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Viktor Orbán et la guerre Russie-Ukraine : une position d’équilibriste guidée par l’intérêt national

Viktor Orbán et la guerre Russie-Ukraine : une position d’équilibriste guidée par l’intérêt national
Viktor Orbán et la guerre Russie-Ukraine : une position d’équilibriste guidée par l’intérêt national

Par Georges Le Breton, ancien haut fonctionnaire, analyste des questions internationales, géopolitiques et diplomatiques ♦ Quelle a été l’attitude de Viktor Orbán quant à la guerre entre la Russie et l’Ukraine ? Comment analyser ses prises de position ? Tour d’horizon très complet grâce à notre contributeur Georges Le Breton qui pose plusieurs questions essentielles en tentant d’y répondre de la meilleure manière possible.
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Viktor Orbán a condamné l’intervention russe en Ukraine mais sans s’engager autant que ses voisins. Comment interpréter cette position du Premier ministre hongrois ?

La présente contribution s’appuie notamment sur différentes prises de parole de Viktor Orbán (Premier ministre hongrois entre 1998 et 2002 puis sans interruption depuis 2010) et notamment les suivantes :

  • intervention à la conférence NatCon de Rome le 4 février 2020, plus de deux ans avant la guerre mais particulièrement instructive sur les fondements de la position hongroise aujourd’hui ;
  • déclaration à la presse lors de la conférence de presse internationale de fin d’année du gouvernement le 21 décembre 2022 ;
  • discours sur l’état de la nation le 18 février 2023 ;
  • intervention au CPAC Budapest le 4 mai 2023 ;
  • interview à la radio le 5 mai 2023.

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Depuis le début du conflit, la position hongroise a été globalement la suivante :

  • condamnation immédiate de l’intervention militaire russe sur le sol ukrainien en cohérence avec ses partenaires de l’OTAN (dont la Hongrie est membre depuis 1999) et de l’Union européenne (entrée de la Hongrie en 2004) ;
  • assistance humanitaire à l’Ukraine via l’accueil de réfugiés mais refus de toute implication militaire de la Hongrie, l’objectif fondamental de la Hongrie étant de rester en paix et de ne pas être entrainée dans la guerre de quelque manière que ce soit ;
  • soutien aux premiers trains de sanctions de l’Union européenne tant que ces sanctions n’avaient pas d’impact majeur sur l’économie hongroise et notamment son approvisionnement en énergie : la Hongrie a ensuite conditionné son soutien aux sanctions et embargos dans le domaine de l’énergie (gaz, pétrole et nucléaire) à l’obtention d’exemptions ; désormais la Hongrie est ouvertement critique sur des sanctions de l’UE qui qui abimeraient bien davantage l’économie européenne que celle de la Russie ;
  • position permanente en faveur de la paix via un cesser le feu immédiat et des négociations, tout en reconnaissant que la Hongrie n’a pas le poids géopolitique pour peser réellement dans cette direction.

Cette position adaptée aux circonstances exceptionnelles postérieures au 24 février 2022 vient de loin. Dès son discours de 2020 à Rome, Viktor Orbán indique que « les Hongrois comprennent que l’histoire et la politique sont des choses risquées » et donc que leur instinct fondamental est d’apprécier la stabilité. Rappelons également que Viktor Orbán avait refusé que la Hongrie fraichement entrée dans l’OTAN ne participe de quelque façon que ce soit à l’intervention militaire de l’OTAN au Kosovo et en Serbie en 1999.

Un sondage d’avril 2024 sur le conflit russo-ukrainien corrobore cette position :

  • 91 % des Hongrois sont favorables à des négociations et à un cessez-le-feu tandis que seulement 7 % pensent que le conflit armé devrait se poursuivre jusqu’à la défaite de Vladimir Poutine ;
  • 62 % des personnes interrogées pensent qu’aucune des parties ne sortira victorieuse du conflit de guerre ;
  • 7 Hongrois sur 10 pensent que les sanctions ont nui à l’Europe.

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Le discours de 2020 de Viktor Orbán évoque déjà la situation géopolitique « très difficile » de l’Ukraine qui ne partage pas la réussite économique de l’Europe centrale, qui est un pays et une nation très jeune et donc très fragile (à comparer avec les mille ans ou plus des nations hongroise, polonaise et tchèque). Viktor Orbán note que les Russes considèrent avoir besoin autour de leurs frontières de zones tampons sur lesquelles ils ont une certaine influence « que ce soit légitime au niveau international ou non » et que l’Ukraine constitue justement une telle zone. De tels propos ne sont pas sans rappeler les réflexions de l’universitaire américain John Mearsheimer tenant d’une approche géopolitique réaliste et selon lequel il est insupportable pour toute grande puissance (et donc la Russie, à côté des USA et de la Chine) d’avoir un risque sécuritaire à ses frontières.

La Hongrie, surtout celle de Viktor Orbán, porte le deuil du traité du Trianon de 1920 à l’issue duquel 30 % des Hongrois dans la définition de 1914 ne sont plus sous juridiction hongroise avec donc une attention toute particulière aux minorités magyarophones notamment en Serbie, Slovaquie et Ukraine. Les relations entre Hongrie et Ukraine sont ainsi compliquées par la présence en Ukraine de la minorité magyarophone vivant sur les territoires ex hongrois rattachés à l’Ukraine en 1945, le gouvernement hongrois s’étant opposé aux lois linguistiques ukrainiennes votées notamment depuis 2014 et ayant distribué à ces populations des passeports hongrois ce qui l’amène aujourd’hui à considérer que de nombreux citoyens hongrois meurent dans la guerre actuelle. Les relations entre les gouvernements hongrois et ukrainiens ne s’apaisent pas, la Hongrie venant très récemment de bloquer un financement européen de 500 millions d’euros en faveur d’achat d’armes par l’Ukraine tant que l’Ukraine ne retirera pas la banque hongroise OTP de sa liste noire.

Pratiquement quelles ont été les conséquences? Non livraison d’armes et poursuite du commerce ? À quel niveau ?

La position générale de la Hongrie a été présentée dans la question précédente. La Hongrie veut totalement échapper aux malheurs de la guerre.
Viktor Orbán considère que fournir des armes c’est être dans la guerre jusqu’aux chevilles, et qu’avec la formation des forces armées ukrainiennes on y est jusqu’à la taille et que « quiconque finance entièrement non seulement les dépenses militaires, mais aussi les coûts de fonctionnement de l’État de l’une des parties belligérantes – comme le fait actuellement l’Union européenne à hauteur de 18 milliards d’euros – est en guerre jusqu’au cou » (discours du 21 décembre 2022).

Un point de sensibilité majeur pour la Hongrie est l’achat d’énergie à la Russie, même si elle poursuit parallèlement une stratégie de diversification de ses approvisionnements, et le partenariat nucléaire avec la Russie puisque la Hongrie prévoit sur son site de Paks la construction par l’opérateur russe Rosatom de deux tranches supplémentaires.

Viktor Orbán a choqué en affirmant qu’il privilégiait l’intérêt national hongrois. Comment cela s’inscrit- il dans la longue histoire hongroise ?

Il y a probablement un lien fort entre la position de la Hongrie et son histoire où il s’’est agi longtemps pour le pays de maintenir la nation (et la langue) au milieu d’ensembles géopolitiques et linguistiques beaucoup plus grand. Le pays a d’ailleurs l’expérience de l’occupation par les Ottomans, les Allemands et les Soviétiques, ce qui semble conduire Viktor Orbán, qui ne manque pas une occasion pour rappeler le caractère modeste et enclavé de la Hongrie, à favoriser prudence et stabilité.

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S’agit il d’une rupture avec l’Union européenne et avec ses partenaires du groupe de Visegrad ?

S’agissant de l’Union européenne, un conflit maintenant ancien oppose les institutions européennes (Commission, Parlement, certains États membres, PPE) et la Hongrie.

Lors du CPAC Hungary 2023, tant Viktor Orbán que son ministre des affaires étrangères Péter Szijjártó ont d’ailleurs fortement critiqué « la politique étrangère progressiste » de l’UE ou des néo conservateurs américains, politique « qui mène toujours à la guerre, bouleverse les pays au nom de l’exportation de la démocratie, instrumente des révolutions de couleur qui se terminent dans le chaos, le désordre et la honte de pays abandonnés à leur sort ». Était particulièrement fortement critiquée la volonté allemande que les décisions de politique étrangère de l’Union européenne soient désormais prises à la majorité et non à l’unanimité, un chiffon rouge absolu pour le gouvernement hongrois.

S’agissant du groupe de Visegrad (Hongrie Pologne Slovaquie république tchèques) auquel Viktor Orbán tient fortement pour pallier la petite taille de son pays, la convergence ancienne sur les questions sociétales est clairement percutée par la position beaucoup offensive des autres membres sur le dossier ukrainien, en particulier la Pologne.

Cela signifie-t-il aussi que les autres pays ont jeté leur intérêt national aux orties ? Et pour qui ou quelles raisons ?

Il faudrait faire le tour des pays occidentaux. Il n’est pas du tout sûr que les États-Unis, puissance dominante du monde occidental, ou que l’Allemagne, puissance dominante d’Europe occidentale, ne mènent pas une politique conforme à leurs intérêts ou en tout cas à ce que la vision de leurs intérêts par leurs élites politiques.

La spécificité vient sans doute de la France. La regrettée Coralie Delaume avait expliqué dans son essai de 2018 que « le couple franco-allemand n’existe pas » et était au mieux une idéologie voire un fantasme des élites politico-administratives françaises sans aucune consistance de l’autre côté du Rhin.
Si l’on se limite aux prises du parole d’Emmanuel Macron ou du quai d’Orsay sur la guerre en Ukraine depuis un an, on ne peut que constater l’extraordinaire rareté de la mention des intérêts de la France dans leurs propos alors que les intérêts européens ou occidentaux sont évoqués à satiété.

Georges Le Breton
24/05/2023

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