Accueil | Politique | Pierre de Villiers, un général très politique… et utopiste

Pierre de Villiers, un général très politique… et utopiste

Pierre de Villiers, un général très politique… et utopiste

par | 15 décembre 2020 | Exclusivité Polémia, Politique, Société

Par Alain Lagayonne, officier ♦ L’agitation médiatique autour du Général de Villiers est très intéressante à analyser. Alain Lagayonne est un officier d’active servant depuis plusieurs années en cabinet et dans des états-majors. Il occupe des fonctions qui lui permettent de saisir le fonctionnement du ministère des armées et la personnalité du haut encadrement militaire. Voici son analyse précieuse sur une agitation politico-médiatique intriguante.
Polémia

 

Une carrière très politique

 

La fascination des Français pour les militaires quand les choses vont mal n’est pas nouvelle, elle n’est pas non plus totalement rationnelle. Les images d’ordre, de rigueur, de probité qui s’attachent à l’institution militaire[1] sont d’autant plus fortes que la confiance dans les autres institutions est faible. D’où cet engouement pour la figure du général de Villiers. Engouement un brin favorisé par quelques officines de communication d’influence ? Je ne saurais l’affirmer et je me garderais bien de désigner les commanditaires car ils sont probablement pluriels et peu miscibles : l’indécrottable droite filloniste comme les inventeurs et soutiers du macronisme[2]. Engouement né de la démission du général et entretenu par les livres rédigés pour répondre au besoin d’ordre et à l’inquiétude généralisée.

Mais qui est réellement le général de Villiers ? Est-il ce soldat durci au feu des combats, le seul opposant à Macron qui ait su dire non, ce chef pédagogue et rassembleur ?

Sa biographie nous aidera à cerner un peu la réalité qui se cache derrière l’uniforme. Cet uniforme dont la vertu est de fasciner l’ennemi, d’asseoir le prestige en société, d’effacer les particularismes, de galvaniser ceux qui le portent… La vie professionnelle du général de Villiers est emblématique d’une génération de transition entre les officiers qui ont effectué leur carrière pendant la guerre froide et ceux qui à présent bourlinguent d’opération extérieure en opération extérieure dans les guerres choisies par la France.

Son début de carrière est marqué par l’instruction et la formation. Tout d’abord auprès des appelés du contingent au cours de ses années de lieutenant et capitaine, expérience humainement riche et gratifiante qui a profondément marqué Pierre de Villiers. Mais également la formation de jeunes sous-officiers et officiers par la transmission de savoir technique et de tout ce qui fait l’âme du métier de soldat (fraternité d’armes, coutumes, goût de l’effort…). Cette jeunesse française qu’a côtoyée notre général est celle des années 1980… Quand bien même a-t-il toujours cherché le contact avec les soldats par la suite dans ses visites et inspections (et ceci est indéniable), il n’a plus eu d’échanges réels et approfondis avec la troupe depuis la fin des années 80.

Une seconde partie de carrière conduira Pierre de Villiers dans les hautes sphères politiques à partir de 2004. Quatre ans au cabinet du Premier ministre en tant que chef de cabinet adjoint puis chef de cabinet militaire sous Raffarin et Fillon. En 2010, le poste clé de chef d’état-major particulier du président de la République lui échappe au profit du général Puga dont les états de service sont probablement plus conformes aux besoins du poste. En lot de consolation, pendant près de quatre ans, il va occuper le poste méconnu mais essentiel de major général des armées ; poste essentiel dans le fonctionnement des armées qui oblige à de nombreux arbitrages entre les différentes armées, les grands services (RH du ministère, délégation de l’armement, secrétariat pour l’administration…) et le cabinet du ministre. Le général de Villiers va profiter de ce poste pour laver l’affront de 2010, préparer l’avenir et obtenir le poste très prestigieux de chef d’état-major des armées.

Entre ces deux grandes expériences qui marquent sa carrière, le général a connu deux expériences opérationnelles. Toutes deux dans le cadre très particulier des opérations de l’OTAN dont les caractéristiques sont la neutralisation des volontés nationales par l’application rigoureuse de procédures tactiques anglo-saxonnes, la priorité donnée à la technologie, le présupposé moral des guerres justes porté par un « narrative » qui est l’acmé de la propagande.

Première expérience en juin 1999 (alors qu’il commandait un régiment de chars Leclerc) dans la guerre contre la Serbie et l’invasion du Kosovo.

Seconde expérience en 2006 quand il assure le commandement multinational de la région de Kaboul en Afghanistan à une période où la situation commence à s’aggraver mais sans que l’armée française ne connaisse encore les difficultés qui débuteront réellement avec l’embuscade d’Uzbin (août 2008) jusqu’au retrait de nos troupes en 2012. C’est un commandement moins tourné vers la tactique que vers la gouvernance pour user d’un autre mot du jargon globaliste (faire cohabiter 15 nationalités, y compris au sein de l’état-major, n’est pas une sinécure et représente un objectif déjà ambitieux en soi).

Les années qui vont de 2004 à 2015 voient l’armée française confrontée à une incessante diminution de ses budgets, de ses moyens et de ses effectifs. Le général de Villiers, bon soldat, probablement pas de gaîté de cœur mais pragmatiquement, accompagne toutes ces décisions dont nous ne finissons pas de payer les conséquences. Il ne faut pas oublier que, sous la seule présidence de Nicolas Sarkozy, 54 000 postes ont été supprimés dans les armées… Lorsque François Hollande arrive au pouvoir, le général de Villiers étant à la tête des armées, les déflations se poursuivent et l’objectif fixé est la suppression de plus de 34 000 nouveaux postes… Au cours de cette période effroyable pour l’armée française (et donc pour la défense de la France !), le général n’a pas démissionné même si le bruit en a couru lors de quelques arbitrages délicats entre Bercy et Brienne[3]. C’était alors un peu une figure de style imposée, Bercy demandant sciemment à la défense l’impossible pour obtenir en fin de négociation ce qui était l’objectif initial après avoir usé les armées par des tractations épuisantes.

Mais en janvier 2015 a lieu l’attentat de Charlie Hebdo qui va stopper cette folie déflationniste et remettre les armées au cœur de la nation ; le général de Villiers n’y est pour rien.

Le Général de Villiers, nouveau “chief happiness officer” du management

 

Démission et « rapport complexe à l’argent »

 

L’année 2017 voit l’élection d’Emmanuel Macron dont la jeunesse, l’allant et la chance (un peu aidée…) fascinent la haute hiérarchie de Balard une fois digéré l’échec du candidat naturel qu’était Fillon. Les premiers gestes de Macron vers les armées lui gagnent très vite sympathie et confiance : visite aux blessés aux combats dans les tout premiers jours, déplacement au Mali à la rencontre des soldats de l’opération Barkhane… Il n’en faut pas davantage.

Au début de l’été, atteint par la limite d’âge, le général de Villiers est prolongé dans ses fonctions par décret présidentiel pour une année supplémentaire.

« Un président qui n’avait jamais fait de politique va croiser la route d’un général de la guerre froide qui n’a pas combattu[4]. » L’incident du 13 juillet qui pousse le général de Villiers à la démission est un coup de tonnerre au sein des armées, mais en réalité c’est un événement très parisien qui ne concerne que ceux qui maîtrisent un peu le fonctionnement des sphères de pouvoir du milieu de la défense et qu’a bien décrit Nathalie Guibert dans son ouvrage[5]. Le reste de l’armée va s’émouvoir par esprit de corps mais aucun enjeu majeur n’a pesé sur les armées à ce moment-là. Le général de Villiers a démissionné pour laver un affront personnel après qu’un jeune président, pour asseoir son autorité et peut-être mal conseillé (par qui ? ce serait intéressant de savoir…), a cru devoir faire un numéro de coq.

Quelques mois après sa démission, le général se fait recruter par le cabinet spécialisé en management Boston Consulting Group. Ses deux expériences au sein de l’OTAN expliquent probablement la facilité et l’intérêt qu’il y trouve. Mais plus qu’une inféodation supposée à des intérêts étrangers, il se dit dans certains cénacles que le général de Villiers a un rapport complexe à l’argent et que son départ précipité de l’institution militaire a provoqué chez lui une certaine fébrilité financière.

Vision fantasmée de l’identité et de l’assimilation

 

Ni le cabinet militaire du Premier ministre ni le poste de major général ne sont des postes immergés dans les opérations. Au sein des armées, les postes d’influence sur les opérations sont les postes de sous-chef opération au sein de l’état-major des armées, de chef d’état-major des armées et de chef d’état-major particulier du président. Le général de Villiers n’est donc pas à proprement parler un « guerrier », mais c’est avant tout un militaire qui, tant par facilité familiale que par détermination à mener carrière, a côtoyé de près le monde politique avec un mélange de fascination et de mépris qu’il exprimait volontiers auprès de ses proches collaborateurs avec un vocabulaire ordurier qui ne cessait pas d’étonner.

C’est un homme pour qui l’expérience professionnelle tient lieu d’idées. Travers très commun et fort répandu qui explique les banalités qui ponctuent les quelques ouvrages publiés[6].

Il est vraisemblablement convaincu que la manière dont on soudait un contingent de jeunes hommes dans les années 80 pour en faire des soldats pendant un an est transposable avec la jeunesse interlope de 2020. L’amalgame et l’incorporation de jeunes des banlieues dans les compagnies de combat fonctionnent aujourd’hui encore. Mais cette intégration n’est absolument pas exportable à l’échelon de la jeunesse française et en dehors du cadre restreint d’une armée professionnelle pour plusieurs raisons : il s’agit souvent de jeunes gens qui veulent échapper au déterminisme de leur origine, qui font une démarche personnelle et qui intègrent une structure bien établie, fortement identitaire et en relative bonne santé.

Si le général défend le plan Borloo sur les banlieues, c’est peut-être parce que les armées ont mis en œuvre un plan de valorisation du casernement pour favoriser la fidélisation des engagés volontaires. Il pense probablement qu’il suffit de faire chanter La Marseillaise pour faire aimer la France. Il croit que l’OTAN est notre meilleure amie parce que c’est sous son égide qu’il acquit son expérience opérationnelle. Et c’est fort de ses échanges biaisés avec ses homologues des pays contributeurs qu’il conçoit peut-être la diplomatie. À ce titre, l’extrait de son interview[7] donnée à Valeurs actuelles est déroutant !

Passionné de ballon rond (il y aurait certainement quelque chose à creuser dans cette affectation inconsciente pour ce sport populaire), il met pratiquement sur le même pied la victoire de l’équipe de France en 1998 et la victoire de Bouvines pour cimenter le récit national…

Le général de Villiers est certainement de ces officiers qui ne distinguent pas la France et la République et qui amalgament patrie et État. Cela vient insidieusement à force de saluer les dépouilles de soldats sous le drapeau bleu, blanc, rouge et de chanter La Marseillaise ; on ne peut pas trop leur en vouloir.

C’est un serviteur d’autant plus fidèle et sincère de la République qu’il a dû supporter au long de sa carrière les suspicions que faisaient peser sur ses épaules tant ses origines que la personnalité de son frère. Frère dont la carrière politique l’a autant servi que desservi.

Globalement, les solutions du général de Villiers sont des réponses de soldat pour des soldats. Elles démontrent que le général après 40 ans de loyaux services n’est pas capable d’envisager les choses à la hauteur de la complexité de l’heure et à la dimension du pays. À avoir exercé les hautes responsabilités qui furent les siennes dans le cadre des rouages complexes et sclérosés de l’appareil d’État de la Ve République, il est probablement incapable de concevoir les mesures audacieuses que l’heure réclame. Les militaires aiment à dire dans le sabir otanien qui les flatte : think out of the box ; mais ils en sont incapables la plupart du temps. Et c’est très normal. L’armée, pour fonctionner, a besoin d’une organisation extrêmement hiérarchique, elle doit s’assurer que des modes d’action simples et éprouvés sont partagés du haut en bas de l’échelle, que l’objectif et les moyens d’y parvenir fixés par le chef sont compris par le soldat. Le métier de soldat nécessite caractère, résolution, obéissance. Rarement originalité et indépendance d’esprit. La haute hiérarchie militaire possède de grandes compétences pour la gestion complexe du quotidien et des crises. Mais quand survient une guerre, cette haute hiérarchie n’est plus capable de faire face à la nouveauté et se trouve très vite supplantée par de plus jeunes officiers, plus libres et moins soumis à différents déterminismes, qui n’auraient probablement pas percé en temps de paix. Pour être juste, il faut également admettre que les fougueux chefs de guerre ne font que rarement de bons chefs en temps de paix… Les militaires n’ont, le plus souvent, pas le moindre sens politique ; je ne parle pas d’idées mais de compréhension des enjeux, des équilibres, des jeux de pouvoir de cet art bien particulier qui s’exerce au sommet de l’État.

Ne nous leurrons donc pas, le général de Villiers est, et restera, un général à la retraite.

Alain Lagayonne
15/12/2020

[1] Le « Baromètre de la confiance politique » du CEVIPOF mesure la confiance des Français dans les institutions depuis 2009. Les résultats de l’enquête d’avril 2020 font apparaître une confiance dans l’armée de 77 % contre 13 % pour les partis politiques.
[2] Mais existe-t-il réellement un macronisme ?
[3] Les médias ont rapporté fin mai 2014, au sujet d’un projet de baisse de budget de 1,5 à 2 milliards, la menace de démission des trois chefs d’état-major d’armée (terre, mer et air) avec la probable bénédiction du ministre Jean-Yves Le Drian et avec le ralliement à cette menace du général de Villiers, si l’on en croit une information du journaliste de défense généralement bien informé Jean-Dominique Merchet. https://www.leparisien.fr/politique/budget-de-la-defense-les-chefs-d-etats-majors-menacent-de-demissionner-23-05-2014-3864391.php
[4] Nathalie Guibert, Qui c’est le chef ?, Robert Laffont, 2018.
[5] Ibid.
[6] Cf. un article de Maxime Jacob du 1er décembre 2020 pour Polémia : « Le général de Villiers, l’eau tiède réinventée » https://www.polemia.com/le-general-de-villiers-leau-tiede-reinventee/
[7] « Pierre de Villiers : “Nous sommes assis sur un volcan” », Valeurs actuelles, 21 novembre 2020. On y lit notamment cet échange :
VA : L’élection de Joe Biden serait-elle susceptible de modifier les équilibres géopolitiques ?
GdV : Il est encore trop tôt pour le dire. L’élection de Joe Biden ne changera probablement pas quelques invariants de la politique américaine : le retour à une forme d’isolationnisme autour d’« America first » ; le désengagement des armées américaines pour ne plus être les « gendarmes du monde » […]. Ce qui pourrait changer est la qualité des échanges diplomatiques, plus conformes à la tradition des relations franco-américaines et moins tweeto-centrée […].

Crédit photo : Claude Truong-Ngoc [CC BY-SA 3.0]

 

Cet article vous a plu ?

Je fais un don

Soutenez Polémia, faites un don ! Chaque don vous ouvre le droit à une déduction fiscale de 66% du montant de votre don, profitez-en ! Pour les dons par chèque ou par virement, cliquez ici.

Voir aussi