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Sarko s’en va-t-en guerre (1)

Sarko s’en va-t-en guerre (1)

Il a encore frappé !  Car aurons-nous une guerre fraîche et joyeuse ? Voire… Nous écrivions la semaine passée que Nicolas Sarkozy semblait avoir perdu la main. On peut se demander aujourd’hui s’il n’a pas perdu la tête.

On sait comment commencent les guerres et jamais comment elles finissent (voir sur ce chapitre surabondant, le Vietnam, l’Irak, l’Afghanistan et tant d’autres encore). Notre président n’a-t-il pas délibérément fourré la France dans un sacré guêpier ?

Certes, il l’a obtenu, à l’arraché, cette guerre tant ardemment désirée, malgré une Allemagne réticente (3) (le mot est faible), des Américains fort réservés, des Russes et des Chinois franchement hostiles. Mais à quel prix ! Les dégâts collatéraux sont déjà là, trop visibles : citons l’embryonnaire diplomatie européenne, avec une Lady Ashton qui de diaphane est devenue invisible, le couple franco-allemand une fois de plus mis à mal, sans compter le malheureux Juppé désavoué à peine nommé aux Affaires étrangères.

Et dans quel but ? Le président veut-il redorer son blason par cette action d’éclat ? Faire grimper du nadir au zénith sa courbe de popularité ? Gagner l’affection des pays arabes ulcérés par son coupable aveuglement lors des « révolutions parfumées au jasmin » ou autres senteurs, Tunisie et Égypte ?

Et par quel coup de baguette magique l’honorable Kadhafi, reçu en grande pompe à Paris en décembre 2007, gardes républicains sabres au clair, se serait-il mué en un personnage diabolique voué aux gémonies par la communauté internationale ? Pour avoir, au lieu de se laisser gentiment éconduire vers le vestiaire, osé prendre les armes pour se défendre contre des insurgés armés (comme l’ont fait ou le font le Yémen, l’Arabie Saoudite, Bahreïn etc.)?

Ou alors, derrière les beaux et grands principes affichés à l’ONU, l’objectif est-il tout simplement de couper la Libye en deux en gardant le contrôle de la partie « utile », là où sont les champs de pétrole et de gaz naturel. Avec les Anglais dans le coup, cela ne serait guère surprenant.

Mais voyons les choses d’un peu plus près.

En premier lieu, Nicolas Sarkozy risque fort d’être déçu, et vite, sur le plan médiatique. Car cette « union sacrée » réunissant, derrière le chef de l’État promu chef des Armées, la gauche et la droite spectaculairement réconciliées autour du drapeau (ah ! qui chantera les vertus soporifiques d’un humanitaire faiseur de miracles) paraît bien fragile, dès que la poudre aux yeux de cette aimable chevauchée se sera dissipée.

Les pays arabes sont tous d’accord pour abattre Kadhafi ? Certes, le Qatar (200.000 habitants) (4) se serait, a prétendu Alain Juppé, laissé entraîner dans cette galère. Quant aux autres, on demande à voir (en fait dès le lendemain des hostilités, la Ligue arabe a fait machine arrière). Car cette attaque de la Libye (après la guerre du Golfe, l’Irak, l’Afghanistan) n’est ni plus ni moins qu’une agression supplémentaire contre un pays souverain à peine dissimulée par la « feuille de vigne » de l’ONU ; une agression du fort contre le faible (comme en témoigne l’imposante armada occidentale déployée contre la modeste aviation libyenne) ; et surtout, surtout, l’agression d’une coalition occidentale contre un pays arabe et musulman, petit détail qui semble avoir échappé à Nicolas Sarkozy.

D’autant plus que cette mémorable résolution 1973 gagnée à la hussarde à New York dégouline d’hypocrisie : défendre les droits de l’homme, la démocratie et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ? Certes. Mais alors il faut sans tarder davantage aller bombarder aussi le Yémen, le royaume de Bahreïn, l’Algérie et même, horresco referens, l’amie de toujours, l’Arabie Saoudite aux puits inépuisables, sans compter l’Iran naturellement, et, bien sûr, la Syrie. Cette nouvelle croisade menée au nom des droits de l’homme nous mènera sûrement au paradis « des poètes disparus ».

Mais tant qu’à faire régner la paix et l’ordre humanitaire sur la planète, pourquoi ne pas porter le fer et le feu en Russie (la Tchétchénie), en Chine (le Tibet), en Corée du Nord (la population de la Corée du Nord), en Birmanie (idem). Voilà une noble cause pour Bernard-Henri Lévy.

Protéger les populations civiles du haut des cieux ? Fort bien, mais les fusées Tomahawks des Américains et les missiles aériens français vont sûrement frapper la population civile en Tripolitaine. Que de belles bavures en perspective (comme en Afghanistan avec les drones) ! Qu’on se le dise : la guerre propre n’existe pas. Alors, massacrer des civils en Tripolitaine pour épargner des vies en Cyrénaïque en espérant que « Dieu ou Allah » reconnaîtra les siens… Gribouille n’est pas loin.

En outre, la fameuse résolution 1973 a été violée à peine l’encre sèche. Car elle prévoit strictement l’établissement d’une zone d’exclusion aérienne, c’est-à-dire, si les mots onusiens ont un sens, l’interdiction de voler pour les avions. Mais voilà que les forces occidentales, la France, hélas, en tête, s’empressent de frapper des blindés au sol. A quand des troupes au sol ? Car les frappes aériennes, on l’a vu au Kosovo, comportent un enchaînement infernal auquel il est difficile d’échapper. Car si nos avions sont atteints par des missiles sol/air (la Libye en possède, dit-on) les pilotes, s’ils en réchappent, seront faits prisonniers. Et il faudra bien aller les chercher. Et voilà l’engrenage mis en route, inexorablement.

Voyons plus loin.

A plus long terme, où cette piteuse affaire va-t-elle nous mener ? Si Kadhafi reste, le pire est à craindre, terrorisme à Paris ou dans les airs (Lockerbie). Car l’homme est rancunier et dangereux en diable. Outre que la porte sera largement ouverte à l’immigration africaine tant souhaitée. Et nos approvisionnements pétroliers dans tout cela ? Au demeurant, s’il reste au pouvoir, Kadhafi n’aura qu’un souci en tête, aller chercher refuge dans les bras toujours accueillants de la Chine ou, à la rigueur, de la Russie ou de l’Iran. Alors, le jeu changera radicalement de règles.

S’il est « neutralisé », quelle gratitude attendre des insurgés ou rebelles devenus la voix de la Libye nouvelle ? Sait-on seulement qui ils sont (à part M. Bernard-Henri Lévy promu chef de la diplomatie itinérante française comme chacun sait) ? Il serait bien surprenant que la main invisible d’Al Qaïda et de l’Islamisme ne s’abatte promptement sur cette proie toute fraîche. Alors, bonjour les dégâts.

Décidément l’humanitaire et la politique étrangère ne font pas bon ménage.

Une fois de plus, il faut faire le constat d’une action diplomatique irréfléchie, – on n’ose pas écrire irresponsable – entreprise à la légère dans un domaine grave, celui de la guerre, qui peut d’un instant à l’autre virer au tragique.

La conclusion est claire : le problème majeur de Nicolas Sarkozy est maintenant de s’extirper sans trop de dommages, et sans perdre la face, du guêpier où il s’est fourré tout seul.

Yves-Marie Laulan
20/03/2011

Notes

  1.  Titre d’un film inoubliable avec Brigitte Bardot
  2.  Voir : Le printemps maussade de Nicolas Sarkozy (NDLR)
  3.  Le Portugal aussi
  4.  La population totale est de 840.992 personnes. 20% de celle-ci sont composés de nationaux. Les expatriés forment donc la majorité des résidents du Qatar (recensement 2004) ;( NDLR.)

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