Par Jean-Yves Le Gallou ♦ Le 5 juillet dernier, le Parlement européen a désapprouvé le mandat de négociations confié à la commission des affaires juridiques quant à la directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique. Cette directive vise à renforcer la protection du droit d’auteur. Un objectif louable sur le papier.
Mais cette directive pose d’énormes problèmes sur deux points. Premièrement, elle vient inévitablement limiter la liberté d’expression. Deuxièmement, plusieurs articles remettent en cause le fonctionnement d’internet tel que nous le connaissons depuis des décennies et risquent de mettre en place des usines à gaz extraordinairement dangereuses.
La fin de Wikipédia ?
L’article 11 concerne les éditeurs de presse – comprendre les médias européens – et vise à les protéger contre « l’utilisation de leur contenu ».
Tout cela parait parfaitement louable de prime abord. Mais, en réalité, les conséquences seraient absolument dramatiques. Il s’agit en effet de conditionner la citation d’un passage d’un article à l’autorisation préalable du média cité !
C’est absolument délirant puisque le droit de citation a toujours été reconnu par la jurisprudence française et que le fonctionnement d’internet repose sur les citations et les échanges de liens.
La démonstration la plus flagrante de l’absurdité de cette mesure, c’est bien sûr l’impact qu’elle aurait sur l’encyclopédie en ligne Wikipédia. Ce site internet parfaitement connu de tous les internautes repose en effet en grande partie sur la citation de sources médiatiques ! L’entrée en vigueur d’une norme européenne contraignante à ce niveau signifierait tout simplement que Wikipédia serait rendue caduque.
L’association Wikimédia France ne s’y est pas trompée en déclarant : « Avec près d’un million de pages modifiées par mois, obtenir ces autorisations pour les centaines de sources ajoutées est du domaine de l’impossible. »
Et l’association de conclure : « De manière générale, créer des liens hypertextes, citer de court extraits et partager du contenu sont des composantes fondamentales d’Internet et de la liberté d’expression. Mettre en place ces contraintes représente une menace pour l’ensemble d’Internet et la liberté d’expression. » On ne saurait mieux dire !
Les Gafa, de censeurs à défenseurs de la liberté d’expression ?
Alliés inattendus des défenseurs de la liberté d’expression et du fonctionnement classique d’internet, les grandes multinationales du numérique (Google, Amazon, Facebook, Apple, etc.) se sont levées contre ce projet de directive européenne.
En cause, l’article 13 qui rendrait obligatoire un filtrage a priori des contenus protégés par le droit d’auteur. Concrètement, Youtube ou Twitter, par exemple, seraient responsables de tout contenu protégé par un droit d’auteur quelconque publié sur la plateforme.
Dans les faits, c’est quasiment impossible, sauf à développer des algorithmes surpuissants ou – totalement illusoire – valider chaque contenu à la main.
Si l’on regarde le fonctionnement de Youtube aujourd’hui, il existe deux méthodes employées par l’entreprise américaine possédée par Google : premièrement, il existe bien un contrôle a priori par le biais d’un algorithme repérant les contenus protégés les plus évidents. Ce contrôle n’est pas parfait mais est déjà un premier filtre. Deuxièmement, Youtube n’hésite pas à répondre très rapidement aux demandes des ayant droits en appliquant même une présomption de culpabilité aux utilisateurs ayant été signalés par des ayants droit.
Un dispositif qui pénalise déjà énormément la liberté d’expression.
L’article 13 signerait l’arrêt de mort de tous les sites participatifs. Non seulement ceux hébergeant du contenu posté par les utilisateurs (Youtube, FlickR, SoundCloud, etc.) mais aussi tous les sites hébergeant des forums de discussions sur lequels des utilisateurs échangeraient des images non-libres de droit !
L’Union européenne voudrait mettre en place une dystopie kafkaïenne qu’elle ne ferait pas autrement !
La liberté d’expression en péril
En fait, au travers de ce projet de directive, on ne peut s’empêcher de penser à la censure inique a laquelle a été soumise TV Libertés de la part de Youtube. Le dispositif actuel de protection du droit d’auteur a déjà permis de justifier honteusement la censure d’un média alternatif avec plus de 2 500 vidéos produites sans jamais poser le moindre problème.
Imaginez ce qu’il se passerait si cette directive ultra-contraignante était votée !
L’ironie de la situation, c’est que des censeurs comme Youtube sont désormais obligés de reconnaître que la défense absolue du droit d’auteur peut-être un gros frein à leur activité ainsi qu’à la liberté d’expression en règle générale ! C’est une drôle de leçon que l’Union européenne est donc en train de leur donner.
Malheureusement, la défense du droit d’auteur est un beau principe utilisé par l’Union européenne pour tenter de verrouiller totalement l’information en donnant tous pouvoirs aux grands médias pour détruire juridiquement ceux qui auraient l’audace de reprendre leur contenu, même pour le critiquer !
Internet a toujours fonctionné par l’échange de liens et les citations. Le législateur européen a décidé de s’attaquer à ce principe fondamental.
Tout comme les élites ont voulu réguler l’échange de fichier en « peer to peer » avec la loi Hadopi, souhaitons que leur volonté totalitaire se heurte une nouvelle fois au réel.
Jean-Yves Le Gallou
02/08/2018
Crédit photo : Domaine public, via PixaBay
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