Par Pierre Boisguilbert ♦ C’est tout de même intrigant. Médiapart, à deux jours des débats parlementaires, par une révélation – qui est une fuite – transforme le ministre de la retraite en maillon faible du gouvernement.
Accusations et soutiens
« En première ligne avec la réforme des retraites, le ministre du travail vient de recevoir un rapport d’enquête accablant du Parquet national financier, qui le soupçonne d’un délit de favoritisme avec l’un des géants français de l’eau, selon des informations de Mediapart. Une nouvelle qui tombe au pire moment pour l’Élysée et Matignon. » Olivier Dussopt avait été épinglé en mai 2020 par Mediapart pour avoir reçu en cadeau, de la part de la SAUR, deux lithographies du peintre Gérard Garouste au moment où un contrat était sur le point d’être conclu entre la société et la ville d’Annonay. L’affaire, relatée par le site d’information, remonte à janvier 2017, dix mois avant l’entrée au gouvernement d’Olivier Dussopt en tant que secrétaire d’Etat à la fonction publique. Les œuvres, estimées à l’époque à « un peu plus de 2 000 euros », lui avaient été offertes par l’intermédiaire de Franck Meneroux, l’un des dirigeants de la SAUR en Ardèche, relatait Mediapart.
On n’est certes pas dans le cas de l’affaire Fillon. Mais une fois de plus un processus politique est frappé de plein fouet par une procédure judicaire qui tombe à point nommé et qui est médiatisée par un site connu pour son hostilité à la réforme des retraites et plus généralement, au-delà de la droite, au pouvoir Macroniste. On sent la tentation d’allumer un bucher médiatique même si pour le moment la discrétion l’emporte et si le ministre se défend.
D’après Mediapart, la perquisition réalisée chez le ministre par les enquêteurs financiers de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) a mis à jour « des échanges entre Olivier Dussopt et (la Saur) semblant laisser peu de doute sur l’existence d’un arrangement autour d’un marché public daté de 2009-2010 ». Le Monde relaye la défense du ministre :
« En mai 2020, un article de presse a cru pouvoir mettre en cause mes relations avec un groupe d’eau dans la ville d’Annonay dont j’étais le maire », et « le parquet financier a ouvert une enquête et procédé à de très nombreuses vérifications », a déclaré le ministre sur France Inter, poursuivant : « À l’issue de ce travail d’enquête, le parquet avait regroupé les faits en cinq points, et je constate que les explications données avec mon avocat ont convaincu le parquet de ma bonne foi puisque sur quatre de ces cinq points, le parquet a décidé qu’il y avait lieu de classer en retenant qu’il n’y avait pas de poursuite pour corruption, prise d’intérêt ou enrichissement. » Toutefois, « le parquet considère que, dans le cadre d’une procédure pour marché public en 2009 (…), il pourrait y avoir une infraction de favoritisme », a dit encore Olivier Dussopt.
Olivier Dussopt, qui a mené les concertations retraites à l’automne et doit défendre à partir de lundi devant l’Assemblée nationale la réforme phare du second quinquennat d’Emmanuel Macron, « a toute la confiance de la Première ministre », a indiqué Matignon. Interrogé, l’Elysée n’a pas fait de commentaire, estimant que tout avait été dit dans la réaction d’Elisabeth Borne. On peut dire que cette affaire tombe au mauvais moment ou arrive à point. Une nouvelle fois le calendrier de la justice interroge, tout comme l’opportunité de sa révélation. Peut-il rester en poste ? Mme Borne « n’a pas trop le choix car ça fragiliserait encore un peu plus cette réforme », selon un député cité par France 24, qui pense qu’Olivier Dussopt « ne va pas avoir l’esprit totalement disponible pour défendre, mal, la réforme ». Surtout que, dans le passé, il était alors à gauche opposé clairement à l’allongement de l’âge de la retraite.
Des accusations médiatiques dans des moments clefs ?
Au cœur du dispositif gouvernemental, il est aussi aux manettes, avec le ministre de l’Intérieur, sur le projet de loi immigration, et dans les prochains mois aux avant-postes sur un projet de loi dédié au plein emploi. Il y a aussi des précédents impliquant des ministres et la justice autour de la retraite. Avant lui, Eric Woerth avait été éclaboussé par l’affaire Bettencourt en 2010, lors du report de l’âge légal de 62 à 64 ans – l’ex-LR avait ensuite obtenu une relaxe. Au moment du projet de réforme du premier quinquennat Macron, le Haut-commissaire aux Retraites, Jean-Paul Delevoye, avait démissionné en décembre 2019 pour ne pas avoir déclaré plusieurs mandats à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Il a été condamné en décembre 2021 à quatre mois de prison avec sursis et 15 000 euros d’amende. Il y a parfois du feu derrière la fumée
Il ne s’agit pas de porter un jugement sur une réforme rejetée par la majorité des français mais présentée par le pouvoir comme indispensable. On peut cependant constater que décidément le pouvoir judicaire est de plus en plus un acteur utilisé par des médias dans l’action politique. La suspicion est souvent plus forte que la présomption d’innocence et ceux qui s’en servent le savent.
Pierre Boisguilbert
05/02/202
Crédit photo : Pierre Antoine [CC BY-SA 4.0]