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Macron : Plus que le choix des médias, le choix des réseaux de pouvoir [rediffusion]

Macron : Plus que le choix des médias, le choix des réseaux de pouvoir [rediffusion]

par | 25 avril 2017 | Politique

Première publication le 23/03/2017, rediffusion le 25/04/2017 – Par Benjamin Dormann, journaliste ♦ Sur son site internet, Emmanuel Macron scinde sa présentation personnelle en deux parties distinctes : d’une part, « la biographie officielle », « des choses que beaucoup savent déjà » (4 lignes sur l’ENA, la banque d’affaires et le secrétariat général adjoint de l’Elysée sous Hollande), et, d’autre part, sa bibliographie « plus intime », trois fois plus longue, qui s’étale sans retenue sur sa famille, ses parents, son épouse, ses beaux-enfants, ses 7 petits-enfants, sans oublier la grand-mère…


Il semble loin le temps où le ministre Emmanuel Macron regrettait sa photo de couple en Une de Paris Match, avec ce remords pudique mimant celui qui aurait tant aimé ne pas exposer sa vie privée : « Ce n’est pas une stratégie de com. Mon épouse, elle, ne connaît pas le système médiatique. Elle le regrette d’ailleurs profondément. C’est une bêtise, une bêtise qu’on a faite ensemble. Moi ce qui m’importe le plus, c’est mon couple. Mon couple, ma famille, c’est la chose à laquelle je tiens le plus ».

Depuis, la machine à « success-story-telling » s’est mise en place, à grand renfort de médias :

  • un livre, avec comme seul message en quatrième de couverture, une énorme photo de soi, sans un mot, symbole d’une « modestie modernité » (ce que ma copine de Perpignan appelle « mon cul sur la commode») ;
  • des articles et reportages élogieux jusqu’à plus soif sur toutes les chaînes, dont la fameuse scénette de théâtre adolescent, sous les yeux énamourés de sa professeur ;
  • un vocabulaire marketing : il ne crée pas un « parti » mais il lance un « mouvement » ; il n’a pas des militants mais des « marcheurs » ; pas de « responsables locaux» mais des « référents », …

et tout ce « cinéma » plein de charme et de contrôle, tout ce « divertissement », au sens Pascalien du terme, permet, comme d’habitude avec nos médias militants, de taire l’essentiel pendant cette campagne : Emmanuel Macron n’est pas le « nouveau candidat, inattendu, antisystème » que l’on nous vend à longueur de journée mais, au contraire, l’élu choisi de longue date pour nous par les principaux réseaux de décideurs français et internationaux.

Qu’il soit permis ici de rappeler 4 informations concernant l’un des champions du réseautage en France (cf. tableau en fin d’article) :

  • Emmanuel Macron est le seul Bilderberg politique français des 9 dernières années (depuis 2008 : Manuel Valls et Jean-Pierre Jouyet, son « parrain » politique) ;
  • Emmanuel Macron est Young Leader 2012 ;
  • Emmanuel Macron a été administrateur d’En Temps présent (bien que cette mention ait été retirée du site), actif dans la Fondation Jean Jaurès, puis étroitement lié aux Gracques membre de la Commission Attali…

Bref, il est le condensé de ce que le Système français produit inlassablement depuis des années en matière d’élitisme, d’entre soi et d’influence politique sans mandat électif.

Qui sont ces principaux réseaux de décideurs ? :

Les Bilderberg est le groupe de décideurs le plus puissant du monde, qui rassemble, une fois par an, environ 120 milliardaires, banquiers, hommes politiques, industriels, universitaires, hauts fonctionnaires, personnalités d’influence dans le monde du travail et journalistes. Ils se réunissent pendant un week-end, dans un hôtel ou un centre de villégiature quelque part en Amérique du Nord ou en Europe, afin de discuter en privé des affaires du monde. Les participants, présents uniquement sur invitation, le sont à titre privé et s’engagent à ne rien divulguer des discussions qui s’y tiennent, fussent-ils journalistes. Bref, un modèle de « démocratie moderne ». Pourquoi de telles réunions ? La réponse est donnée par l’Américain David Rockefeller, fondateur des Bilderberg : « Le monde est plus sophistiqué et est préparé à aller vers un gouvernement mondial. Une souveraineté, au-dessus des nations, d’une élite intellectuelle et des banquiers mondiaux est sûrement préférable à l’autodétermination nationale pratiquée pendant les siècles passés. »

Environ 110 personnalités françaises ont participé à ces « réflexions de gouvernement mondial » au cours des 35 dernières années, soit environ 3 nouveaux cooptés par an, sur une demi-douzaine de participants français par an. A gauche, seuls 14 politiques ont participé aux réunions Bilderberg en 35 ans, dont 5 premiers ministres (Bérégovoy, Fabius, Jospin, Rocard et Valls), et 3 ministres qui ont été en charge des finances (DSK, Sapin et Macron avant qu’il ne soit ministre). Une telle participation est-elle anodine ? Vide de sens ? Qui pose la moindre question au candidat Macron sur ce sujet ? Visiblement pas tous ces médias flattés de participer à ces réunions Bilderberg, et à cette « construction de gouvernement mondial » aux côtés des principaux hommes d’affaires mondiaux et des dirigeants politiques.

Il suffit de lire les pages de mon enquête Ils ont acheté la presse consacrées au rôle des Bilderberg dans l’élection de Herman von Rompuy comme premier président du Conseil européen pour comprendre qu’il est urgent de poser la question publiquement : qui élit qui, dans nos démocraties modernes ? La réponse nous est peut-être donnée par le milliardaire américain trumpiste Peter Thiel, fondateur de Paypal et actionnaire historique de Facebook, lors d’une récente visite à Paris rendue à Xavier Niel (propriétaire du Monde, du Nouvel Obs de Free, entre autres), puis à Emmanuel Macron candidat non encore déclaré : « Nous ne vivons pas en démocratie : ce n’est pas possible dans un monde technologiquement évolué ». Le service de communication d’Emmanuel Macron a interdit toute photo sur cette rencontre. Le souhait de discrétion dans ses fréquentations de milliardaires ? Surtout juste avant une période de levée de fonds pour une campagne présidentielle ? Impossible à dire, top secret.

Et pour nos pseudo- « journalistes d’investigation », amateurs obsessionnels de factures de costumes, de salaires d’attachés parlementaires et nos autres Sherlock Holmes de pacotille, qu’ils aillent plutôt prendre des leçons chez leurs confrères étrangers, détenus, molestés, ayant pour certains voire subi des attentats à leur intégrité physique, pour s’être intéressés de trop près aux réunions des Bilderberg, ou pour avoir naïvement demandé, lors d’une de ces réunions : « Combien coûte et qui a payé les deux avions de combat F-16 de surveillance, les hélicoptères qui font des rondes avec mitraillettes, les commandos de marine et la police mobilisée… » ? Au fait, qui a payé le déplacement privé d’Emmanuel Macron à sa réunion Bilderberg de 2014 ?

Inutile d’être plus long sur ce sujet, dans un pays ou la simple description de ce type de faits est aussitôt qualifiée de « populisme » et de «complotisme». Les Bilderberg, qui ont choisi Emmanuel Macron comme l’un des leurs – le seul homme politique français de gauche convié depuis 8 ans – ne sont en aucun cas des personnes qui complotent contre le pouvoir. Pas besoin de cela, et pour cause : ils sont le pouvoir.

Les Young Leaders de la FAF (French American Foundation)

Le programme «Young Leaders» a été créé en 1981 pour renforcer les liens entre la France et les Etats-Unis, en mettant en contact précocement « les jeunes talents », âgés de 30 à 40 ans, des deux côtés de l’Atlantique, détectés comme étant les futurs décideurs de ces deux pays. Une sorte d’élection primaire, aux mains de grands décideurs faisant office de grands électeurs. L’objectif de cette sélection prestigieuse (une quinzaine de Français par an, et autant d’Américains) est de créer et d’entretenir un réseau informel d’hommes et de femmes appelés à occuper des postes clefs dans l’un ou l’autre pays […]. A nouveau, comme chez les Bilderberg, on retrouve un mélange Hommes d’affaires-Médias-Politiques (limité à gauche et droite gouvernementale pour les politiques, les autres étant décrétés de fait illégitimes).

Sur la douzaine de socialistes « élus » sur les 30 dernières années, dans cette sélection extrêmement élitiste, on retrouve l’essentiel du gouvernement de Hollande (voir le tableau ci-dessous), influence dont le site américain de la FAF, à l’origine du programme Young Leaders, s’était vanté au lendemain de l’élection de François Hollande, tandis que le site français évitait soigneusement d’y faire la moindre allusion.

Nous retrouvons donc sans surprise notre fameux acteur de théâtre antisystème dans la promotion 2012 des Young Leaders, aux côtés d’autres jeunes talentueux parmi lesquels :

  • Fleur Pellerin, ministre déléguée d’Arnaud Montebourg, lui-même Young Leader 2000 ;
  • Stéphane Israël, son collègue, chef de cabinet d’Arnaud Montebourg ;
  • Alexandre Benais, associé gérant de la banque Lazard, devenu gérant du fonds de la famille Bettancourt ;
  • Nabil Wakim, chef du service politique du Monde. Rappelons que son patron Matthieu Pigasse, également Young Leader, est co-propriétaire du groupe Le Monde, ainsi que de l’Obs, du Huffington Post, des Inrockuptibles,… via notamment sa holding Nouvelles Éditions indépendantes. Un beau nom, pour un autre grand acteur, comme Emmanuel Macron parmi les plus grands cumulards d’appartenance à tous ces réseaux (cf. tableau ci-dessous).

N’allez surtout pas dire que cela crée des liens de proximité avec le candidat Macron, on vous suspecterait de verser dans le « complotisme » ! (rappelons au passage à nos journalistes incultes, qui abusent de ce mot à longueur de journée, qu’il s’agit là d’un barbarisme inventé pour discréditer les mal pensants).

Pour conclure sur ce chapitre Young Leaders, notons deux anecdotes :

  • La journaliste Audrey Pulvar n’a jamais assumé son statut de Young Leader 2009, dans les pas de son ex-conjoint Arnaud Montebourg, et a exigé que toute référence à ce sujet soit retirée de tout site internet ou de toute publication. Ah ! ce goût de l’information et de la transparence chez les journalistes indépendants, une qualité bien française…
  • Le président du jury de la promotion 2015 fut François Henrot, lui-même Young Leader. Ce nom ne vous dit rien ? C’est le patron de la banque Rothschild qui a embauché un certain Emmanuel Macron, jeune acteur de théâtre de province, comme chacun le sait, avant d’en faire un associé millionnaire en moins de trois ans. Comme dit Corneille : « Aux âmes bien nées la valeur n’attend point le nombre des années », en tout cas point pour les banquiers d’affaires.

Le 18 septembre 2015, le groupe de réflexion « En Temps Réel », le « think tank du débat progressiste », reçoit Emmanuel Macron. Selon le site d’En Temps Réel : « Emmanuel Macron est ministre sans étiquette de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique dans le gouvernement Manuel Valls ». Ministre sans étiquette, la bonne blague ! La première étiquette, que ce site aurait pu avoir l’honnêteté d’afficher est qu’Emmanuel Macron est un des leurs ; qu’il a été lui-même membre du conseil d’administration d’En Temps Réel présidé par son ami Stéphane Boujnah, copain de la Commission Attali (Boujnah était alors président de la banque Santander Global Banking en France, ex-conseiller de DSK au ministère des Finances, puis président de la Deutsche Bank en France, avant Santander. Il est aujourd’hui président d’Euronext : la fusion des trois bourses de Paris, Amsterdam et Bruxelles. Heureusement qu’il est encarté au PS et co-fondateur de SOS Racisme, sinon vous auriez pu le confondre avec un « ennemi de la finance », c’eût été un terrible malentendu).

Avec qui le Young Leader Emmanuel Macron choisit-il de s’associer dans ce think tank, lui l’amateur de société civile, d’ouverture et de diversité ? Le profil de ses 10 confrères de conseil d’administration d’En temps Réel parle de lui-même :

7 autres Young Leaders, essentiellement issus du gratin socialiste, presque tous également membres des Gracques et autres réseaux de réflexion et influence :

  • Stéphane Boujnah (déjà cité) ;
  • Julien Cantegreil, directeur juridique adjoint de Kering (ex PPR) ;
  • Nicolas Dufourcq, directeur général de la banque Bpi France ;
  • Gilles de Margerie, DG adjoint d’Humanis, après vingt années de carrière bancaire commencée à la banque Lazard ;
  • Catherine Sueur, inspectrice des Finances récemment nommée secrétaire générale des Hôpitaux de Paris ;
  • Olivier Nora, président du directoire des éditions Grasset et des éditions Fayard ;
  • Laurent Joffrin, directeur de la rédaction de Libération.

Plus 3 autres personnalités, également majoritairement membres des Gracques :

On le voit, un groupe très « divers », fortement teinté de parité (1 seule femme, 9%), aux opinions, origines et diplômes fort variés : ENA (dont un major), X Pont, Normale Sup, Science Po, HEC ou ESSEC, l’usage étant de cumuler au minimum deux de ces diplômes…, à l’image de son nouveau président, Jean-Jacques Barbéris (Normal Sup, Science Po, ENA), qui occupe la fonction de Global Head for Central Banks and Sovereign Wealth Funds chez Amundi Asset Management, après avoir été conseiller économique senior de François Hollande. Bref, un « pur ennemi de la finance » comme notre président les aime tant.

C’est lors de cette réunion du 18 septembre qu’Emmanuel Macron fera sa fameuse déclaration rapportée par la journaliste Ghislaine Ottenheimer : « Le statut des fonctionnaires n’est plus adapté au monde tel qu’il va » et « surtout plus justifiable ». Cette journaliste semblait avoir oublié le peu de goût de transparence d’En Temps Réel, dont la règle est de respecter la confidentialité des prises de parole, « off the record ». Dès la publication de ses propos sur le site de Challenges, En Temps réel a contacté un responsable de la rédaction – même pas l’auteur – pour exiger que l’article cesse immédiatement d’être en ligne. A un autre journaliste demandant confirmation du propos, le cabinet de Macron répondit alors : « Je ne vois pas de quoi vous parlez », avant de reconnaître par la suite, à propos de cet article en ligne : « L’article a été retiré. Il s’agissait d’une rencontre triple off. Je vous demande de ne pas le reprendre en conséquence. ». Preuve que la pratique du mensonge n’est peut-être pas autant le monopole du candidat Fillon que certains aiment à le matraquer.

Pour ce qui est du réseau de lobbying des Gracques (surnommé « Gracques 40 », allusion à une capacité à réunir des hommes de gauche défendant les intérêts des décideurs financiers, cf. l’enquête Ils ont acheté la presse, éditions Picollec), Emmanuel Macron y est aussi chez lui. Quand bien même certains Gracques ne confirment pas publiquement leur appartenance à ce groupe de pression (une fois encore fâché avec la transparence), notons que, lors de la réunion de ces « réformistes européens » tenue pendant leur université d’été en 2008, le rapporteur des débats est Emmanuel Macron, un jeune inspecteur des Finances, tout juste entré chez Rothschild. Il ne s’en éloignera plus guère. En 2015, il viendra faire la conclusion de l’université d’été, en qualité de ministre de l’Economie. Comme le confirment certains membres : « C’est un compagnon de route », « c’est un ami des Gracques », « on est quasiment tous partis pour soutenir cette candidature à titre individuel », « Beaucoup travaillent pour lui ». « Compagnon de route » ? Un terme bien choisi pour celui qui a repris la proposition de la page 212 du livre-manifeste des Gracques : « Développons donc le transport en autocar, avec des bus Greyhound à la française ». Une proposition modestement rebaptisée « les autocars Macron ».

Pour conclure, nous le voyons, l’élection d’Emmanuel Macron, annoncée chaque jour par des « sondeurs indépendants et objectifs » ressemble à un décret d’application d’une loi votée ailleurs, précédemment, en catimini, dans le dos de peuples sous-informés, manipulés par des médias devenus propriété de ceux défendant les mêmes intérêts et le même projet de société.

Certes, les médias sont manifestement partie prenante du « plan com » de la série à succès « En Marche vers l’Elysée », comme le montre la flagrante différence de traitement tant qualitative que quantitative entre le candidat adoubé et les autres. Mais comme on le voit ici, il ne s’agit pas d’une simple préférence ou sympathie. Les liens sont tissés de longue date, que ce soit tant au niveau de directeurs de rédaction que des propriétaires de médias (cf. tableau). Dans ce contexte, pas étonnant qu’Yves de Kerdrel (Bilderberg, Young Leader, Commission Attali, comme Emmanuel Macron), le directeur de la rédaction de Valeurs actuelles, se retrouve l’un des premiers adhérents du mouvement En marche !, avec la carte d’adhérent n° 007, bientôt rejoint par ses camarades communistes Robert Hue, Patrick Braouzec et le « progressiste » Pierre Bergé.

A tous ceux qui, effarés par ce qui précède, se demandent : mais comment faire pour qu’in fine le choix leur appartienne ? La réponse pour les démocrates reste inlassablement la même : voter autrement. Voter. Voter, même quand la tentation de s’abstenir devient si grande. Voter pour montrer qu’on ne Marche pas. Qu’on ne marche pas dans la combine.

Benjamin Dormann
19/03/2017

Correspondance Polémia – 23/03/2017

Image : Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, rejoint Emmanuel Macron

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