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Ukraine : l’Europe doit se désolidariser des Américains, par Bruno Mégret

Ukraine : l’Europe doit se désolidariser des Américains, par Bruno Mégret

Par Bruno Mégret, polytechnicien, haut fonctionnaire, essayiste ♦ La guerre en Ukraine évolue de façon très inquiétante. Le jusqu’au-boutisme des Américains ouvre en effet le risque d’une guerre nucléaire qui pourrait être fatale au monde européen.

Les Américains jettent de l’huile sur le feu…

Organisant la mobilisation générale contre la Russie, les Américains jettent de l’huile sur le feu. Accuser Poutine des pires ignominies, le traiter de boucher, parler de crimes de guerre et de génocide, le menacer de la Cour pénale internationale, c’est se couper de toute négociation possible avec lui. Ensuite, soutenir l’armée ukrainienne en s’engageant massivement à ses côtés au point de planifier maintenant des livraisons d’armes pour vingt milliards de dollars, c’est prolonger, voire étendre le conflit avec les pertes matérielles et principalement humaines qui en résultent. Enfin, c’est surtout s’engager ouvertement dans la guerre contre les Russes avec la volonté de les battre militairement.

… après avoir cherché à piéger les Russes

Un projet dont on peut d’ailleurs se demander s’il ne s’inscrit pas dans une stratégie conçue de longue date. Tout se passe en effet comme si les Américains avaient cherché à piéger le maître du Kremlin en refusant toute négociation avec lui sur la sécurité en Europe et en annonçant ensuite que pas un soldat américain ne viendrait défendre l’Ukraine. À la manière dont ils avaient poussé Saddam Hussein à l’invasion du Koweit, ils auraient ainsi délibérément créé les conditions de la réaction agressive des Russes pour, dans un deuxième temps, organiser contre eux une mobilisation générale de tout le monde occidental.

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Mais si Poutine est acculé, le pire devient possible

L’erreur dramatique des Américains est que Poutine n’acceptera jamais de subir une défaite militaire. Et, s’il n’est pas question ici de défendre l’intéressé et de nier sa responsabilité première dans le conflit et dans les drames, voire les exactions qui en résultent, le devoir des dirigeants confrontés au chef d’État russe n’est pas d’aller pleurer dans les médias comme certains responsables américains mais d’agir lucidement en tenant compte des contraintes géopolitiques comme des réalités psychologiques.

A cet égard, il est clair que si Poutine est acculé à subir une défaite militaire, il utilisera l’arme nucléaire. On peut penser et espérer que ce sera, dans un premier temps au moins, l’arme nucléaire tactique sur le théâtre du champ de bataille, mais personne ne peut prévoir ce qu’il adviendra après une telle escalade de la violence guerrière.

L’Ukraine doit mener une guerre qu’elle aurait pu éviter…

Alors pourquoi prendre un tel risque ? S’agit-il de la souveraineté de l’Ukraine ? Un pays ne cesse pas d’être souverain si ses dirigeants, en sages politiques, tiennent compte des contraintes géopolitiques auxquels il est soumis. Faute d’avoir voulu le faire, les Ukrainiens ont été entraînés dans la guerre d’une façon pour le moins paradoxale : ils subissent une invasion russe pour avoir voulu se protéger d’une invasion russe (en cherchant à adhérer à l’Otan) ! Le président Zelensky porte donc sa part de responsabilité dans cette guerre en n’ayant pas accepté pour son pays un statut de neutralité, statut qui n’a rien au demeurant de déshonorant. Aussi est-il mal placé pour exiger aujourd’hui de tous les pays occidentaux qu’ils s’engagent sans réserve à ses côtés dans une guerre qu’il aurait peut-être pu éviter par une attitude plus prudente. Une guerre dans laquelle lui et son peuple sont d’ailleurs de surcroît instrumentalisés par les États-Unis.

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… et se trouve instrumentalisée par les Américains pour détruire la puissance russe

Si les Américains prennent le risque d’une escalade militaire avec la Russie, c’est en effet pour un enjeu à leurs yeux bien supérieur à celui du devenir de l’Ukraine. Il s’agit pour eux d’en finir avec la puissance russe. Une puissance qu’ils ne contrôlent pas et dont ils détestent les valeurs politiquement incorrectes. Mais cet acharnement américain contre la Russie montre en tout cas combien les États-Unis peinent à prendre en compte les réalités nouvelles du monde actuel. Après leur victoire sur l’URSS ils ne sont pas devenus en effet les maîtres du monde car ce dernier n’est pas passé d’une organisation bipolaire à une structure unipolaire mais à une planète structurée en plusieurs pôles de puissance. Leur ennemi, ou leur adversaire, comme le nôtre, n’est donc pas la Russie mais bien plutôt les puissances émergentes qui veulent prendre leur revanche sur l’Europe et le monde occidental qui les ont dominées pendant plusieurs siècles. Les Américains seraient donc bien avisés de comprendre ce grand basculement et d’en tirer les conséquences : pour faire face à ces nouvelles puissances comme la Chine et dont beaucoup sont animées par le ressentiment ou l’esprit de vengeance, les États-Unis gagneraient à avoir à leur coté une vraie puissance européenne autonome et une Russie forte qui reste européenne.

L’Union européenne devrait se désolidariser des États- Unis pour imposer la désescalade

D’ici là, et pour en revenir à la guerre en Ukraine et au risque majeur d’une escalade nucléaire, je considère qu’il est de la responsabilité historique de l’Union européenne de se désolidariser officiellement des États-Unis et, forte de cette nouvelle légitimité, de se positionner avec autorité comme une puissance d’apaisement et de désescalade, écartant les Américains et poussant les deux parties à la négociation. Telle est l’initiative que devrait prendre rapidement l’actuel président de l’Union européenne, Emmanuel Macron. Et peu importe si certains pays comme la Pologne s’opposent à une telle prise de position, l’enjeu est trop important pour ne pas passer outre. Il s’agit en effet d’éviter le risque d’une guerre qui d’ailleurs ne serait pas mondiale. Car cette guerre n’embraserait que l’Europe et l’Amérique du nord. Elle conduirait au suicide du monde européen et chrétien, ce serait le crépuscule de l’Occident.

Bruno Mégret
02/05/2022

Bruno Mégret

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