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« Leçons à l’impératrice sur les origines de la civilisation française » de Numa Fustel de Coulanges

« Leçons à l’impératrice sur les origines de la civilisation française » de Numa Fustel de Coulanges

Dans La Reine Carla, livre très complaisant paru en 2010 au Rocher, le journaliste Patrick Weber, spécialiste des « têtes couronnées », établissait un parallèle flatteur entre la prima donna de l’Élysée et plusieurs de nos souveraines nées hors du pré carré, telles les deux Médicis, Marie-Antoinette et Joséphine de Beauharnais. Eugénie de Montijo manquait à l’appel. Et pour cause, l’Impératrice ne pensait pas qu’à la toilette et encore moins à la bagatelle. « Elle aimait à s’instruire et se faisait donner, par un certain nombre de professeurs, de véritable cours », commentait en 1930 l’universitaire suisse Pierre Fabre. Aussi, demanda-t-elle en avril 1870 à Victor Duruy « un conférencier capable de faire quelques causeries sur l’histoire». L’ancien ministre de l’instruction publique distingua le très jeune médiéviste Numa Fustel de Coulanges. Celui-ci répondit si bien aux attentes de la souveraine que, raconte Pierre Fabre, « les conférences, hebdomadaires au début, furent données ensuite plusieurs fois par semaine… Pour chacune d’elles, une voiture de l’Impératrice vint désormais chercher Fustel de Coulanges… Il déjeunait alors à la table impériale et donnait ensuite sa conférence. »

Sic transit : quand l’Impératrice des Français couronnait Fustel de Coulanges

Ces causeries se poursuivirent jusqu’en juillet. Elles englobent plusieurs millénaires, de l’Age de pierre à Louis XI, en passant par l’origine raciale et géographique des peuples indo-européens d’où sont issus nos ancêtres les Gaulois, la romanisation culturelle et juridique des nations celtes, d’autant plus réussie que les Romains chez lesquels dominaient « la volonté et l’esprit de discipline » apportèrent à « la race gauloise », dotée de si « grandes qualités, le courage et l’intelligence », ce qui justement lui manquait : « la constance dans les vues, la discipline » – cette discipline qui, professait l’historien, « chez les individus, fait les grands caractères et qui, chez les nations, fait les nations fortes ».

Chez saint Louis, la discipline était-elle d’essence religieuse ou aristocratique ? Les deux choses se conjuguant, Louis IX fut, selon le futur auteur de La Cité antique, « le plus habile et le plus heureux de tous les rois de l’Ancien Régime » en même temps que « le souverain le plus respecté de son époque », faisant régner une telle paix civile qu’aucune révolte n’éclata pendant son règle, même lorsque la croisade – la seule guerre qu’il entreprit car l’idée de courir sus à « un prince chrétien » lui faisait horreur – le retint loin du royaume.

Sans doute ces conférences, lumineuses d’intelligence et témoignant d’un remarquable esprit de synthèse comme d’un amour profond de notre pays, auraient-elles continué pour le plus grand plaisir d’Eugénie, qu’elles passionnaient, sans la désastreuse guerre contre la Prusse, qui provoqua la chute de l’Empire. Leur texte avait été publié en 1930, sous l’égide de l’École normale supérieure, que Fustel de Coulanges dirigea un temps, et de l’Académie des sciences morales et politiques, pour le centenaire de l’historien. Les éditions de l’Infini ont eu la bonne idée de ressusciter les Leçons à l’Impératrice sur les origines de la civilisation française, avec une excellente préface de David Mascré, personnage assez étonnant : docteur en mathématiques mais aussi en philosophie et en histoire des sciences, ce Pic de la Mirandole à peine quadragénaire est chargé de cours en mathématiques à l’université Paris V et professeur de géopolitique à l’Ecole des hautes études internationales ainsi qu’à l’Ecole des hautes études commerciales. On lui doit également plusieurs livres dont Crise, krach, collapsus et surtout Des barbares dans la cité (Editions de l’Infini) où il flétrit le « processus de délitement social, qui s’accompagne d’une perte des repères moraux et d’un éclatement des cadres normatifs » frappant les nations européennes en général et la France en particulier, sous « la pression médiatique liée à la diffusion toujours plus marquée du paradigme consumériste hédoniste au sein des sociétés occidentales ».

David Mascré – qui, en janvier 2011, a été coopté par Marine Le Pen au Bureau politique du Front national – rend un vibrant hommage à Fustel de Coulanges, ce « précurseur », devançant de près d’un siècle Marc Bloch et Fernand Braudel et qui plus que tout autre s’attacha à « illustrer et clarifier (…) ce mystère parmi tous les mystères du politique qu’est la France – la France comme nation, la France comme principe, la France comme civilisation ». Le préfacier tire aussi… la leçon de ces Leçons, à savoir qu’« être français », c’est être sensible à « un aristocratisme (…) qui fait la substance même du génie national de la France », « c’est assumer pleinement les valeurs de la chevalerie médiévale » car « on ne saurait être français sans se référer à ces valeurs archaïques qui sont constitutives de la civilisation parce qu’elles en sont au fondement même ». Pour lui, en effet, loin d’être des balbutiements ineptes, les commencements sont « porteurs des principes qui seuls sont appelés à durer ». A l’inverse, il s’aligne sur Charles Péguy et Ferdinand Brunetière pour lesquels « le basculement dans la modernité est un basculement dans l’idolâtrie », qui « se concrétise par le culte du Veau d’Or et la sacralisation de l’argent » et fait fi de « toutes les valeurs qui reposaient sur le sens du travail, du sacrifice et de l’honneur ».

C’est pourquoi, estime David Mascré , la lectures de ces Leçons s’impose à « tous ceux que font vibrer l’idée de patrie et le principe de l’identité nationale qui redevient un concept central ».

Claude Lorne
22/06/2011

Fustel de Coulanges : Leçons à l’impératrice sur les origines de la civilisation française, Introduction de David Mascré, Les Éditions de l’infini, [1930] 2011, 158 pages, 19,70 €.

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