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« Sacré art contemporain : évêques, inspecteurs et commissaires » d’Aude de Kerros

« Sacré art contemporain : évêques, inspecteurs et commissaires » d’Aude de Kerros

par | 3 septembre 2013 | Médiathèque

«  En France, depuis quelques années, celui qui n’adhère pas à l’art officiel est considéré comme un illettré et un réactionnaire ».

Graveur et essayiste, Aude de Kerros s’est peu à peu imposée dans la critique d’art de nos jours en développant une analyse rigoureuse et sans concession des évolutions de l’art contemporain dans les arts plastiques. Son livre « Sacré art contemporain, évêques, inspecteurs et commissaires » a su attirer l’attention de l’Institut qui lui a décerné le prix Adolphe Boschot de la critique d’art en 2012.

L’art contemporain, l’« AC », nouvel art officiel

Dans cet ouvrage, Aude de Kerros analyse et démontre comment l’ « art contemporain » (entendez non seulement l’art non figuratif mais encore l’art construit à partir d’événements, de détournements, d’ « installations ») a peu à peu pris la dimension d’un art « officiel », le seul que soutient le ministère de la culture, particulièrement depuis l’époque de Jack Lang au début des années 1980. Cet « AC » comme le nomme l’auteur a su puissamment et efficacement drainer les subventions et les commandes ministérielles, au point de devenir un véritable art d’État, évinçant de la commande publique toute autre forme d’art. Cet art officiel, c’est celui des « installations », des « happenings », où la provocation se substitue à la création. Son relais au ministère réside dans les inspecteurs de la création et de l‘enseignement artistique. Dans le même temps que cet art contemporain devenait en France l’art officiel, se développaient aux États-Unis les « guerres culturelles » ; à l’institutionnalisation de cet AC en France répondait la controverse américaine qui se plaçait sur le terrain du combat entre liberté d’expression et respect des sentiments du citoyen, laissant in fine les tribunaux juger au cas par cas. « En France, depuis quelques années, celui qui n’adhère pas à l’art officiel est considéré comme un illettré et un réactionnaire. Aux États-Unis, tous les citoyens sont compétents parce que citoyens. » L’auteur analyse à partir de cette mise en regard des deux situations la façon dont, en France, l’« AC »  s’est peu à peu imposé comme art d’État.

Avec la complicité du haut clergé

Mais la thèse la plus novatrice et intéressante de l’ouvrage d’une lecture parfois ardue réside dans le récit et la démonstration très étayée que fait Aude de Kerros de la façon dont l’AC s’est imposé dans l’Église avec la complicité active du haut clergé français soucieux de ne pas rater le coche de la « modernité » artistique. En recherchant à attirer les artistes (et en se laissant abuser par l’épithète de « sacré ») l’épiscopat a ainsi ouvert les lieux de culte aux installations de l‘art contemporain, introduisant un « art sacré «  qui n’a en fait plus rien de religieux… « Le sacré est sans doute spirituel et métaphysique mais il n’a plus l’aura du transcendant et du divin ». Aude de Kerros démonte méthodiquement les étapes de cette infiltration des lieux de culte par cet « art sacré contemporain » qui donne son nom au livre.  Elle montre aussi comment l’église a accepté d’être asservie au ministère de la culture et à une idéologie purement laïque dans laquelle le sacré n’est qu’une perversion du religieux qui parvient en fait à évincer totalement le religieux de l’art.

L’une des conséquences dommageables du concile Vatican II a bien été d’anéantir les ambitions artistiques de l’Église, en rejetant l’art au profit de la « participation » des fidèles. L’auteur ne mentionne qu’incidemment ses conséquences catastrophiques dans le domaine musical, sujet qui mériterait à lui seul d’être développé dans un ouvrage spécifique comparable à celui d’Aude de Kerros. Mais elle rappelle avec raison que la restauration du patrimoine architectural touché par la seconde guerre mondiale a été le fait du ministère de la culture et non plus de l’Église. « Le vitrail a été le cheval de Troie de l’entrée de l’AC dans les sanctuaires dès 1975 ».

« Happenings «  et « installations » dans les églises et aux Bernardins

Ce n’est qu’à partir de 1997 que les évêques français vont tenter de prendre le train en marche, croyant ainsi « inculturer la modernité comme les premiers chrétiens avaient, avec succès, inculturé le paganisme antique ». L’église a alors accueilli « happenings » et « installations » sans trop regarder ce qu’il  y avait au fond de ces événements.

L’ouverture du collège des Bernardins a marqué une étape importante dans ce processus en donnant l’aval de l’archevêque de Paris à cette nouvelle forme d’ « art sacré contemporain ». Dès lors, comme le souligne l’auteur « aucune œuvre non conceptuelle ne pourra souiller les cimaises consacrées à l’AC aux Bernardins ».

Piège conceptuel et mystique de la vacuité

Et c’est ainsi que s’est imposé ce que l’auteur nomme dans une formule saisissante « l’art du piège conceptuel ». Car, non sans malice, Aude de Kerros pointe le déséquilibre intellectuel existant entre la forte puissance de l’administration de la culture et la faiblesse du haut clergé : «  face à des fonctionnaires illuminés par la pensée conceptuelle, mystiques de la vacuité et de la transgression purificatrice, les autorités ecclésiastiques ne semblent pas distinguer dans leurs rangs les grandes pointures. ». L’Eglise de fait devient juste un enjeu culturel majeur, en particulier parce qu’elle sert de caisse de résonance aux œuvres et … fait monter leur cote !

La déliquescence liturgique post-conciliaire offre un magnifique terrain aux adeptes de l’ « AC » qui parviennent ainsi à intégrer des « happenings » au sein même d’une liturgie complaisante.

La résistance des artistes d’art

L’ouvrage se conclut cependant heureusement par une note d’optimisme. C’est aux fidèles et au clergé de base qu’en effet qu’incombe la tâche de résister à cet asservissement de l’Église à l’État. Certains ont, heureusement, commencé, avec bon sens à en prendre conscience et à résister. Le redressement viendra-t-il d’eux ? L’auteur semble l’espérer, et l’on veut croire que son ouvrage aidera à la résistance des « artistes d’art ». Car l’art « c’est un acte d’espérance. On peut perdre, mourir, mais qu’importe. Il est hors de question de renoncer à un don divin. »

 Jean-Claude Hulot
31/08/2013

Aude de Kerros, Sacré art contemporain : évêques, inspecteurs et commissaires,  Jean-Cyrille Godefroy éditions, collection Articles sans C, 18/05/2012, 231 p.

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