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Forte déception des Français face à la nouvelle carte des régions

Forte déception des Français face à la nouvelle carte des régions

par | 3 juillet 2014 | Politique

Quel bon exemple de la suprématie des considérations politiciennes sur les nécessités économiques ! Selon les sondages, le nouveau découpage des régions tel que l’a présenté François Hollande, sans la moindre concertation avec les responsables actuels, ne satisfait nullement la majorité des Français. Outre le fait que cette nouvelle carte ne tient en général nullement compte des affinités traditionnelles des populations, ces dernières ont le sentiment que le projet présenté répond beaucoup plus à un souci politique et électoral qu’à un renforcement économique, à des simplifications administratives et à des économies sensibles de fonctionnement. Polémia a reçu de la Région Picardie la lettre que son président Claude Gewerc a adressée à tous les sénateurs qui ont déjà commencé à examiner le projet de loi déposé par le gouvernement, relatif aux délimitations des régions. Nous soumettons cette lettre à nos lecteurs, accompagnée d’une note technique afin qu’ils prennent connaissance concrètement des objections soulevées par les élus régionaux.
Polémia

Lettre du président de la Région Picardie

Le Président
À l’attention de Mesdames et Messieurs les Sénateurs

Amiens, le 27 juin 2014

Objet : projet de loi relatif à la délimitation des régions

Madame la Sénatrice, Monsieur le Sénateur,

Le Gouvernement a déposé le 18 juin au Sénat un projet de loi relatif aux délimitations des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, dont l’examen au Sénat a commencé la semaine suivante.

Ce projet de loi vise à réduire de 22 à 14 le nombre de régions métropolitaines afin de les rendre plus puissantes en augmentant leur population et leur superficie ; dans ce cadre, il prévoit le regroupement de la région Picardie avec la Champagne-Ardenne.

En tant que Président du Conseil régional de Picardie, je tiens à m’adresser directement à chaque parlementaire pour faire connaître mon opposition à ce projet pour trois raisons majeures.

La première raison, c’est que ce projet repose sur une conception du pouvoir régional qui est aujourd’hui dépassée ; bien plus que leur taille, ce qui fait la puissance des Régions françaises, malgré la faiblesse de leurs moyens financiers et le champ limité de leurs compétences, c’est leur capacité à mettre en réseaux et mouvement les acteurs de leurs territoires – entreprises, centres de recherche, Universités, partenaires sociaux, organisations professionnelles, banques, – grâce aux relations de confiance qu’elles ont su construire avec eux depuis plus de 30 ans.

Le renforcement des Régions passe donc davantage par un redimensionnement de leurs compétences dans des domaines qui concernent la préparation de l’avenir – et des moyens d’intervention qui doivent les accompagner – que par une modification de leurs limites administratives.

Ce qui compte, c’est la densité des échanges qui se nouent sur un territoire et la capacité des institutions à impulser leur développement ; une région de petite taille est mieux dimensionnée pour mobiliser les acteurs d’un territoire en mutation qui a construit des réseaux de relations interpersonnelles. Au demeurant, avec 2 millions d’habitants, la Picardie n’est pas une petite région puisqu’elle compte autant d’habitants que Malte, Chypre et le Luxembourg réunis.

La deuxième raison, c’est que ce projet présente un danger pour les Régions amenées à se regrouper dans la précipitation et contre leur gré, au regard justement de ce qui fait la nature même de leur force aujourd’hui.

La fusion des réseaux constitués dans les Régions Picardie et Champagne-Ardenne ne garantit a priori en aucun cas des gains pour chacune d’entre elles ; au contraire, en diluant les stratégies menées par chacune d’entre elles, sans qu’aucune raison ne permette de dégager une dynamique nouvelle partagée, c’est à une fragilisation des dynamiques de développement que nous assisterons.

Ne pas fusionner n’interdit pas de renforcer les coopérations, comme celle engagée entre la Picardie et la Champagne-Ardenne pour le pôle de compétitivité à vocation Industrie et Agro ressources.

Le projet de Canal Seine Nord Europe sera-t-il prioritaire pour la nouvelle région Picardie-Champagne-Ardenne, tournée vers l’Est ? Comment ce nouvel ensemble s’inscrira-t-il dans l’Europe du Nord-Ouest, dont les enjeux sont tournés vers la mer, alors que son poids sera détourné vers l’Est ?

Aucune étude n’a été menée de manière approfondie par le Gouvernement pour déterminer la pertinence de ce choix. Conduire un tel regroupement à l’aveugle est irresponsable, nous ne pouvons l’accepter.

De ce point de vue, la décision de la conférence des présidents de groupe du Sénat de renvoyer jeudi 26 juin l’examen de l’étude d’impact de la loi au Conseil Constitutionnel symbolise l’impréparation qui règne autour d’un projet qui consiste pourtant à bâtir de nouvelles institutions locales pour un temps long.

La troisième raison, c’est que dans une période de crise économique et sociale comme celle que nous vivons, où les acteurs économiques demandent de la stabilité et de la confiance, où nos concitoyens se sentent déstabilisés par la perte de repères culturels, le regroupement de la Picardie avec la Champagne-Ardenne apparaît comme un élément de fragilisation supplémentaire du tissu économique et social.

En 2009, 100.000 Picards avaient montré leur attachement à leur région en se réunissant autour d’une pétition pour demander que les limites de la Picardie restent inchangées.

Au terme de l’examen de ce projet, je regrette que le Gouvernement n’ait pas retenu une autre méthode qui, en privilégiant le temps et la concertation, aurait sans doute pu permettre qu’un vrai débat fasse émerger d’autres solutions pour l’avenir de la Picardie.

C’est ce qu’ont réclamé par deux fois à l’unanimité les élus du Conseil régional de Picardie dans les délibérations que je joins à cette lettre et dont je me fais le porte-parole.

Je souhaite maintenant que les parlementaires prennent en compte la voix des Picards et de leurs élus régionaux pour refuser la fusion avec la Champagne-Ardenne et créent les conditions d’un débat qui permette de faire émerger d’autres solutions pour l’avenir de la Picardie.

La Picardie ne craint pas le changement.

La Picardie est ouverte aux coopérations, comme elle l’a montré dans de nombreux domaines, avec les régions voisines.

La Picardie n’est pas sourde aux défis que doit relever notre pays ; elle est parmi les premières concernées. Et c’est justement pour cette raison qu’elle demande solennellement de pouvoir continuer à mobiliser toutes ses forces pour contribuer à la réussite nationale.

Je vous remercie de l’attention que vous porterez à ce courrier et vous prie de croire, Madame la Sénatrice, Monsieur le Sénateur, à l’assurance de ma parfaite considération.

Claude Gewerc

Note technique à propos de l’étude d’impact concernant le regroupement Champagne-Ardenne, Picardie

1. Considérations générales

Les données relatives aux différents regroupements ne sont pas homogènes et ne permettent pas à la représentation nationale de comparer la pertinence des regroupements proposés.

Les références documentaires sont fragiles (Wikipédia !) :

  • aucune mention n’est faite aux documents stratégiques des régions (SRADDT : Schéma Régional d’Aménagement et de Développement Durable du Territoire- SRDE : Schéma Régional de Développement Economique) ;
  • les données ne répondent à aucun cadre méthodologique et encore moins stratégique.

L’impact immobilier des fusions est sous-évalué dans la mesure où l’étude prend seulement en considération les besoins de salles de réunions des Assemblées d’élus nouvellement constituées sans tenir compte des besoins immobiliers des administrations régionales qui devront elles aussi être regroupées.

Au-delà, l’impact des mouvements de personnels des régions est totalement ignoré de l’étude, sur les plans à la fois juridique et financiers et en termes de ressources humaines.

2. Sur la méthode

Alors même que le législateur reconnaît depuis les premières lois de décentralisation la compétence des régions en matière d’Aménagement du Territoire, que cette compétence a été formalisée avec les SRADDT, dont le second projet de loi prévoit prescriptibilité, la Région n’a été à aucun moment sollicitée pour élaborer l’étude d’impact.

Il est par ailleurs paradoxal que les grands projets d’infrastructures fassent l’objet d’une procédure de débat public et que la reconfiguration substantielle de l’autorité en charge d’élaborer le schéma des infrastructures échappe à tout débat.

3. Pour la Picardie

Le SRADDT affirme la vocation de région d’équilibre fortement polarisée par la dynamique francilienne, mais ouverte au nord, à l’est et à l’ouest. Il se fonde sur la réalité des flux avec les régions voisines et dessine une stratégie s’appuyant sur une logique de métropolisation éclatée.

Le SRADDT de Picardie s’articule parfaitement avec le SDRIF d’Ile-de-France.

Chaque jour ce sont 103 000 Picards (2009) qui sont concernés par des migrations alternant avec la région Ile-de-France.

Si le phénomène touche plus particulièrement la frange francilienne de l’Oise et de l’Aisne, il s’étend progressivement vers le nord, à Amiens en particulier.

L’appartenance au Bassin Parisien est une réalité qui permet à la Picardie, à la différence de la Champagne-Ardenne, de conserver un dynamisme démographique relatif dans le nord de la France.

La réalité des flux comme des réseaux existants ou projetés place la Picardie dans un axe de développement nord-sud, avec des complémentarités potentielles avec le Nord-Pas-de-Calais et la Normandie. Il s’agit en particulier de la façade maritime. Contrairement à ce que relève trop rapidement l’étude d’impact, la Picardie n’a pas véritablement de façade maritime, la Côte Picarde étant plus un lieu de villégiature que d’activités portuaires.

Le projet de Canal Seine Nord Europe lui donne une position privilégiée d’arrière-port de la Normandie et du Nord-Pas-de-Calais.

Au plan économique, la présence des industries chimiques, automobiles, aéronautiques, ferroviaires comme une stratégie fondée sur la troisième révolution industrielle rapproche la Picardie de la Normandie et du Nord-Pas-de-Calais.

L’agriculture picarde majoritairement céréalière et bocagère aux franges de la région présente une grande homogénéité, ce qui la distingue de celle de Champagne-Ardenne.

Dans ces conditions, un rapprochement avec Champagne-Ardenne, dans sa totalité, ne répond ni à l’objectif de mise en cohérence des bassins de vie et d’emplois, ni à la volonté de conforter la puissance des régions. Au contraire, elle porte le risque de dilution stratégique, sans offrir de perspectives nouvelles mobilisatrices aux territoires concernés.

Amiens, le 27 juin 2014

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