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L’immigration en Europe en forte hausse en 2022

L’immigration en Europe en forte hausse en 2022

Par Paul Tormenen, juriste et spécialiste des questions migratoires ♦ Selon les dernières informations disponibles, l’immigration clandestine devrait cette année dépasser en Europe le niveau déjà très élevé des années précédentes. Les demandes d’asile devraient être dans plusieurs pays européens aussi nombreuses que pendant le pic de la crise migratoire de 2015. Dans ce contexte, les pays composant l’Union européenne apparaissent divisés sur les réponses à apporter à une crise migratoire qui n’en finit pas. L’arrivée au pouvoir en Suède et en Italie de partis politiques favorables à une réduction drastique de l’immigration pourrait amorcer un changement dans une Union européenne dirigée par des immigrationnistes convaincus.

L’immigration clandestine en forte hausse

Le recensement réalisé par le Haut Commissariat aux réfugiés des Nations unies fait apparaître que le nombre des arrivées clandestines en Espagne, en Italie et en Grèce ne cesse de progresser. Il atteignait pour les dix premiers mois de l’année 123 476, ce qui est déjà largement supérieur au nombre atteint pour toute l’année 2020 et 2021. Cette progression est plus particulièrement marquée en Italie, avec des arrivées massives d’Égyptiens, de Tunisiens et de Bangladais.

Nombre d’arrivées par la mer et par la terre

Espagne Italie Grèce Total
2020 41 861 34 154 15 696 91 711
2021 43 197 67 477 9 157 119 831
2022 27 109

(au 23 octobre)

83 727

(au 30 octobre)

12 640

(au 23 octobre)

123 476

Source : Operational Data portal. UN HCR

Les franchissements illégaux des frontières extérieures de l’espace Schengen détectés par Frontex depuis le début de l’année 2022 sont également en forte augmentation. Sur les sept premiers mois de l’année, ils ont atteint 228 240 (1). Cela constitue une progression de 70 % par rapport à la même période en 2021. L’agence Frontex souligne que le nombre de franchissements illégaux détectés durant le dernier trimestre est le plus haut depuis 2016. L’augmentation est particulièrement importante dans les Balkans occidentaux (106 396, + 170 %), en Méditerranée orientale (28 273, +118 %) et en Méditerranée centrale (65 572, + 42 %).

Le nombre de demandes d’asile explose

Le nombre de demandes d’asile déposées dans les pays de l’U.E. en 2021 – 630 980 – risque également d’être très largement dépassé en 2022. À la fin du mois de juillet, il atteignait 432 540, alors qu’il n’était « que » de 245 495 à la même période en 2021 (2). Les Syriens suivis par les Afghans, les Vénézuéliens et les Pakistanais figurent parmi les nationalités les plus représentées parmi les personnes demandant l’asile dans l’Union européenne (3).

Comme les années précédentes, l’Allemagne est talonnée par la France parmi les pays de l’U.E. recevant le plus de demandes d’asile. En Allemagne, en Autriche et en France, le nombre de demandes d’asile pourrait dépasser celui du pic de la crise migratoire de 2015. Mais désormais, les demandes d’asile se concentrent sur un nombre plus restreint de pays, d’autres pays ayant choisi de les dissuader fortement.

Immigration dans l’UE en 2021 : plus de demandes d’asile, moins d’expulsions

Des pays européens dépassés par les flux

Les pays qui n’ont pas réformé leur législation sur l’asile et l’immigration dans un sens plus restrictif sont dépassés par l’ampleur des flux de migrants qui arrivent chez eux.

En France, les mises à l’abri souvent précédées par des occupations illégales de bâtiments ou de places publiques se multiplient. En Belgique également, les structures d’accueil sont fréquemment saturées, ce qui amène l’État à recourir à l’hébergement de migrants à l’hôtel (4).
En Allemagne, comme le souligne le site InfoMigrants, « les communes tirent la sonnette d’alarme » face à l’ampleur des flux auxquels elles ne peuvent faire face (5).
Au Royaume-Uni, les autorités envisagent d’installer des tentes dans des parcs de la capitale pour héberger des migrants qui viennent de traverser la Manche (6). La situation est également critique en Suisse et dans d’autres pays.

Des politiques en ordre dispersé

Face à cette situation, les pays européens partent en ordre dispersé. Cette dispersion se manifeste dans la politique de délivrance de visas, la politique de régularisation (ou de non-régularisation) des étrangers en situation irrégulière, l’action coordonnée de lutte contre l’immigration clandestine de pays à une échelle infra-européenne, la pratique ou le refus des refoulements de migrants aux frontières, etc.

Certains pays des Balkans délivrent de nombreux visas de travail à des extra-Européens, ce qui permet à certains d’entre eux d’entrer dans l’Union européenne. La Commission européenne a annoncé son souhait d’une harmonisation des pratiques afin de mieux lutter contre l’immigration clandestine (7). Sous pression, la Serbie a récemment mis fin à l’attribution massive de visas aux ressortissants du Burundi (8). La politique du gouvernement roumain d’octroi en nombre de visas de travail à des Bangladais est également critiquée (9). Le gouvernement biélorusse est pour sa part toujours suspecté d’accorder généreusement des visas à des extra-Européens afin de leur permettre de gagner l’Union européenne via la Pologne (10).

Plusieurs gouvernements de pays européens ont lancé ces derniers mois des opérations de régularisation d’étrangers en situation irrégulière, comme l’Espagne et l’Allemagne, en dépit de l’appel d’air que ce type de mesure suscite.
Dans le même temps, certains pays comme la Suède prennent des mesures pour réduire les flux migratoires. Le nouveau gouvernement conservateur suédois a ainsi annoncé le durcissement du regroupement familial et des conditions d’acquisition de la nationalité suédoise ainsi que la réduction du nombre de réfugiés accueillis par le pays.
Sans attendre d’initiative de la Commission européenne, les gouvernements hongrois, serbe et autrichien se sont réunis le 3 octobre lors d’un sommet d’urgence afin d’adopter un plan d’action visant à contrer l’immigration clandestine croissante que ces pays connaissent (11).

Les autorités grecques annonçaient début septembre avoir bloqué l’entrée de plus de 150 000 migrants aux frontières terrestres et maritimes depuis le début de l’année 2022, en dépit des condamnations répétées de la Commission européenne de cette pratique qui permet de limiter l’ampleur des flux entrants (12). Plusieurs pays ont rétabli ou maintenu des contrôles à leurs frontières intérieures. C’est le cas de l’Autriche, de la France, de la République tchèque, etc.

Il va sans dire que la politique du nouveau gouvernement italien dirigé par Georgia Meloni va dans ce contexte être scrutée à la loupe, l’Italie apparaissant comme une importante porte d’entrée à l’immigration clandestine en Europe. La nouvelle équipe au pouvoir vient d’annoncer fournir aux autorités libyennes 14 bateaux pour intercepter des embarcations de migrants au départ des côtes africaines (13). Le nouveau ministre de l’Intérieur, un ancien collaborateur de Matteo Salvini quand il était ministre de l’Intérieur, a annoncé évaluer le bannissement des côtes italiennes des bateaux de certaines ONG, l’Ocean Viking et l’Humanity 1 (14). L’avenir dira si cela sera suffisant pour réduire drastiquement le nombre des bateaux chargés de migrants qui accostent chaque jour sur les côtes italiennes.

Instrumentalisation de l’immigration : la capitulation de l’Union européenne

L’Union européenne tétanisée

Dans ce contexte, il est difficile de dire si l’Union européenne accepte tacitement cette situation ou n’en a absolument pas pris la mesure. Le rapport annuel de la Commission européenne sur la migration et l’asile publié le 6 octobre dernier ne contient aucune remise en cause du pont maritime entre l’Afrique et l’Europe ni de la prohibition des refoulements aux frontières extérieures de l’U.E. (15). La priorité semble être pour la Commission européenne, outre la lutte contre les passeurs et l’harmonisation des règles de l’asile, de parvenir à un accord pérenne sur la répartition des migrants arrivés dans le sud de l’Europe, afin « de répartir les efforts » entre pays volontaires.

Le rapport de force au Parlement européen apparaît toujours favorable aux partis pro-immigration. Après la publication d’un rapport de l’Office européen antifraude (OLAF) et une intense campagne d’opinion sur la pratique de refoulement de migrants aux frontières extérieures de l’U.E. par des agents de Frontex, des parlementaires européens de gauche et du centre (appartenant au groupe auquel les parlementaires français Renaissance sont affiliés), ont refusé de voter le quitus des comptes 2021 de l’agence Frontex (16). Afin de se conformer aux injonctions de la Commission européenne, l’agence européenne de garde-frontières et garde-côtes s’est engagée à être plus vigilante sur le respect des droits fondamentaux, qui peuvent accessoirement permettre à des clandestins d’entrer dans l’U.E. (17).

Immigration. Le directeur de Frontex jette l’éponge, les No Border jubilent

La guerre en Ukraine a amené les pays européens à accueillir en 2022 plusieurs millions de ressortissants de ce pays. Les capacités d’accueil semblent désormais à saturation pour accueillir des migrants issus d’autres pays aux motivations souvent économiques. Au-delà, c’est le modèle social en vigueur dans plusieurs pays européens qui risque d’apparaître insoutenable avec les vagues d’immigration de pauvreté qui arrivent. L’ancien ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine le reconnaissait d’ailleurs il y a quelques jours.

La fin du corridor autorisé jusqu’à récemment en mer Noire par les autorités russes pour permettre aux cargos chargés de céréales d’accéder aux marchés mondiaux est une mauvaise nouvelle de plus, qui s’ajoute à d’autres (baisse de l’activité, flambée des prix des denrées alimentaires, risque de pénurie d’énergie, etc.).

Aux souhaits de nombreux migrants d’une vie meilleure en gagnant un continent européen au bord de la dépression économique pourrait s’ajouter plus prosaïquement la volonté d’échapper aux pénuries alimentaires. La commissaire européenne aux affaires intérieures semblait en juillet dernier avoir déjà intériorisé l’accroissement des flux migratoires : « Nous travaillons à l’élaboration de plans d’urgence au cas où beaucoup plus de personnes viendraient dans l’Union européenne, nous sommes bien préparés pour cela, mais ensuite, bien sûr, nous essayons d’éviter que cela se produise et c’est pourquoi il semble si important de tendre la main aux pays partenaires » (18). Une déclaration qui est tout sauf rassurante.

 

Paul Tormenen
06/11/2022

 

(1) « EU external borders in September ». Communiqué de presse. Frontex. 13 octobre 2022.
(2) « Asylum applicants by type of applicant, citizenship, age and sex – monthly data ». Eurostat. 31 octobre 2022.
(3) « First-time asylum applicants up 0.4 % in July 2022 ». Eurostat. 25 octobre 2022.
(4) « La Belgique débordée par des arrivées de demandeurs d’asile ». Le Monde. 28 octobre 2022.
(5) « L’Allemagne, confrontée à des arrivées importantes de réfugiés, adopte de nouvelles mesures ». InfoMigrants. 12 octobre 2022.
(6) « Un plan d’urgence pour héberger les migrants de la Manche dans des tentes dans les parcs de Londres a été proposé par des fonctionnaires du ministère de l’Intérieur, révèle un rapport, alors que Sunak espère négocier un nouvel accord sur les petits bateaux avec la France ». Lesnouvelles.live. 28 octobre 2022.
(7) « Réfugiés Balkans | Les dernières infos • La Roumanie, nouvelle destination pour les travailleurs bangladais ». Le Courrier des Balkans. 31 octobre 2022.
(8) « La Serbie met fin à l’exemption de visas pour les Tunisiens et les Burundais ». InfoMigrants. 25 octobre 2022.
(9) Cf. (7).
(10) « Belarus continues pushing migrants across Poland’s border ». Remix News. 27 septembre 2022.
(11) « Route des Balkans : l’Autriche, la Hongrie et la Serbie réunies autour d’un “plan d’action” pour contrer l’augmentation des migrants ». InfoMigrants. 4 octobre 2022.
(12) « Plus de 150 000 migrants bloqués aux frontières grecques ». RTL. 4 septembre 2022.
(13) Tweet MSF Sea. 25 octobre 2022.
(14) « Piantedosi: “Navi Ocean Viking e Humanity 1 non sono in linea con le norme europee” ». Rai News. 25 octobre 2022.
(15) « Communication from the Commission to the European Parliament, the Council, the European Economic and Social Committee and the Committee of the Regions on the Report on Migration and Asylum ». Commission européenne. 6 octobre 2022.
(16) « Frontex, agence européenne de garde-frontières, évalue à + 70 % en un an les tentatives d’entrées illégales (MàJ: Son budget non validé par le parlement de l’UE, LFI et Renaissance ont voté main dans la main pour bloquer Frontex) ». Fdesouche. 18 octobre 2022.
(17) « Frontex admits wrongdoing, vows to make changes ». InfoMigrants. 18 octobre 2022.
(18) « L’UE se prépare au défi migratoire provoqué par la crise alimentaire ». Euronews. 12 juillet 2022.

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