Avec Les Deux Occidents [1], Mathieu Bock-Côté s’attache, dans son dernier essai, dense mais vif, à tracer les nouveaux clivages civilisationnels qui émergent des deux côtés de l’Atlantique. Car pour l’auteur, l’Occident est en passe de se séparer en deux entités qui divergent progressivement, comme ce fut le cas autrefois pour l’Empire romain d’Occident et d’Orient.
Car pour lui, deux Occidents se font aujourd’hui face à face : d’un côté les États-Unis, en plein renouveau trumpien, populiste et libertarien, de l’autre une Union européenne déclinante qui s’érige en bantoustan diversitaire, woke et autoritaire.
Pour Mathieu Bock-Côté, « deux interprétations radicalement différentes de la démocratie s’affrontent désormais » [2] et « la faille atlantique s’ouvre à nouveau, au point de devenir béante, un nouveau rideau de fer semblant se dresser entre les deux rives de l’Atlantique ». [3]
Michel Geoffroy
Le moment trumpien
Analysant d’abord ce qu’il nomme « le moment trumpien », Mathieu Bock-Côté nous montre comment la vague populiste qui traversait les pays occidentaux l’a finalement emporté aux États-Unis. Une victoire improbable portée par une personnalité tout aussi improbable : Donald Trump.
Mais une victoire rendue possible par la révolution des médias sociaux permettant l’expression d’une dissidence à grande échelle, « en donnant aux masses révoltées un espace d’expression inédit »[4], au grand dam de l’État profond, qui voyait son monopole médiatique remis en cause.
Cette victoire est très importante car elle a montré « qu’une victoire contre le système n’était pas inimaginable, qu’il était possible de contourner les obstacles dressés par le régime contre les insurgés » [5]. D’ailleurs, le système ne s’y est pas trompé, qui a immédiatement diabolisé Trump, des deux côtés de l’Atlantique.
Mais l’auteur nous montre que Trump a su incarner aussi de nouvelles dynamiques sociales que les démocrates n’ont pas vues venir : les jeunes hommes se révoltant contre une société qui entend les marginaliser au nom d’un féminisme agressif [6] ou de l’idéologie diversitaire, ou encore la revanche des victimes de la « mondialisation heureuse » qui voulaient dégager les oligarchies new-yorkaises progressistes et méprisantes.
Mathieu Bock-Côté nous montre que le trumpisme est surtout l’aboutissement du bouillonnement intellectuel libertarien et antibureaucratique qui a saisi l’Amérique depuis des années, et pas seulement les États-Unis, puisqu’il s’incarne aussi dans la politique suivie par Javier Milei en Argentine.
Une véritable révolution, celle d’un libertarianisme rénové, « enraciné, révolté, fièrement populiste, conjuguant révolte antibureaucratique, révolte antifiscale et révolte identitaire » [7]. Car ce néo-libertarianisme entend moins convaincre les élites — comme le faisaient autrefois les économistes libéraux — qu’il « entend exciter (…) la révolte contre une caste bureaucratique accusée des plus grandes injustices matérielles et politiques » [8]. Il s’agit donc d’une arme de combat contre les bad guys, les sales types responsables d’un changement négatif de la société pour le plus grand nombre.
Un nouveau rapport au monde
Mathieu Bock-Côté replace aussi la victoire de Trump dans le nouveau contexte géopolitique né de la fin de ce qu’il nomme « l’ordre de 1989 » : c’est-à-dire la courte période débutant avec la chute de l’URSS et qui a fait croire aux États-Unis qu’ils étaient en mesure de dominer le monde et d’imposer partout leur « nouvel ordre mondial ».
Trump tire au contraire les conséquences du nouvel ordre multipolaire du monde et rompt avec l’esprit de croisade des démocrates en se présentant comme « le président de la paix ». Même s’il n’hésite pas à vassaliser les Européens.
L’Europe oligarchique
Mathieu Bock-Côté nous dépeint une classe dirigeante européenne progressiste qui, tirant les conséquences du moment trumpiste, verse dans une forme de pessimisme actif : car « elle envisage déjà la perte du pouvoir gouvernemental et législatif et, pour cela, veut faire en sorte que même chassée du pouvoir, elle le conserve néanmoins à travers son emprise sur l’administration et le système judiciaire » [9].
Notamment grâce à l’État de droit, qui permet de neutraliser le politique et le législateur, grâce au changement de peuple par l’immigration sans limite, grâce à l’édification d’un « mur numérique, juridique et institutionnel » [10] pour se protéger contre la révolte populaire au nom d’un prétendu antifascisme ou de prétendues ingérences étrangères (comme on l’a vu en Roumanie [11]), grâce à la création d’un état d’exception permanent ou grâce aux « valeurs démocratiques » qui permettent l’exclusion légale et administrative des dissidents, comme l’Allemagne est en train de le faire avec les membres de l’AFD.
L’Union soviétique par d’autres moyens
Mathieu Bock-Côté nous montre que l’Union européenne est en train de réactualiser la souveraineté limitée en usage dans l’ancien Pacte de Varsovie. Et qu’elle devient une société stasifiée — par référence à la police politique de l’Allemagne de l’Est — fondée sur la surveillance de la population et la mise en place progressive d’un crédit social pour tous.
L’Union européenne devient ainsi « le laboratoire d’une modernité radicalisée qui se réclame de la démocratie libérale, mais qui engendre son contraire » [12] et qui poursuit la trajectoire de l’URSS par d’autres moyens, sous la direction d’un extrême-centre autoritaire.
Un extrême-centre qui « reproche à la gauche son manque de prudence mais certainement pas sa vision de l’avenir » [13].
Une analyse qui doit interpeller la droite européenne
Il faut donc lire l’essai de Mathieu Bock-Côté qui, on le voit, ouvre de très intéressantes perspectives autour de l’analyse de deux archétypes opposés : l’Amérique de Trump et l’Union européenne en voie de stasification.
Mais son propos interpelle évidemment la droite européenne qui, pour le moment, n’est pas parvenue à renverser le système oligarchique, à la différence de ce qu’espèrent réaliser les Républicains outre-Atlantique.
Mathieu Bock-Côté suggère qu’il a manqué à l’Europe l’équivalent du national-conservatisme américain, comme William Buckley ou Patrick Buchanan l’ont incarné, mais qui a su se réinventer à partir des années 90 pour devenir progressivement une droite post-libérale, socle du trumpisme actuel. Une droite qui affirme haut et fort ses valeurs, y compris religieuses. Au contraire d’une droite européenne qui, comme en France, rase les murs par peur de la diabolisation.
Mathieu Bock-Côté ne cache donc pas un certain pessimisme quant au devenir de l’Occident européen, confronté de surcroît à une immigration musulmane que personne — et surtout pas l’extrême-centre — ne semble en mesure d’arrêter. L’Europe, « reconduite chez elle, n’est même plus chez elle » [14], écrit en conclusion l’auteur.
À l’évidence, le temps joue contre nous désormais. À moins que…
Michel Geoffroy
28/11/2025
[1] Mathieu Bock-Côté, Les Deux Occidents, les Presses de la Cité, 2025, 22€
[2] Op.cit. page 23
[3] Op.cit. page 24
[4] Op.cit.page 35
[5] Op.cit.page 61
[6] Ce qui se traduit notamment en Occident par la différenciation croissante des votes masculin et féminin
[7] Op.cit. page 170
[8] Op.cit. page 171
[9] Op.cit. page 65
[10] Op.cit. page 76
[11] « l’annulation de l’élection roumaine en décembre 2024 a peut-être marqué un tournant dans l’histoire des démocraties » écrit Mathieu Bock-Côté
[12] Op.cit. page 130
[13] Op.cit. page 133
[14] Op.cit ; page 287
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