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« À propos des dieux. L’esprit des polythéismes », odyssée spirituelle dans le monde des nuances

« À propos des dieux. L’esprit des polythéismes », odyssée spirituelle dans le monde des nuances

Par Rémi Soulié, auteur de Racination ♦ Comment échapper à la malédiction du « dernier homme » ? En « retrouvant l’esprit des polythéismes ». Remi Soulié philosophe, critique littéraire et essayiste nous offre une lecture critique de À propos des dieux, l’ouvrage de Jean-Francois Gautier publié par l’Institut ILIADE aux Éditions de la Nouvelle Librairie. Accord sur les deux dyades Hermès/Hestia et Apollon/Dionysos. Mais disputatio sur Platon. À lire et à méditer.
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Les dieux sont immortels mais ils connaissent eux aussi aurores et crépuscules : à l’aurore grecque, leurs lumières, et même leurs ombres, resplendissent ; au crépuscule hespérique, leurs silhouettes s’effacent au point que les mortels ne les voient plus. Dès lors, ils sont réputés morts ou enfuis, retirés en Empyrées et Élysées. S’ouvrent alors les derniers temps de l’âge de fer : à la béance du chaos initial répond le chaos final où le cycle prend fin avant que le dieu, comme dit Platon, reprenne le gouvernail pour commencer un nouveau cycle.

Il est toutefois des hommes pour qui les dieux ne meurent pas parce qu’ils connaissent leur nature : ainsi, les poètes éprouvent toujours leur présence et certains philosophes en gardent mémoire et leçons. Jean-François Gautier se situe à l’évidence dans cette dernière catégorie, comme en atteste l’étude riche et dense qu’il consacre à l’« esprit des polythéismes », lecture particulièrement salubre en ces temps de détresse où se font face les monomaniaques – littéraux et littéralistes – et les derniers hommes, avers et revers de la même médaille que l’on n’hésitera pas à qualifier de miraculeuse tant elle défie l’entendement le plus rassis.

À propos des dieux nous ouvre donc le monde des nuances, où l’harmonie et la mesure n’impliquent pas le dépassement des contraires mais leur accord musical, fût-ce dans l’apparent discord polémique. Sans doute est-ce là, plus que dans une arithmétique somme toute élémentaire, que les polythéismes se distinguent le plus des monothéismes.

Jean-François Gautier met ainsi en présence Hestia et Hermès, Apollon et Dionysos. La première dyade divine se partage respectivement les espaces intérieur et extérieur du foyer, de la cité et des colonies. Avec ses Annonciations, la peinture italienne de la Renaissance s’en souviendra, de même que les peintres hollandais. La seconde se partage quant à elle l’un et le multiple tout en se nourrissant chacune de son opposé. L’éthique tend dès lors au juste milieu, non celui de la médiocrité mais de l’équilibre ; la politique, que n’anime « aucune prétention à l’unique et à l’universel », dépend de la « facticité » des situations et repose sur la vertu civique ; la communauté et le bien commun priment sur toute autre considération.

La dernière étape de cette odyssée spirituelle décrit le délicat passage du mythos au logos, aussi périlleux à franchir que le détroit de Messine gardé par Charybde et Scylla. Des présocratiques à Platon en passant par Héraclite et Parménide, Jean-François Gautier en évite les nombreux écueils, ceux qui passent et ceux qui demeurent.

Gageons que ce livre suscitera des discussions. Notre monde est certes bien éloigné du paganisme tel que le comprend Jean-François Gautier mais je crains que sa récusation du platonisme, comme en témoigne également le regard qu’il porte sur les sophistes et sur Démocrite, ne soit à double tranchant. En d’autres termes, le relativisme, le matérialisme et le pragmatisme ne sont-ils pas des menaces ? Ne sont-ils pas les meilleurs alliés, de fait, de l’universalisme niveleur et de l’unique vérité du marché mondial ? « (…) construire sans fin du sens dans un cosmos sans but », « inventer le devenir » n’est-ce pas là, précisément, la principale occupation des déconstructeurs, des contempteurs de la logocratie platonicienne et des rhéteurs libéraux ?

« Prier, écrit Jean-François Gautier, ce n’était pas faire du monde le premier langage du Dieu unique ; c’était agir en sorte que le monde fut le premier sanctuaire des dieux pluriels, l’oratoire de leur diversité et, par la même, le réceptacle d’une collégialité civique en équilibre. » Action, pluralité, diversité, citoyenneté : il semblerait que nous soyons abreuvés, aujourd’hui, aux mêmes sources. De deux choses l’une : ou le monde moderne résulte au moins autant d’une « sécularisation » du paganisme et du christianisme, ou le paganisme, et c’est ce que je pense, ne peut pas se passer de Platon. Pour le dire différemment, Platon incarne tout ce que le monde moderne abhorre. Je propose donc à Jean-François Gautier un compromis : le langage est le premier monde des dieux ; c’est en quoi ils ne cessent jamais de nous faire signe.

Rémi Soulié
06/06/2020

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