Le vice-président américain raconte sa jeunesse de « petit Blanc » du Midwest dans « J.D. Vance, une famille américaine — De la grande pauvreté aux ors de la Maison blanche » (Éditions Goble, 290 pages, 23 euros), préfacé par la journaliste Christine Ockrent.
Un milieu paupérisé
James Donald Vance (qui deviendra James David Hamel Vance lorsqu’il sera adopté par son beau-père) est né en 1984 dans une famille pauvre de la Rust Belt, la « ceinture de la rouille » qui désigne l’ancienne région industrielle s’étendant de Chicago à la côte atlantique, au nord-est des États-Unis. Il a été élevé par ses grands-parents à Middletown, une petite ville de l’Ohio.
Ses ascendants sont d’origines irlandaise et écossaise. « Chez ses gens-là, la pauvreté est une tradition familiale. Leurs ancêtres étaient des journaliers dans l’économie du Sud esclavagiste, puis des métayers, des mineurs et, plus récemment, des machinistes et des ouvriers de l’industrie sidérurgique. Là où les Américains voient des hillbillies [“péquenots”], des rednecks [“ploucs”] ou des white trash [“raclures blanches”], je vois mes voisins, mes amis, ma famille. »
Sa grand-mère, qui l’a profondément marqué, venait d’une lignée d’ancêtres « où l’on préférait ouvrir le feu plutôt que de discuter ». Un recruteur des marines lui dira : « Tes futurs instructeurs sont des sales types, mais rien à voir avec ta sacrée grand-mère. »
Ses grands-parents croyaient avec ferveur au « rêve américain ». En travaillant dur, ces immigrants venus du Kentucky ont peu à peu comblé leur retard, en termes de revenus, sur la population originaire de l’Ohio.
Dès l’enfance, il a été poussé à entreprendre des études alors que personne dans sa famille n’avait jamais fréquenté l’université. Sa grand-mère l’a encouragé à lire, tandis que son grand-père l’a aidé à résoudre des problèmes de mathématiques.
Une mère problématique
« J’étais le fils d’un homme qui m’avait abandonné et que je connaissais à peine, et d’une femme que j’aurais préféré ne pas connaître. »
À dix-huit ans, après avoir été une élève prometteuse, sa mère a interrompu sa scolarité et s’est mariée parce qu’elle était enceinte d’une fille. Après un divorce rapide, elle a connu le père biologique de J.D. Vance puis s’est remariée avec un autre homme, un « foutu débile sans dents » selon la grand-mère.
Devenue infirmière, elle a repris la garde de ses deux enfants (assurée jusque-là par les grands-parents), mais les fréquentes disputes au sein du couple dégénéraient en insultes et en violences. De plus, les dettes s’accumulaient à cause d’achats d’objets inutiles.
Après avoir trompé son mari et tenté de se suicider, sa mère a finalement divorcé avant de « collectionner les aventures en passant d’un homme à l’autre » tout en abusant de l’alcool.
« Mes notes se mirent à baisser. […] Je me mis à prendre du poids et, à la fin de l’école primaire, j’étais franchement dodu. J’étais souvent malade, je me plaignais de violentes douleurs à l’estomac. […] Rien que d’y penser aujourd’hui me rend nerveux. »
Un jour, une remarque de son fils a rendu sa mère furieuse pendant qu’elle conduisait. Après avoir accéléré subitement dans l’intention de causer un accident mortel, elle s’est arrêtée sur le bas-côté. Pour échapper aux coups, l’enfant s’est enfui à travers champs et s’est réfugié dans une maison située en pleine campagne. La propriétaire a appelé la police, qui a interpellé sa mère malgré sa résistance.
Le jeune garçon est donc revenu vivre chez ses grands-parents. Lors du procès de sa mère pour violences domestiques, il a minimisé les faits pour lui éviter l’emprisonnement. Par la suite, elle est devenue toxicomane et a dû suivre une cure de désintoxication de plusieurs mois.
En grandissant, J.D. Vance s’est rapproché quelque temps de son père biologique. Celui-ci s’était converti à l’évangélisme. « Le revers de cette théologie, c’est qu’elle encourageait un certain rejet du monde extérieur. […] L’évolution et le Big Bang devinrent des idéologies à combattre, pas des théories à étudier. »
Engagé dans les marines
« Je ne le savais pas, mais je n’étais pas loin du point de rupture. Je faillis redoubler ma seconde. » Fortement motivé par sa grand-mère, il intègre quand même une classe de mathématiques, tout en travaillant comme caissier dans une supérette.
« Toutes les deux semaines, je touchais un petit chèque et j’examinais la ligne qui montrait ce que l’État me prenait comme impôts et taxes. Dans le même temps, notre voisin drogué se payait des steaks que j’étais trop pauvre pour m’acheter, moi, et qu’Oncle Sam m’obligeait à offrir à quelqu’un d’autre grâce aux retenues sur mon salaire. »
Suite au conseil avisé d’une cousine et malgré les fortes réticences de sa grand-mère qui l’élève seule depuis la mort de son mari, J.D. Vance, qui n’est alors qu’« un gamin un peu rondouillard aux cheveux longs », s’engage pour quatre ans dans les marines au moment de la Seconde Guerre du Golfe.
Durant ses classes, il perd vingt kilos et découvre « le pouvoir de la volonté ». Quatre années dans l’armée, avec des missions en Irak et à Haïti, l’amènent à progresser énormément en termes de maturité et de confiance en lui.
Admis à la Yale Law School !
À l’issue de son engagement, il s’inscrit en droit à l’université d’Ohio State tout en effectuant « divers petits boulots », le financement des études par l’armée ne couvrant qu’une partie des frais de scolarité.
Il postule ensuite pour l’université de Yale qui accepte sa candidature. Issu d’un milieu modeste, sa première année de scolarité est quasiment prise en charge : « Pour la première fois, être fauché payait. »
Une fois admis, le jeune homme se demande s’il est bien à sa place dans cette prestigieuse université, au milieu d’étudiants quasiment tous issus de classes sociales supérieures dont il ignore les codes culturels.
Il comprend rapidement qu’il doit acquérir un « capital social » : « À Yale, tisser son réseau est comme respirer, un geste si constant qu’on le fait malgré soi. »
Il rencontre également une étudiante, Usha, qui deviendra son épouse.
Réflexions sur l’Amérique profonde
L’auteur se souvient que les enfants de son âge disaient en plaisantant que leur ville natale, Middletown, située entre Cincinnati et Dayton, « était si ordinaire qu’on n’avait même pas fait l’effort de lui trouver un nom ».
« D’un point de vue socio-économique, c’est d’abord une ville ouvrière. D’un point de vue racial, il y a les Blancs et les Noirs (au terme d’une migration analogue), mais guère d’autres ethnies. Et, d’un point de vue culturel, c’est une ville conservatrice, même si ça ne se traduit pas complètement sur le plan politique.
« Si, à l’époque où je suis né, Middletown avait encore peu changé, les choses n’allaient pas tarder à se gâter. Même pour les habitants, il n’est pas si facile de déterminer à quel moment la transformation a débuté, car celle-ci fut progressive. » L’usine sidérurgique Armco Kawasaki, qui a périclité, employait des milliers d’habitants et finançait des écoles, des infrastructures et des jardins publics.
De nos jours, « rares sont les commerces de Middletown qui se portent bien, et beaucoup ont carrément mis la clef sous la porte. » La ville est devenue « un endroit où on trouve surtout des prêteurs sur gages et des boutiques qui achètent de l’or ». L’avenue principale — « un endroit à éviter après la tombée de la nuit » — est le lieu de rencontre des toxicomanes et des dealers.
Les familles accentuent souvent elles-mêmes leur pauvreté par des dépenses inconsidérées plutôt que d’investir ou de payer les études des enfants : « Chez les hillbillies, l’épargne n’est pas notre hobby préféré. Nous dépensons pour avoir l’air riches ». « Nous savons que nous ne devrions pas tout claquer ainsi. Nous nous en voulons, mais nous le faisons quand même. »
Les violences intrafamiliales et la consommation de drogue sont très répandues, de même que les mauvaises habitudes alimentaires et le manque d’exercice physique régulier. Bien sûr, « beaucoup de gens de notre communauté se battent avec succès » contre cet état d’esprit, mais un phénomène de « fuite des cerveaux » pousse ceux qui peuvent partir à ne jamais revenir.
« Grandir dans un endroit où il y a beaucoup de pères et de mères célibataires, et où bon nombre de vos voisins sont aussi pauvres que vous, réduit l’éventail des possibilités ». Cette situation contraste avec celle que l’on observe dans l’Utah mormon, par exemple, « avec son église forte, ses communautés intégrées et ses familles solides ».
« Je pense que nous, les hillbillies, sommes les gens les plus durs à cuire de la planète. […] Mais sommes-nous assez durs pour bâtir une Église qui oblige les gamins comme moi à affronter le monde au lieu de fuir ? Sommes-nous assez durs pour nous regarder dans le miroir et admettre que nos comportements font du mal à nos enfants ? Les politiques peuvent nous aider, mais aucun gouvernement ne peut résoudre ces problèmes à notre place. »
J.D. Vance reconnaît qu’il a eu beaucoup de chance : « À chaque étape et quel que soit le lieu, j’ai trouvé une famille, des mentors et des amis, qui m’ont aidé et encouragé. […] Quand j’y repense maintenant, quand je mesure combien j’étais passé près de l’abîme, j’en tremble. Je suis un sacré veinard. »
Mais au-delà de cette chance, l’auteur entend montrer que l’esprit de responsabilité et la volonté de forcer le destin demeurent essentiels.
Johan Hardoy
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