Dans le texte ci-dessous, notre contributeur Pierre Boisguilbert évoque tous les combats sémantiques qui sont menés autour du conflit entre Israël et la Palestine par les diverses parties en présence en France. Le sujet est évidemment miné et tout propos sur ce conflit est inévitablement polémique mais il nous a semblé intéressant de partager avec vous ce texte qui ausculte les divers termes employés par les uns et les autres.
Polémia
Le choix des mots de Gilles Kepel
Le dernier livre de Gilles Kepel s’intitule Holocaustes. On notera le pluriel. C’est une réflexion sur le 7 octobre et Gaza. Kepel, spécialiste brillant du Moyen-Orient et de l’islamisme, est un habitué des plateaux médiatiques. Ses analyses condamnées par les islamo-wokistes le poussent en dehors de la sphère universitaire, ce qu’il ressent comme une insupportable humiliation.
Le titre de son livre est révélateur de la guerre sémantique qui est en train d’être livrée autour de Gaza. Holocauste était le mot employé par des historiens pour qualifier le sort réservé aux Juifs par les nazis avant d’être remplacé par celui de Shoah, plus spécifique et qui se voulait unique. Pas de pluriel pour la Shoah. Holocauste, explique l’auteur, est le sens religieux du sacrifice de masse. On l’entend peu dans les médias.
Pour le 7 octobre, il choisit un autre terme, celui de razzia. Certains s’en étonneront également car, le plus souvent, on a parlé de pogrom.
La razzia, mot arabe, désigne une incursion rapide pour saisir du butin. Un pillage accompagné de massacres parfois et de viols. Il n’y a dans ce terme aucune notion de victimes choisies en fonction de leur race ou de leur religion.
Ce n’est pas le cas de pogrom. Le pogrom est une razzia qui concerne les Juifs des pays de l’Est, et notamment de Russie. On voit l’importance du choix des mots. Kepel ne parle pas de génocide pour les Palestiniens de Gaza mais de massacres.
Un holocauste répondant à un autre.
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Génocide contre razzia
La gauche radicale islamo-gauchiste qui fait la loi à la Sorbonne où Kepel ne pourrait plus enseigner tente d’imposer dans les médias le terme de génocide.
Pour qu’il y ait génocide il faudrait que le gouvernement israélien ait pris la décision d’éradiquer les populations palestiniennes de Gaza.
Au Rwanda, on peut parler de génocide puisque le pouvoir hutu a décidé, sans le cacher, d’éradiquer la population tutsi. Mais c’est vrai qu’il y a des génocides moins revendiqués, comme celui des Arméniens.
L’emploi du mot génocide a pour but de retirer aux Juifs leur statut de victimes incomparables dans l’histoire du monde. Celui qui emploie ce terme veut aussi nazifier l’État israélien. Il ne va pas toujours jusqu’à nier le génocide jugé à Nuremberg, mais il le banalise et nie le pogrom du 7 octobre, considéré comme un acte de résistance.
Antisionisme et critique d’Israël
Les médias restent confus sur l’application de termes comme crimes de guerre ou crimes contre l’humanité, le terrain sémantique est un terrain visiblement miné.
Il en va de même de l’assimilation par certains de l’antisionisme à l’antisémitisme.
Il y a eu dans l’extrême droite française des antisémites farouchement pro-sionistes. Rien n’est jamais simple.
Il y a aussi des philosémites antisionistes, surtout à gauche. Certains considèrent que les Juifs, notamment américains et européens, sont tous pro-israéliens et donc complices du malheur des Palestiniens, qu’ils sont des colons occidentaux donc oppresseurs et massacreurs.
Il s’ensuit une critique de la défense d’Israël en Occident, notamment dans les médias, qui serait due à l’influence excessive des Juifs sur les démocraties occidentales.
On retombe là dans un antisémitisme classique que l’on croyait disparu après avoir été interdit. On se souvient qu’en 1990 l’historienne juive française, résistante puis communiste un temps, Annie Kriegel combattait fermement la loi Gayssot qui réintroduisait, selon elle, le délit d’opinion dans le droit français. Et elle fustigeait alors une « insupportable police juive de la pensée ». On en est bien loin. La police de la pensée est aujourd’hui islamo-gauchiste et certaines associations juives sont passés du stade de censeurs à celui de cibles. Le délit d’opinion a changé de procureurs, mais les inquisiteurs sont toujours là, sûrs de leur droit et de leur cause.
On notera pour sourire les étudiants de l’école de journalisme de Lille, usine à clones gauchistes qui ont occupé leurs locaux en interdisant l’accès aux médias. Le journalisme, finalement, c’est mieux sans les journalistes. Les étudiants de Lille veulent des militants de presse, ceux de Sciences Po des militants d’université dans un totalitarisme de vertu révolutionnaire. Cela fait penser aux grandes manifestations contre la guerre du Vietnam. Cela avait débouché sur le titre du Monde « Phnom Penh libérée » et au génocide par les Khmers rouges, célébrés d’ailleurs dans des pancartes à la Sorbonne. Comme pour les mains rouges, ils ne savent rien et ne comprennent rien, et se droguent de sémantique au risque d’overdose. Ils bénéficient d’une incroyable complaisance médiatique, d’un milieu largement gauchisé qui lui aussi ne tire leçon de rien et se prend les pieds dans le champ de mines médiatiques. Il les a posées depuis 40 ans, il s’y retrouve au milieu et ne se rappelle plus où il les a mises. Il regarde donc où il met les pieds, gare à l’explosion !
Pierre Boisguilbert
05/05/2024
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