifs tant de la commission européenne que des rédacteurs de la mission d’information. Ceux-ci se limitent en effet à des préconisations de changements procéduraux, notamment en matière de titres de séjour.

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La politique de retour des étrangers en situation irrégulière

Constats :

Éléments de contexte : en 2021, 196 034 entrées irrégulières sur le sol européen ont été détectées, soit en hausse de 54 % par rapport à 2020. Outre les voies « traditionnelles » d’accès des clandestins au territoire européen, la mer méditerranée et la route, une nouvelle voie – aérienne – est apparue récemment via le transit sur le territoire chypriote. La pression migratoire aux frontières terrestres avec l’Italie et l’Espagne a fortement augmenté en 2021, se traduisant par un nombre record tant de non-admissions ( 124 777) que d’interpellations (120 898) d’étrangers en situation irrégulière.

  • Si le nombre de mesures d’éloignement est élevé en France (144 226 en 2021), le taux d’exécution s’est continuellement détérioré durant la dernière décennie, jusqu’à atteindre 5,7 % au premier semestre 2021.
    Le constat des rapporteurs est cinglant : « L’incohérence entre un nombre toujours plus élevé de mesures d’éloignement prononcées et l’absence de renforts humains et financiers pour les exécuter symbolise cette absence de ligne directrice ». Pour certaines nationalités, le taux d’éloignements effectifs est dérisoire (Maghreb, etc.).
  • Parmi un panel de pays européens (Danemark, Grèce, Espagne, Italie), la France a le taux d’éloignements le moins élevé par rapport aux mesures prononcées.
  • Le dispositif de rétention administrative, a des résultats incontestables sur l’effectivité des mesures d’éloignements. Ses capacités en France, 1 859 places en métropole et 227 en outre-mer, ne sont pas dimensionnées «  pour répondre à l’ampleur du besoin ».
  • Les procédures d’éloignement font fréquemment l’objet de recours. « Plus de 10 % des interruptions d’éloignement proviennent d’une décision défavorable du juge administratif ou judiciaire, avec un pic à plus de 17 % en 2019 ».

Préconisations du Sénat :

  • Le dialogue entre les services de l’Etat doit être facilité afin de faciliter l’identification des étrangers en situation irrégulière interpellés.
  • Le dispositif de rétention doit être renforcé et son usage davantage ciblé.
  • L’ensemble des moyens juridiques et matériels disponibles doit être mobilisé, notamment via l’assistance de Frontex.
  • Une approche européenne doit être recherchée pour sortir de l’impasse avec les pays tiers non coopératifs.
  • La montée en puissance du dispositif d’aide au retour par des moyens humains correspondants doit être « accompagnée ».

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Commentaires :

Les différents constats précédemment cités sont connus, archi-connus pourrait-on dire. On ne compte en effet plus les publications alertant le gouvernement sur la gestion calamiteuse des éloignements des étrangers en situation irrégulière : le rapport de la cour des comptes sur l’entrée, le séjour et le premier accueil des étrangers en France paru en mai 2020 (2), les chiffres clefs de l’immigration publiés chaque par le ministère de l’intérieur (3), les rapports annuels d’associations pro-migrants sur les centres de rétention administrative (4), etc..

La volonté politique du gouvernement français de faire respecter les règles de régularité du séjour sur le territoire apparait singulièrement absente. Il suffit pour s’en convaincre de comparer deux indicateurs :

  • Le nombre de places d’hébergement pour les demandeurs d’asile est passé de 55 000 en 2015 à 118 000 en 2021 (5).
  • Le nombre de places en centres de rétention administrative est passé de 1 069 en 2017 à 1 762 en 2021 (6).

Des moyens considérables sont donc mis en œuvre pour accueillir les migrants alors que ceux dédiés à l’éloignement des clandestins sont dérisoires. Dans ce domaine, nul « benchmarking » réalisé à grand frais par des cabinets conseils anglo-saxons afin d’identifier les « bonnes pratiques » qui permettent à d’autres pays européens d’être beaucoup plus efficaces dans leur politique d’éloignement des clandestins.

*******

Le rapport d’information de la commission des lois du sénat sur la question migratoire présente l’intérêt de pointer du doigt de nombreuses carences dans la gestion de l’immigration par les pouvoirs publics. Il met en lumière le secteur florissant du contentieux des étrangers, très souvent financé par le contribuable. Les préconisations des rapporteurs reflètent néanmoins une conception mécaniste de l’immigration, dont les flux ne seraient pas ou peu maitrisables. Charge reviendrait à l’administration de s’y adapter. Au fil des années, la représentation nationale multiplie les rapports et les constats les plus alarmants. La majorité présidentielle à l’assemblée nationale, ouvertement immigrationniste, se garde bien d’y apporter des réponses à la hauteur des enjeux. Les élections législatives prochaines seront la dernière possibilité avant plusieurs années d’infléchir les orientations qui prévalent actuellement.

Paul Tormenen
04/06/2022

(1) « Nouveau pacte sur la migration et l’asile: nouveau mandat, nouveau départ pour l’Agence de l’Union européenne pour l’asile ». Communiqué de presse de la commission européenne. 19 janvier 2022
(2) « Les dépenses pour l’immigration selon la Cour des comptes : toujours plus ! ». Polémia. 1er juin 2020
(3) Chiffres clefs de l’immigration. Ministère de l’intérieur
(4) « Immigration. Expulsion des étrangers en situation irrégulière : l’Etat français toujours aussi inefficace ». Breizh-info. 30 mars 2022. Rapport sur les centres et locaux de rétention administrative en 2021. Forum réfugiés-Cosi, France Terre d’Asile, Groupe SOS Solidarités, Assfam , La Cimade, et Solidarité Mayotte
(5) Rapport n°4524 sur le projet de loi de finances 2022. M. Laurent Saint Martin. Assemblée nationale. 7 octobre 2021
(6) Rapport sur les centres et locaux de rétention administrative en 2021. Forum réfugiés-Cosi, France Terre d’Asile, Groupe SOS Solidarités, Assfam , La Cimade, et Solidarité Mayotte

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