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« Fascisme » : retour sur un terme en vogue

« Fascisme » : retour sur un terme en vogue

par | 11 janvier 2022 | Politique, Société

Par Johan Hardoy ♦ Une mise au point sémantique de bon aloi : Fascisme, histoire d’un concept, Éditions L’Artilleur (463 pages, 23 euros). Diplômé de Yale et enseignant en sciences politiques, Paul Gottfried est un intellectuel conservateur influent aux États-Unis. Son dernier livre paraît opportunément à une époque où le « fascisme » est rituellement invoqué pour disqualifier l’objet d’un discours en l’amalgamant aux thèses et aux pratiques du nazisme.
Sur les réseaux sociaux, la situation est telle que la loi empirique énoncée par l’avocat américain Mike Godwin, dite « loi de Godwin », se vérifie régulièrement. Ainsi, à l’issue d’une vive discussion, l’un des interlocuteurs accuse immanquablement son adversaire d’accointances avec Hitler, le nazisme ou la Shoah ! De fait, trois-quart de siècle après ces événements historiques, les passions partisanes s’échauffent au fur et à mesure que nous nous en éloignons…
Dans son ouvrage, Paul Gottfried démontre que l’utilisation erronée de ce terme révèle surtout l’ignorance des locuteurs. Il s’efforce d’en donner une définition rigoureuse pour éviter l’emploi d’un mot chapeau visant à désigner des injustices de natures diverses survenues postérieurement au contexte historique particulier qui a vu éclore le fascisme.

Définir le fascisme

La question de savoir si les mouvements et programmes fascistes présentaient ou non un contenu uniforme et cohérent anime les débats universitaires depuis que les partisans de Mussolini ont marché sur Rome en octobre 1922. De nombreux fascistes, dont le Duce lui-même, étaient des transfuges de la gauche, contempteurs de la voracité des capitalistes et volontiers anticléricaux. Tout en exaltant le collectif et en s’opposant au marxisme, leurs références intellectuelles puisaient aussi bien dans les idées des contre-révolutionnaires du siècle précédent que dans celles des futuristes de Filippo Tommaso Marinetti, car leur doctrine se voulait « une idée du futur » embrassant la modernité.

De leur côté, les marxistes ont assimilé très tôt le fascisme au « capitalisme avancé » en disséquant les relations entretenues par les gouvernements fascistes, ou qualifiés tels, avec le grand capital confronté à la montée du communisme. Ainsi, les guerres d’agression lancées par les dirigeants fascistes auraient eu pour objectif de faire taire les désaccords internes, de relancer les économies capitalistes en stagnation en reconstituant des industries d’armement et d’ouvrir des marchés extérieurs tout en vassalisant les populations étrangères.

Certains milieux conservateurs s’opposaient également au capitalisme par le biais d’une critique néo-médiévale axée sur le corporatisme et la doctrine sociale catholique. Ces idées ont imprégné les partisans du fascisme des pays latins, y compris dans les groupes anticléricaux.

Selon Stanley Payne (le préfacier du livre), la vision du monde fasciste est marquée par un « autoritarisme nationaliste s’appuyant sur le parti unique », la « recherche d’une idéologie synthétique ethniciste », la présence d’un chef charismatique, une économie politique corporatiste et un « principe philosophique d’activisme volontaire libre de tout déterminisme ».

L’historien israélien Zeev Sternhell retenait quant à lui la thèse de l’origine française des idées fascistes en notant l’influence profonde de penseurs nationalistes comme Maurice Barrès et Charles Maurras et du théoricien du syndicalisme révolutionnaire Georges Sorel.

Pour ce qui concerne la France, Payne remet en cause l’ancienne vision selon laquelle Vichy incarnait des principes fascistes. Selon lui, ce régime était avant tout un satellite facilement contrôlable de l’Allemagne nazie, dirigé par des technocrates maniant une rhétorique nationaliste mâtinée de théorie sociale catholique.

En Espagne, la Phalange espagnole, dont les fondateurs avaient été exécutés par leurs ennemis au début de la guerre civile, n’a apporté qu’une dimension esthétique au régime conservateur de Franco.

Payne établit ainsi une distinction nette entre les gouvernements autoritaires et nationalistes et le véritable fascisme qui se situait dans la continuité des mouvements populaires nationaux du siècle précédent tels que ceux qu’avaient initiés Garibaldi et Mazzini en Italie.

Fascisme et totalitarisme

Après-guerre, l’historiographie du fascisme a été influencée durablement par la conception d’un « totalitarisme » propre à la modernité. L’interprétation d’Hannah Arendt rejetait ainsi l’approche du fascisme vu comme un phénomène unitaire. Cet auteur considérait qu’il existait un fossé entre le gouvernement de l’Allemagne nazie et celui de l’État fasciste italien, malgré l’exaltation rhétorique par Mussolini d’un « stato totalitario », tout en soulignant les points de convergence entre les nationaux-socialistes et les staliniens. Ces conceptions totalitaires ont fleuri sur un terreau marqué par un « effondrement du système de classe » engendrant une atomisation sociale et une rupture avec l’autorité traditionnelle, tout en promettant la venue d’un nouvel âge d’or à une population assujettie.

De fait, à la différence des dictateurs russes et allemands, les fascistes italiens se virent contraints, à partir du pacte du Latran de 1929, de partager leur espace social et éducatif avec l’Église. Après le débarquement allié en Sicile, le Duce lui-même fut chassé du pouvoir par le Grand Conseil du fascisme avant d’être arrêté sur ordre du monarque italien.

Les descriptions du gouvernement totalitaire soulignent la modernité du sujet, par-delà l’opposition classique entre la gauche et la droite. L’écrivain George Orwell dépeint, dans 1984, un système d’oppression qui emprunte aussi bien des traits nazis et staliniens, avec l’instrumentalisation par Big Brother d’une guerre perpétuelle afin d’unifier ses sujets et la diabolisation de l’opposant juif Goldstein. [Johan Hardoy : toute ressemblance avec l’actuelle « guerre au virus et à ses variants » qui promet d’être perpétuelle et avec les diatribes officielles à l’égard des non-vaccinés ne serait pas fortuite, même si la comparaison avec les totalitarismes nazis et soviétiques n’est évidemment pas pertinente.]

La postérité du fascisme

L’historien allemand Ernst Nolte remarquait que la Première Guerre mondiale fut le socle du fascisme et la Seconde Guerre mondiale son principal résultat. Cette doctrine ne considérait pas qu’il existait d’instance de jugement supérieur à celle de la guerre et le verdict des armes se fit pourtant à ses dépens. Depuis lors, la « transformation du fascisme en tabou » dans la culture politique européenne est allée si loin que l’ensemble des forces conservatrices « se sont distanciées de tout ce qui pourrait, même vaguement, être associé aux mouvements fascistes. »

Dans Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, Marx observait malicieusement que l’Histoire se produit une première fois en tant que drame et une seconde fois en tant que farce. Ainsi, depuis les années 1960, la gauche socioculturelle a adopté, à travers de nombreuses variations, le paradigme idéologique « antifasciste » comme clef de compréhension des événements politiques, culturels et sociaux, quand bien même l’objet de leur attention n’aurait aucun rapport avec le fascisme historique. Cette perspective présente l’avantage de faire oublier les soutiens intellectuels adressés durant une longue période à des dictateurs meurtriers tels que Staline et Mao.

Cette rhétorique est également utilisée par les gouvernements d’Europe occidentale et les médias dominants à l’égard de ceux qui dévient de la logique progressiste fixée par l’Union européenne. Ainsi, en 2014, Viktor Orbán a été vilipendé par le Wall Street Journal pour avoir osé dire que la Hongrie devait demeurer un État-nation où tout le monde devait parler la même langue et où la religion chrétienne devait demeurer le point de référence religieux !

Il semble évident que cette furie antifasciste est liée au souvenir du génocide des Juifs sous le régime nazi. Paul Gottfried demande pourtant si ces crimes avérés doivent faire oublier ceux des régimes totalitaires communistes, voire même ceux commis par les armées anglo-saxonnes pendant la dernière année de la Seconde Guerre mondiale.

Johan Hardoy
11/01/2022

Johan Hardoy

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