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De Dieudonné à Dominique Venner, la liberté d’expression face à un scandale judiciaire et politique

De Dieudonné à Dominique Venner, la liberté d’expression face à un scandale judiciaire et politique

Polémia prend ses quartiers d’été, tout en gardant un œil attentif sur l’actualité. En attendant la rentrée, en plus des articles inédits que nous continuons à publier, retour sur les articles les plus consultés et les plus appréciés depuis l’été dernier sur Polémia. Voici aujourd’hui un texte publié le 23 mai dernier.

Par Eric Delcroix, juriste, essayiste et écrivain, auteur de Droit, conscience et sentiments ♦ La loi de 1881 a supprimé la censure préalable et affirmé la liberté de la presse. La loi de 1907 a fixé les règles de la liberté de réunion et le détournement de pouvoir. L’arrêt Benjamin de 1933 a protégé la liberté de réunion. Puis, en 2014, la jurisprudence Dieudonné a rétabli la censure préalable au motif que le susdit avait été plusieurs fois condamné par la loi Pleven et pourrait donc, par présomption de culpabilité, recommencer.
Le délire Darmanin applique la censure préalable à toute réunion arbitrairement qualifiée « d’ultra droite », y compris lorsque les intervenants n’ont jamais été condamnés pour délit d’opinion. Délit d’opinion que le juge administratif prend en charge d’apprécier indépendamment et sans les protections du juge pénal comme on l’a vu dans l’arrêt Génération identitaire. L’Institut Iliade, dont le colloque d’hommage à Dominique Venner a été interdit par le préfet de police, a été victime d’un basculement totalitaire du régime.
Nos lecteurs trouveront ci- dessus une analyse juridique très étayée de Maître Éric Delcroix.
Polémia .

En France, guerres exceptées, la censure préalable en matière d’expression verbale ou écrite a été abolie en 1881 (loi sur la liberté de la presse), mais elle a été restaurée, en catimini et de façon captieuse, en 2014. En effet, par une décision stupéfiante du 9 janvier 2014, infirmant une ordonnance de référé-liberté du président du tribunal administratif de Nantes, le président de la section du contentieux du Conseil d’État a validé l’arrêté d’interdiction du spectacle de Dieudonné « Le Mur », prononcé par le maire d’Orléans.
Décision grave et inquiétante, puisque fondée sur l’idée redoutablement perverse de présomption de commission à venir d’un délit de presse et plus précisément d’opinion (voyez infra), au demeurant de la seule compétence des juridictions judiciaires et non pas administratives.
Au bout du compte, Dieudonné ne s’en remettra pas, mais les conséquences de la décision signée alors par le président Bernard Stirn sont redoutables, faisant fi de la séparation des pouvoirs administratifs et judiciaires, aussi convient-t-il d’en analyser la structure et les conséquences.

Un citoyen privé de libertés publiques ?

S’appuyant sur la récente circulaire, grossièrement arbitraire, de Gérald Darmanin contre l’« ultra-droite », le préfet de police de Paris avait interdit les manifestations organisées pour le dimanche 14 mai 2023 en l’honneur de Jeanne d’Arc par des mouvements nationalistes. Le président du tribunal administratif de Paris avait suspendu ces interdictions prises à l’encontre de l’Action française et de Place d’Armes, mais non pas l’interdiction de la célébration johannique des Nationalistes d’Yvan Benedetti.

Ainsi, tout événement public organisé par M. Benedetti pourra être frappé d’interdit car, ayant été apparemment condamné par le passé au titre de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, il pourrait de nouveau commettre une telle infraction par quelques cris, slogans ou banderoles à l’adresse du public. Jusqu’où pourra aller ce type d’interdiction civique personnelle ?

Il s’agit bien là de l’application de la jurisprudence dite Dieudonné[i] de 2014. Or :

  • D’une part c’est présumer du discours futur du sujet, là Dieudonné, ici Yvan Benedetti, qui pourtant, comme toute personne, bénéficie de façon irréfragable de la liberté d’expression publique en vertu de la loi précitée ;
  • D’autre part, le juge administratif, en violation flagrante de la séparation des pouvoirs, se substitue là au juge judiciaire qui seul peut prononcer, quand la loi l’y invite, des incapacités ou interdictions à titre de peines complémentaires (lesquelles en matière de presse ne peuvent jamais être une censure préalable).

Le risque de réitération[ii] de l’infraction quant à sa commission à venir, purement hypothétique, relève de la seule vigilance légale et a posteriori du Parquet, de la police judiciaire qui est à sa disposition et des ligues de vertu délatrices habilitées par la loi.

Les juridictions administratives sont institutionnellement étrangères à tout cela, le Parquet n’y joue aucun rôle et elles n’ont donc aucune ouverture sur la fonction judiciaire. Questions :

  • 1°- Pour combien de temps va-t-on interdire Dieudonné et ce militant de manifestation, de réunion, de colloque, de parole ? Ad vitam æternam ? Sous l’empire des juridictions judiciaires, au moins et n’en déplaise au président Stirn, la mort civile n’existe plus.
  • 2°- Comment la juridiction administrative peut-elle fonder une censure préalable, sous le couvert de la loi de 1881, qui est du ressort exclusif de la juridiction judiciaire, et qui subsidiairement aboli celle-ci depuis maintenant plus de cent cinquante ans ?

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« Pas de liberté pour les ennemis de la Liberté »

Autre exemple d’actualité le préfet de police de Paris, par un arrêté du 19 mai 2023, a interdit la réunion d’hommage à la mémoire de Dominique Venner (1935-2013) prévue à Paris le 21 mai par l’association Institut Iliade, motif pris essentiellement que :

Considérant que certains intervenants à cet hommage sont connus pour tenir [des] propos incitant à la haine et à la discrimination envers un groupe de personnes … constitutifs du délit … par l’article 32 de la loi du 29 juillet 1881… »

Le préfet de police s’est donc engouffré dans la brèche ouverte par les cas Dieudonné et Benedetti et a prononcé, à l’encontre de gens qu’il n’est même pas capable d’identifier (« intervenants … connus »), cette censure préalable qui, comme on l’a vu, n’est même plus dans les attributions de la juridiction judiciaire depuis 1881 ! Là on ne prononce pas des peines complémentaires illicites comme contre quelques condamnés fantômes, mais l’administration rétablit contre on ne sait qui cette vieille censure préalable, restaurée encore et toujours au nom de la loi qui l’a abolie.

Et le comble, c’est que le président du tribunal administratif de Paris va rejeter le référé-liberté d’Iliade[iii] sans même demander raison au préfet de police de ces « intervenant … connus » … Qui a fait quoi ?

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On connaît le terrible aphorisme de Saint-Just, « pas de liberté pour les ennemi de la liberté », lequel présuppose la prétention métaphysique de connaître la Vérité et d’oser s’en prétendre l’étalon de référence, apte en tant que tel à dire le Bien et à juger le Mal… Il est vrai que nous vivons de nos jours sous l’illusion perverse de l’opposition du Bien et du Mal.
Or, la question qui est posée ici est d’une importance primordiale, puisque nous voyons réapparaître (en France depuis la loi Pleven de 1972), sur fond d’ordre moral anti-discriminatoire, des délits d’opinion qui permettent aux juges, administratifs, judiciaires, voire d’une justice privée (cf. les pratiques sur Internet) n’importe quelle dérive, jusqu’à choir dans la démesure, la partialité et l’arbitraire.
Et si le juge judiciaire s’en tient toujours, dans sa sphère de compétence au refus de la censure préalable, le juge administratif s’y adonne en abus d’un droit qui n’est en rien le sien. Et ce juge administratif, que l’on connut si sage, se livre aux pires licences, au point de prononcer au surplus des substituts de sanctions pénales au lieu et place du juge judiciaire.
Y a-t-il un juriste au prétoire ?

Conclusion désabusée

La question du délitement de la rigueur juridique tient à la déraison qui consiste à nier les délits d’opinion, refuser donc de les nommer, en leur donnant un statut extra-légal d’immoralité, au regard de la morale anti-discriminatoire. Même les Américains, avec la liberté absolue d’expression garantie par le Premier amendement de leur constitution, trouvent in fine le subterfuge, celui de la morale au nom des bonnes mœurs.

Le Système nie les délits d’opinion et veut donc qu’ils soient considérés à l’aune des bonnes mœurs, faisant appel à la subjectivité dans laquelle le juge se dissout. Tout dissident est traité comme un pédopornographe, quelqu’un dont personne ne plaindra le sort…

Seul l’égalitarisme sera désormais accepté dans tout l’Occident, c’est devenu une question de bonnes mœurs.

Éric Delcroix
16/08/2023 – Publication initiale le 23/05/2023

[i]       Décision d’appel de référé-liberté (n°374552) du président de la section du contentieux du Conseil d’État, 11 janvier 2014, signée Bernard Stirn.
[ii]      Réitération, car la récidive, avec son cortège d’aggravations, n’existe pae en matière de droit de la presse.
[iii]     Ordonnance du 22 mai 2023, soit post facto, après une saisine du 20, pour un arrêté querellé du 19. Pour Dieudonné, entre la décision favorable de Nantes et l’appel au Conseil d’État, il s’était passé 3 heures.

Éric Delcroix

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