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Bruno Mégret : « En Ukraine, à qui profite le crime ? »

Bruno Mégret : « En Ukraine, à qui profite le crime ? »

Par Bruno Mégret, polytechnicien, haut fonctionnaire, essayiste ♦ Dans une enquête criminelle, il est toujours important de savoir à qui profite le crime. Si la réponse ne désigne pas nécessairement le coupable, elle permet néanmoins d’avoir une idée plus claire sur l’éventuelle responsabilité des différents protagonistes. Aussi, dans cette douloureuse guerre d’Ukraine, peut-il être intéressant de se poser cette question primordiale.

La Russie marginalisée

À cet égard, il apparaît déjà que la Russie qui a déclenché la guerre ne sera sans doute pas le principal bénéficiaire de cette malheureuse entreprise. D’ores et déjà, elle en subit le contrecoup sur le plan diplomatique. La Russie et ses dirigeants sont pour longtemps diabolisés et marginalisés, sinon dans le monde entier au moins dans le monde occidental où un profond fossé s’est durablement creusé entre elle et le reste de l’Europe. Si l’on ajoute à cela l’effet des sanctions économiques qui la frappent déjà, il n’est pas certain que les avantages que ses dirigeants comptent tirer de l’invasion de l’Ukraine suffisent à inverser le fléau de la balance. Certes, la Russie prend un gage et empêche de ce fait que l’Otan s’installe à ses frontières, ce qui constituait son but stratégique majeur. Mais pourra-t-elle durablement rester en Ukraine et n’a-t-elle pas créé dans ce pays traditionnellement partagé entre le monde slave et le monde occidental un sentiment national antirusse puissant qui fera tôt ou tard basculer cette nation du côté de l’Union européenne ?

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L’Otan consolidée

Peut-on par ailleurs affirmer que les pays d’Europe occidentale ou que l’Union européenne en tant que tels sortiront renforcés de cette crise ? Certainement pas. Beaucoup des sanctions économiques prises dans l’urgence contre la Russie auront des contrecoups néfastes pour  la France et les pays européens. Des pays européens qui ont été incapables par ailleurs d’empêcher cette guerre qu’ils prétendaient pourtant vouloir éviter par les vertus de la diplomatie. Force est de constater que les voyages et les communications téléphoniques innombrables entre les capitales européennes et le Kremlin n’ont rien pu empêcher. L’Europe a surtout révélé son impuissance et son incapacité à faire jouer un quelconque rapport de force sur la scène internationale. Certes, certains prétendent que cette crise va provoquer une prise de conscience de la réalité des rapports de force et qu’elle va donner naissance à une Europe de la défense, voire à une Europe puissance. Mais si un effort budgétaire important était entrepris pour les forces armées, ce serait pour placer ce potentiel supplémentaire sous le couvert de l’Otan, comme la plupart des pays l’envisagent actuellement. Et ce ne serait finalement qu’une augmentation de la contribution européenne à cette organisation. Augmentation réclamée depuis très longtemps déjà par les Américains.

L’imperium américain renforcé

Aussi, peut-on, me semble-t-il, affirmer que les principaux bénéficiaires de cette guerre seront les États-Unis d’Amérique. Leur adversaire russe est diabolisé, rejeté et isolé et donc définitivement coupé de l’Union européenne, ce qui évite la constitution d’un puissant pôle européen de l’Atlantique à l’Oural que les Américains ont toujours craint et rejeté. L’Otan qui est l’instrument de la domination américaine sur l’Europe sort par ailleurs renforcée de cette crise puisqu’elle apparaît comme un bouclier indispensable à de nombreux pays d’Europe orientale face à « l’impérialisme russe » et comme parapluie nucléaire essentiel à tous les États qui ne disposent pas de force de dissuasion. A l’évidence, cette guerre ukrainienne va servir les Américains en marginalisant leur ennemi russe et en renforçant leur imperium sur l’Europe.

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Le piège de la guerre

On comprend mieux dans ces conditions pourquoi, contrairement aux Européens, les Américains ont refusé de faire la moindre concession aux Russes, ne cherchant nullement à trouver un accord diplomatique raisonnable pour empêcher la guerre. On comprend aussi pourquoi le président Biden a solennellement déclaré que les États-Unis n’enverraient aucun soldat américain mourir pour l’Ukraine. Ce qui a été dénoncé comme une erreur de débutant de la part du chef de l’État américain n’était en réalité que la dernière pièce du stratagème imaginé par l’État profond qui dirige les États-Unis. Un stratagème qui avait d’ailleurs déjà été employé par les mêmes Américains lorsqu’ils avaient incité Sadam Hussein à envahir le Koweït pour ensuite déclencher la première guerre d’Irak.

On peut imaginer que l’ancien officier du KGB qu’est Vladimir Poutine n’a pas été dupe de ces manœuvres américaines. Mais la volonté qui est la sienne de rendre à la Russie une part au moins de sa puissance impériale passée l’a sans doute amené à considérer que l’invasion de l’Ukraine était devenue possible et constituait une opportunité qu’il devait saisir en dépit des manœuvres américaines et des conséquences néfastes qui en résulteraient par ailleurs.

Ajoutons bien sûr que l’Ukraine paiera, quant à elle, le prix fort de cette guerre à la fois par les destructions, les blessés et les morts dont sera victime sa population mais aussi par le démembrement territorial qui va durablement déchirer le pays.

Bruno Mégret
07/03/2022

Bruno Mégret

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