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Quelle politique migratoire pour la France ? Les statistiques disponibles

Quelle politique migratoire pour la France ? Les statistiques disponibles

par | 13 octobre 2022 | Politique, Société

Quelle politique migratoire pour la France ? Les statistiques disponibles

Dans une étude précieuse – que Polémia publie en 6 parties tant elle est importante et complète – André-Victor Robert analyse en profondeur la politique migratoire que devrait adopter la France. Dans cette deuxième partie, retour aux faits avec l’étude des statistiques disponibles. Retrouvez l’intégralité de l’étude au format PDF en cliquant sur ce lien.
Polémia

En matière d’immigration, deux types principaux de statistiques sont disponibles en France :

  • d’une part les statistiques du ministère de l’intérieur relatives à l’octroi de premiers titres de séjour, qui permettent de se faire une idée des flux d’entrée sur le territoire français. S’y ajoutent des statistiques sur : les mesures d’éloignement et leur exécution, les demandes d’asile et décisions de l’OFPRA en la matière, et l’accès à la nationalité française,
  • d’autre part, les statistiques sur le nombre d’immigrés en France (i.e. le « stock » d’immigrés), leurs caractéristiques et leurs conditions de vie, établies par l’Insee à partir du recensement de la population (RP) et d’enquêtes par sondage menées auprès des ménages.

Eurostat et l’OCDE publient par ailleurs des statistiques migratoires respectivement pour l’ensemble des pays de l’Union et pour ceux de l’OCDE, élaborées à partir de définitions comparables, qui ne sont pas dénuées d’intérêt pour bien comprendre le contexte migratoire présent.

1. Les statistiques du ministère de l’intérieur

Elles sont produites par le département des statistiques, des études et de la documentation[1] (DSED) de la direction générale des étrangers en France (DGEF), à partir de l’application AGDREF qui enregistre les demandes de titres de séjour dans les préfectures et la suite qui leur est donnée.

Elles sont publiées sur le site web du ministère de l’intérieur, mais accompagnées d’une documentation quelque peu sommaire. Elles sont commentées par le ministère dans un rapport adressé chaque année au Parlement, qui fournit implicitement la documentation méthodologique associée à ces chiffres.

1.a. Les premiers titres de séjour

Les statistiques de premier titre de séjour (i.e. excluant les renouvellements de titre de séjour) sont ventilées par pays d’origine et par motif d’admission au séjour. Elles présentent plusieurs limites (cf. Stéfanini 2021, et Tribalat, 2010 et 2013) inhérentes au champ d’application des dispositions en matière de titres de séjour :

  • elles n’incluent pas les mineurs (accompagnés ou non), qui ne sont pas astreints à la possession d’un titre de séjour. Les mineurs non accompagnés se voient à leur majorité remettre un titre de séjour dont le motif est classé dans la catégorie « Divers »,
  • elles n’incluent pas les demandeurs d’asile, auxquels ne sont délivrées pour la période d’examen de leur demande que des autorisations provisoires de séjour. Le demandeur d’asile qui obtient le statut de réfugié par une décision de l’OFPRA ou de la CNDA bénéficie alors du droit à un titre de séjour pour motif « humanitaire » ,
  • depuis 2004, elles n’incluent pas non plus les ressortissants de pays de l’UE, qui ne sont plus astreints à détenir un titre de séjour. Il y a donc une « rupture de série statistique » en 2004.

Le tableau ci-dessous retrace les flux depuis 2007, il ne nous a pas été possible de reconstituer des séries homogènes avant 2007.

Tableau 1 : Premiers titres de séjour délivrés, en milliers

Motifs d’admission 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021
économique 12 21 20 18 18 16 18 19 21 23 27 34 39 26 36
Familial 88 83 86 83 81 87 94 92 90 89 89 91 91 76 86
étudiants 47 52 59 65 65 59 63 65 70 74 80 84 90 73 88
Humanitaire 15 17 19 18 17 18 18 21 23 30 36 35 38 33 40
Divers 11 10 11 12 12 13 13 14 14 15 14 16 20 15 22
Total 172 184 194 197 193 193 205 211 218 230 247 259 277 223 271

Source : DSED, AGDREF

Ces chiffres, si l’on excepte l’année 2020 qui est très particulière compte tenu de la crise sanitaire, témoignent d’une croissance régulière, en accélération marquée depuis 2015. Le motif familial est stable autour de 90.000 par an (dont 15 000 au titre de la sous-catégorie « Liens personnels et familiaux » qui permet d’octroyer des titres de séjour de manière très discrétionnaire), les titres délivrés aux étudiants sont en croissance marquée pour atteindre eux aussi environ 90 000 en fin de période. La catégorie humanitaire atteint maintenant 40 000 premiers titres de séjour par an, qui se décompose en 60 % de réfugiés reconnus par l’OFPRA et la CNDA, 30 % de bénéficiaires de la protection subsidiaire, et 10 % d’étrangers malades à qui une autorisation de séjour est accordée pour qu’ils puissent se faire soigner en France, faute de pouvoir bénéficier des mêmes soins dans leur pays.

Le rapport au Parlement au titre de l’année 2019[2] précise que : « Plus de la moitié des personnes recevant un premier titre de séjour en 2019 sont originaires d’Afrique, y compris l’Afrique du nord (155 005 personnes soit 56 % du total), suivie par l’Asie (72 427 personnes soit 26 % du total). L’Amérique du Nord, l’Amérique latine et les Caraïbes réunies représentent 11 % des premiers titres de séjour et l’Europe [hors espace économique européen] 5 %. Concernant les nationalités, les ressortissants marocains (34 929, en hausse de 9,0 % par rapport à 2018), algériens (27 391 en baisse de 6,2 %) et tunisiens (19 596, en hausse de 4,0 %) sont les plus représentés en matière de primo-délivrance. »

1.b. Les demandes d‘asile

Les demandes d’asile sont elles aussi en forte croissance, ainsi qu’en témoigne le graphique ci-dessous. La demande d’asile peut aboutir à la reconnaissance du statut de réfugié, parfois la même année, plus sûrement l’année suivante voire encore plus tardivement, compte tenu des délais de recours : il n’est donc pas licite d’additionner les premiers titres de séjour et les demandes d’asile pour aboutir à une estimation du flux entrant, car ce faisant certains demandeurs d’asile seraient comptés deux fois (la même année ou deux années différentes).

Même un demandeur d’asile débouté peut finir par obtenir ultérieurement un premier titre de séjour pour un autre motif. Seule une faible partie des demandes d’asile aboutit à l’octroi du statut de réfugié (trait rouge), ce qui laisse penser que la procédure de demande d’asile fait l’objet d’un détournement massif, la demande d’asile permettant de « gagner du temps », l’expulsion au terme de l’examen de la demande après exercice des voies de recours étant rendue plus difficile par le fait que l’individu et la famille concernée ont eu le temps de démarrer une vie sociale « normale » avec par exemple la scolarisation des enfants (Stéfanini, 2021). Stefanini note également que les demandes d’asile continuent à croître en France depuis 2015 alors qu’elles se sont stabilisées dans les autres pays européens comme l’Allemagne ou l’Italie.

Source : Ministère de l’intérieur (DSED)

Tombées à 96 000 en 2020 à la faveur de la crise sanitaire après 132 000 en 2019, les demandes d’asile remontent à 103 000 en 2021[3].

1.c. Les mesures d’éloignement

Le ministère de l’intérieur indique que :

« Le décompte des éloignements d’étrangers en situation irrégulière fait l’objet d’une ventilation selon trois types d’éloignements reflétant des modalités différentes de prise en charge de l’immigration irrégulière :

  1. Les éloignements forcés (A), caractérisés par la prise d’une décision d’éloignement et sa mise en œuvre par la contrainte, qui regroupent les catégories suivantes : Retours de ressortissants de pays tiers hors Union européenne ; Réadmissions de ressortissants de pays tiers vers l’Union européenne ; Renvois de ressortissants de l’Union européenne dans leur pays.
  2. Les éloignements aidés (C), caractérisés par la mise en œuvre d’une mesure d’éloignement sans contrainte, grâce à une aide au retour.
  3. Les éloignements spontanés (B), sans contrainte et sans aide, après une mesure d’éloignement, dont la comptabilisation est nécessairement partielle.

Par ailleurs, des étrangers en situation irrégulière peuvent décider de quitter le territoire sans avoir fait l’objet d’une mesure d’éloignement, tout en ayant recours à une aide. Ce sont alors des départs volontaires aidés (D). »

Le nombre total d’éloignements (A + B + C) est faible, de l’ordre de 24 000 en 2019, 12 000 en 2020, à peine 13 000 en 2021[4]. Pour illustrer sa faiblesse, ce nombre d’éloignements peut être mis en regard :

  • du nombre de déboutés du droit d’asile (cf. supra),
  • du nombre de bénéficiaires de l’AME (stable autour de 320 000 entre 2015 et 2018[5], cf. Bartoli et alii, 2019) qui constituent en tout état de cause un minorant du nombre d’étrangers en situation irrégulière (il faudrait a minima y ajouter leurs ayant-droits).

II.1.d. Les acquisitions de la nationalité française

Au cours des dix dernières années, les naturalisations (acquisition par décret) fluctuent entre 50 et 100 000 selon les années (75 000 en 2021, graphique ci-dessous jusqu’en 2020), ce qui n’est pas négligeable au regard des flux habituels de premiers titres de séjour (décalés d’au moins cinq ans puisque la naturalisation ne peut intervenir qu’après un minimum de 5 ans de résidence en France). Les acquisitions sont plus stables aux alentours de 50 000 personnes par an.

Source : DSED

Source : ministère de l’intérieur, DSED

2. Les statistiques sur le solde migratoire et sur le stock d’immigrés et d’étrangers : le recensement et les enquêtes réalisées par l’Insee

2.a. La proportion d’immigrés dans la population et l’origine géographique des immigrés

L’Insee définit comme immigrée toute personne (résidant en France) née étrangère dans un pays étranger[6]. De manière équivalente, les immigrés sont donc, parmi les personnes nées à l’étranger : d’une part les personnes (résidant en France) de nationalité étrangère, et d’autre part les personnes ayant acquis la nationalité française. On s’intéressera aussi dans ce paragraphe aux enfants d’immigrés, entendus comme les enfants nés d’au moins un parent immigré. Michèle Tribalat définit par ailleurs comme « natifs au carré » les personnes nées de deux parents français de naissance.

Le bulletin individuel du recensement comprend les questions nécessaires pour dénombrer les immigrés : on demande à chaque individu sa date et son lieu de naissance ; si l’individu est né à l’étranger, on lui demande sa date d’arrivée en France ; on demande enfin à chaque individu sa nationalité, et pour toute personne de nationalité française on lui demande de préciser si elle est née française ou si elle a acquis la nationalité française postérieurement à sa naissance.

Jusqu’à la fin du siècle dernier, le recensement était réalisé à intervalles plus ou moins réguliers, tous les cinq à dix ans environ, et couvrait alors l’ensemble de la population et l’ensemble du territoire. Le dernier recensement de ce type a eu lieu en 1999. Depuis 2004, le recensement a lieu sous la forme d’enquêtes annuelles, par sondage sur un échantillon de logements dans les communes de plus de 10 000 habitants, et sous forme exhaustive dans les autres communes.

Grâce aux recensements il est ainsi possible de connaître la proportion d’immigrés dans la population, ainsi que leur pays d’origine :

  • à tout échelon géographique aux années de réalisation des anciens recensements,
  • depuis 2004 :
    • chaque année, au niveau national et à des niveaux géographiques suffisamment agrégés,
    • à tout échelon géographique en moyenne sur un cycle de cinq ans.

Le recensement, en revanche, ne permet d’identifier et de dénombrer les enfants d’immigrés (nés en France) que tant qu’ils sont mineurs ou résident sous le même toit que leurs parents (cette identification nécessite d’apparier le bulletin individuel de l’enfant et ceux des parents).

Le tableau ci-dessous, téléchargeable sur le site de l’Insee, retrace l’évolution de la part de la population immigrée dans la population totale depuis 1921. Stéfanini (2021) nous indique en outre que cette part était de 1,1 % en 1851, essentiellement des belges, des italiens et des allemands. La population immigrée s’est accrue de manière sensible dans l’entre-deux-guerres, pour atteindre 5,6 % en 1936, avant de retomber à 5,0 % en 1946, puis s’est accrue à nouveau pendant les « trente glorieuses », puis s’est stabilisée aux alentours de 7,4 % entre 1975 et 2000, avant de croître à nouveau très vivement depuis le début du millénaire. Elle est maintenant de 10,0 % en se limitant aux immigrés proprement dits, à l’exclusion de leurs enfants nés en France.

Tableau 2 : part de la population immigrée dans la population, en %

2021 2020 2019 2018 2015 2010 2006 1999 1990 1982 1975 1968 1962 1954 1946 1936 1931 1926 1921
10,3 10,2 10,0 9,7 9,3 8,5 8,1 7,3 7,4 7,4 7,4 6,6 6,2 5,4 5,0 5,6 6,6 5,7 3,7

Champ : France métropolitaine de 1921 à 1990, France hors Mayotte de 1999 à 2013, France, Mayotte inclus, depuis 2014.

Tableau : répartition des immigrés par pays d’origineNaturellement, ce qui compte, ce n’est pas seulement le nombre des immigrés, c’est aussi leur origine géographique. L’Insee précise que : « En 2021, 47,5 % des immigrés vivant en France sont nés en Afrique. 33,1 % sont nés en Europe. Les pays de naissance les plus fréquents des immigrés sont l’Algérie (12,7 %), le Maroc (12 %), le Portugal (8,6 %), la Tunisie (4,5 %), l’Italie (4,1 %), la Turquie (3,6 %) et l’Espagne (3,5 %). La moitié des immigrés sont originaires d’un de ces sept pays (49 %). » En 1962, les originaires d’Italie étaient encore les plus nombreux : ils représentaient 32 % de la population immigrée, devant les immigrés venus d’Espagne, d’Algérie et de Pologne. De 1962 à 1999, la part des immigrés présents en France venus de l’ensemble de l’Europe a baissé constamment passant de 78,7% à 45,0 %.

2.b. L’évaluation du solde migratoire et des flux d’entrée et de sortie : un calcul fragile et incertain

Le recensement constitue la source de base pour l’évaluation de la population chaque année, telle qu’elle est publiée par l’Insee dans le bilan démographique. Le solde des naissances sur les décès (le « solde naturel ») est par ailleurs connu avec une bonne précision, grâce à l’État-civil. Comme la variation de la population d’une année sur l’autre résulte comptablement du solde naturel et du solde migratoire, on obtient une estimation du solde migratoire en retranchant de la variation de la population (issue des recensements) le solde naturel. Cette estimation est toutefois fragile, car la couverture de la population par le recensement n’est pas parfaite, et peut varier d’un recensement au suivant : comme le solde naturel est mesuré précisément, l’incertitude sur la variation de la population se répercute dans son intégralité sur l’évaluation du solde migratoire.

Il est probable par exemple que le recensement dans sa nouvelle méthode mise en œuvre depuis 2004 ratisse un peu plus large que le recensement de 1999[7] (i.e. moins d’omission et / ou davantage de doubles comptes). Face à cette difficulté, l’Insee a d’ailleurs souvent été amené à introduire un ajustement statistique dans ses estimations du solde migratoire, de façon à ce que celui-ci ne prenne pas une valeur fantaisiste ; ce qui pose la question de la valeur de l’information auxiliaire mobilisée pour fixer le niveau de cet ajustement et donc aussi le niveau du solde migratoire, la documentation fournie n’étant pas toujours très explicite sur ce point.

Les entrées sont connues au recensement par l’exploitation de la question sur la date d’arrivée en France, pour les personnes qui n’y sont pas nées. En retranchant les entrées du solde migratoire, on obtient une estimation des sorties, elle aussi très fragile.

Sur les dix dernières années, les chiffres de solde migratoire et d’ajustement sont les suivants :

Tableau : composantes de la variation de la population, France entière

Année Pop. au 1er janvier Nb de naissances vivantes Nb de décès Solde naturel Solde migratoire évalué Ajustement (a)
2010 64 612 939 832 799 551 218 + 281 581 + 38 880 0
2011 64 933 400 823 394 545 057 + 278 337 + 29 504 0
2012 65 241 241 821 047 569 868 + 251 179 + 72 336 0
2013 65 564 756 811 510 569 236 + 242 274 + 100 130 0
2014 65 907 160 811 384 558 727 + 252 657 + 30 463 0
2014 66 130 873 818 565 559 293 + 259 272 + 32 324 0
2015 66 422 469 798 948 593 680 + 205 268 + 40 238 – 65 330
2016 66 602 645 783 640 593 865 + 189 775 + 65 044 – 82 982
2017 66 774 482 769 553 606 274 + 163 279 + 154 661 – 100 263
2018 66 992 159 758 590 609 648 + 148 942 + 200 506 – 83 625
2019 67 257 982 753 383 613 243 + 140 140 + 140 000 – 84 000
2020 67 454 122 735 196 668 922 + 66 274 + 140 000 – 34 000
2021 67 626 396 738 000 657 000 + 81 000 + 140 000 – 34 000

Le fait que l’Insee ait introduit un ajustement négatif entre 1990 et 1999, puis positif de 2000 à 2005, accrédite l’idée que le recensement de 1999 se caractérise par une couverture relativement faible de la population (en comparaison avec le recensement de 1990 et le nouveau recensement). Sans cet ajustement, le solde migratoire calculé par la différence entre l’évolution de la population et le solde naturel serait ressorti à un niveau très faible entre 1990 et 1999 (ce qui eut été peu crédible au regard des flux de délivrance de titres de séjour qui restaient élevés), et à l’inverse très élevée entre 2000 et 2006. Concernant l’ajustement négatif entre 2015 et 2021, l’Insee le justifie par un changement dans le questionnaire, introduit à l’occasion de l’enquête de recensement 2015, sur la résidence multiple, qui serait cause d’une rupture de série.

Lé (2021) détaille les chiffres de solde migratoire sur l’année 2017. Le solde migratoire peut lui même être ventilé entre immigrés et non-immigrés. En 2017, le solde migratoire des personnes non-immigrées s’établirait à − 44 000, après − 157 000 en 2016. Le nombre d’entrées de personnes non-immigrées sur le territoire serait globalement stable (108 000) tandis que leurs sorties baissent nettement en 2017 (152 000, après plus de 250 000 sorties annuelles entre 2014 et 2016). Le solde migratoire des personnes immigrées s’établirait quant à lui à + 198 000 en 2017 après + 222 000 en 2016, sous l’effet d’une hausse des sorties, alors que les entrées seraient restées stables.

Tout cela est très fragile. Il est assez probable en fin de compte que l’importance du solde migratoire positif chez les immigrés soit en grande partie masquée par un solde migratoire sensiblement négatif chez les non-immigrés. Jérôme Lé ajoute que « En moyenne, environ 110 000 non-immigrés de 18 à 29 ans quittent chaque année la France depuis 2006 », ce qui est considérable. En outre, 24 % des immigrés entrés en 2019 sont sans diplôme, et 13 % ont un diplôme équivalent au brevet des collèges, alors que les proportions correspondantes pour les entrants dans la population non-immigrée sont de 4 et 9 % seulement. La proportion de diplômés du supérieur parmi les immigrés entrés en 2019 est toutefois elle aussi élevée.

2.c. Les enfants d’immigrés

Depuis les années 2000, l’Insee fait figurer dans la plupart de ses enquêtes par sondage auprès des ménages des questions sur la nationalité et le lieu de naissance des personnes interrogées, ce qui permet d’évaluer le nombre d’enfants d’immigrés (c’est essentiellement l’enquête emploi qui est mobilisée pour ce faire car c’est celle dont l’échantillon est le plus important) et de connaître leurs conditions de vie. Les échantillons des enquêtes ménages, sauf exceptions, ne sont pas de taille suffisante pour permettre des exploitations à un niveau régional ou infra-régional, la précision à ces niveaux serait trop faible du fait de l’alea de sondage.

Les enfants d’immigrés (de tous âges) nés en France sont en 2018 au nombre de 3 142 000, soit 11,2 % de la population (cf. tableau infra). Les immigrés et leurs enfants représentent donc en 2018 21 % de la population en France, ce qui est davantage qu’en Italie, en Espagne, ou au Royaume-Uni, pays où l’immigration massive est un phénomène plus récent. 42 % des enfants d’immigrés proviennent d’un pays européen et 44 % d’un pays africain. Le pays d’origine qui leur est attribué est celui du parent immigré lorsqu’un seul des deux parents est immigré (c’est le cas pour un enfant d’immigré sur deux), et celui du père lorsque les deux parents sont immigrés. Cette dernière convention porte peu à conséquence, car lorsque les deux parents sont immigrés, dans 80 % des cas ils sont originaires du même pays.

Tableau : Enfants d’immigrés en 2018, par origine géographique

2018 Évolution des effectifs entre 2008 et 2018
(moyenne annuelle en %)
Effectifs
(en milliers)
Répartition des descendants
(en %)
Part des moins de 30 ans
(en %)
Europe  3 142     42,0 26,0 0,4
Espagne  539 7,2 14,2 – 0,3
Italie  845 11,3 8,6 – 0,8
Portugal  669 8,9 45,3 0,0
Autres pays de l’UE  852 11,4 31,1 – 0,9
Autres pays d’Europe  236 3,2 42,9 2,7
Afrique  3 305    44,2 69,9 4,1
Algérie  1 152 15,4 56,4 3,1
Maroc  922 12,3 72,5 4,6
Tunisie  342 4,6 64,0 3,5
Autres pays d’Afrique  890 11,9 86,8 5,3
Asie  721    9,6 77,7 2,8
Turquie  295 3,9 79,7 3,7
Cambodge, Laos, Vietnam  154 2,1 67,7 0,8
Chine  32 0,4 66,1 4,0
Autres pays d’Asie  241 3,2 83,0 2,9
Amérique, Océanie  310    4,1 80,4 7,1
Ensemble  7 478    100,0 52,6 1,9

Source : Insee (2019)

Si l’on souhaite disposer d’une évolution au cours du temps, on doit se restreindre aux moins de dix-huit ans. Un récent rapport de France Stratégie fournit des indications intéressantes à ce sujet, en évolution de 1968 à 2015 (à partir des recensements) :

Tableau : part des immigrés et enfants d’immigrés au sein de la population de moins de 18 ans, en %

1968 1975 1982 1990 1999 2010 2015
France entière De toutes origines 11,7 13,6 15,4 16,5 17,0 19,6 21,4
    – d’origine européenne 9,0 9,0 7,8 6,4 5,4 4,8 5,0
    – d’origine extra-européenne 2,7 4,7 7,6 10,1 11,6 14,8 16,4
Agglos > 100.000 Hbts De toutes origines 15,3 18,3 21,4 23,8 25,0 30,1 32,7
    – d’origine européenne 10,6 10,9 9,7 8,0 6,5 5,9 6,2
    – d’origine extra-européenne 4,8 7,5 11,8 15,8 18,5 24,2 26,5

Source : Botton et alii, 2020, d’après les recensements de la population

Ainsi, si sur l’ensemble de la France en 1968, les immigrés et enfants d’immigrés représentaient 11,7 % de la population de moins de 18 ans, en 2015 ils en représentaient près du double : 21,4 %. Ce qui veut dire qu’au sein des moins de 18 ans, les « natifs au carré » (c’est-à-dire les enfants nés de deux parents eux-mêmes nés en France) est dans le même temps passée de 88,3 % à 78,6 %. Ce qui est remarquable, c’est que la croissance de la part des immigrés et enfants d’immigrés au sein des moins de 18 ans est le fait des populations d’origine extra-européenne : leur part au sein des moins de 18 ans est passée de 2,7 % à 16,4 % entre 1968 et 2015, dans le même temps la part des immigrés et enfants d’immigrés d’origine européenne s’est réduite quasiment de moitié (9,0 % en 1968, 5,0 % en 2015). à toutes les dates, la part des immigrés et enfants d’immigrés dans la population de moins de 18 ans est plus forte dans les agglomérations de plus de 100.000 habitants qu’en dehors de celles-ci : en 2015, dans les agglomérations de plus de 100.000 habitants, près d’un enfant sur trois est immigré ou enfant d’immigré.

2.d. Les statistiques dans les autres pays européens

La connaissance des flux entrants est probablement meilleure dans les pays européens qui disposent d’un registre de population. La connaissance des flux de sortie est partout assez problématique.

La proportion de la population immigrée dans la population totale (en y incluant cette fois les personnes nées françaises à l’étranger, pour assurer la comparabilité des résultats) n’est pas forcément plus élevée que dans les autres grands pays européens : elle est en France un peu inférieure à celle de l’Espagne et du Royaume-Uni et un peu supérieure à celle de l’Italie. Alors que la proportion en France était comparable à celle de l’Allemagne en début de décennie, elle est maintenant très sensiblement supérieure en Allemagne, sous l’effet des flux migratoires considérables que ce pays a connu depuis 2015.

Tableau : proportion de personnes nées à l’étranger dans la population totale, en %

2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021
Allemagne 11,1 11,4 11,7 12,1 12,6 13,3 14,7 16,6 17,9 18,1 18,2
Espagne 13,5 13,4 13,2 12,8 12,7 12,7 12,9 13,3 13,9 14,8 15,2
France 11,3 11,4 11,5 11,7 11,9 12,0 12,1 12,2 12,5 12,7 12,8
Italie 9,7 9,6 9,5 9,4 9,5 9,7 9,9 10,2 10,1 10,3 10,6
Royaume-Uni 11,7 12,2 12,4 12,5 13,0 13,3 14,1 14,4 14,2

Source : Eurostat

André-Victor Robert
13/10/2022

Notes

[1] Ce département a le statut de Service statistique ministériel (SSM) au sens de la loi n°51-711 du 7 juin 1951 sur l’obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques. Aux termes de cette loi, tout SSM jouit de l’indépendance professionnelle dans la conception, la production et la diffusion des statistiques qui sont de son ressort, le respect de cette indépendance étant assuré par l’Autorité de la statistique publique (ASP), créée à cet effet.
[2] Dernière année disponible avant la crise sanitaire (le rapport 2021 n’est pas disponible à ce jour).
[3] Source.
[4] Source.
[5] La dépense correspondante est de l’ordre de 1 Md€.
[6] Ne sont donc pas inclus parmi les immigrés les personnes nées françaises à l’étranger, i.e. les personnes nées à l’étranger d’au moins un parent de nationalité française (au moment de la naissance de l’enfant). À l’inverse, les Nations Unies et Eurostat incluent les personnes nées françaises à l’étranger dans la population immigrée. Ainsi, la définition d’Eurostat conduit à considérer comme immigrés les rapatriés d’Algérie, alors que l’Insee les considère comme non immigrés.
[7] Voir à ce sujet insee.fr, pp. 7-9, ainsi que Tribalat, 2010, pp. 30-35.

André-Victor Robert
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