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Rétablir la peine de mort : une rupture nécessaire avec l’idéologie dominante

Rétablir la peine de mort : une rupture nécessaire avec l’idéologie dominante

La peine de mort frappe d’effroi par son caractère implacable et définitif. Son évocation prête aux emportements passionnels et émotionnels. Et pourtant, ce sujet symbolique requiert d’être analysé, non à travers le prisme d’une sensiblerie déplacée mais à l’échelle des principes qui légitiment l’action politique et organisent la vie en société. Il mérite aussi d’être étudié d’un point de vue pratique, sans préjugés, au regard de l’observation froide des faits. C’est l’objet de cette communication prononcée à la XXIIe université annuelle du Club de l’Horloge, le 30 septembre 2006, que Polémia remet en ligne, alors que le rétablissement de la peine de mort est à la une de l’actualité en ce mois de septembre 2020.

1. L’abolitionnisme : une figure imposée de l’idéologie dominante

Il est courant de lire que « nous vivons à l’ère de la fin des idéologies ». Et pourtant cette affirmation est un contresens absolu.
Comme l’a remarquablement souligné l’historien Dominique Venner, dans « Le Siècle de 1914 », nous ne vivons pas dans un monde a-idéologique mais, au contraire, dans « un monde saturé d’idéologies », et, en ce qui concerne plus particulièrement l’Europe, d’idéologies culpabilisatrices et incapacitantes.

L’abolition de la peine de mort est au cœur de ce dispositif idéologique auquel est soumis ce que nos voisins suisses appellent le « Gué Pé U », le « Grand Parti unique ». Au sein de ce grand parti unique, il n’est pas possible de faire carrière sans adhérer aux dogmes dominants : l’abolition de la peine de mort en est un, la Tyrannie médiatique étant le moyen utilisé pour refuser tout débat contradictoire selon le schéma suivant :

  • les membres de la classe médiatique sont unanimement favorables à l’abolition de la peine de mort (et ceux qui ne le sont pas n’ont pas la possibilité de s’exprimer sur le sujet) ;
  • les armes utilisées pour imposer ce point de vue sont celles de L’INDIGNATION, de la DIABOLISATION dont Robert Badinter continue de jouer admirablement dans son dernier livre (« Contre la peine de mort ») où il se veut toujours « aux cotés des femmes lapidées en Afghanistan, des hommes fusillés dans les stades en Chine (…), des enterrés vifs pour adultère en Iran, des homosexuels pendus en Arabie saoudite, des mineurs pénaux et des débiles mentaux empoisonnés, gazés, électrocutés aux États-Unis ».

Le rythme des phrases, le choix des lieux, l’accumulation des adjectifs, tout relève d’un art oratoire visant à tétaniser la raison et à interdire toute réplique en jouant exclusivement sur la sensibilité : l’avalanche d’évocations émotionnelles visant à empêcher le libre exercice critique de la pensée.

Il y a aussi une autre méthode pour imposer l’idéologie dominante : tout simplement celle du silence. Pourquoi donner la parole aux partisans de la peine de mort puisque le débat est réputé clos ? Pourtant la meilleure preuve qu’il n’en est rien, ce sont les abolitionnistes eux-mêmes qui la donnent en renouvelant régulièrement les campagnes médiatiques qu’ils inspirent contre la peine de mort. La vérité c’est que le débat sur la peine de mort reste un débat d’avenir.

2. Le débat sur la peine de mort est un débat d’avenir

Le débat sur la peine de mort a fait rage, en France, dans les années 1970. Cette période s’est achevée, en 1981, par le vote de la loi Badinter d’abolition.

Les abolitionnistes ont gagné la bataille, puis clos le débat, autour de trois arguments :

  1. le spectre de l’erreur judiciaire (« Le Pullover rouge », de Gilles Perrault) ;
  2. le caractère non dissuasif de la peine (selon Robert Badinter, Patrick Henry, futur assassin, se trouvait parmi la foule qui, au Palais de justice de Troyes, réclamait la mort pour Buffet et Bontemps) ;
  3. l’avancée inéluctable des démocraties vers l’abolitionnisme.

Le débat est aujourd’hui rouvert, car aucun de ces arguments, qu’il soit émotionnel (l’erreur judiciaire) ou d’autorité (le manque de dissuasion, le sens de l’histoire), ne tient face aux faits.

3. La thématique de l’erreur judiciaire n’est pas réellement pertinente

L’évocation du risque d’erreur judiciaire est centrale aux Etats-Unis dans le combat des abolitionnistes ; elle s’appuie sur les faiblesses du système judiciaire américain. Elle se heurte toutefois à une limite factuelle : jusqu’ici la justice américaine n’a jamais reconnu comme innocent quelqu’un qui aurait été préalablement exécuté. Il est vrai que la multitude des procédures de recours limite les risques.

En France la même thématique a été reprise par Jacques Chirac. Dans la réponse qu’il a apportée à l’association « Ensemble contre la peine de mort », le 21 juin 2001, le président de la République a déclaré : « C’est un combat qu’il faut mener avec détermination et conviction. Car nulle justice n’est infaillible et chaque exécution peut tuer un innocent. »

L’écrivain d’extrême gauche Gilles Perrault a beaucoup exploité cette rhétorique à travers un livre et un film « Le Pullover rouge », œuvres de fiction censées innocenter, par la mise en avant de cet élément vestimentaire troublant, Christian Ranucci, exécuté le 28 juillet 1976 pour l’enlèvement et le meurtre d’une fillette. Mais le montage cinématographique ne résiste pas aux faits :

  • Ranucci a conduit lui-même les enquêteurs sur les lieux où il avait enterré l’arme du crime ;
  • Un pantalon maculé de sang (du même groupe que sa victime) et un cheveu semblable à celui de sa victime ont été retrouvés dans sa Peugeot.

4. Au demeurant, le problème de l’erreur judiciaire n’est pas celui de la peine, il est celui de la preuve

La justice est une institution humaine et par conséquent faillible. L’existence d’erreurs judiciaires est donc inéluctable. Or, leur gravité peut être considérable et pas seulement dans le cas de la peine de mort : priver un homme de liberté lorsqu’il est innocent peut le conduire au suicide. C’est ainsi que l’un des accusés innocents d’Outreau mit fin à ses jours. Faut-il pour autant supprimer toute forme de détention préventive ?

Non, mais il faut être plus exigeant en matière de preuve, et de preuves matérielles : en histoire comme en criminologie, les témoignages et les aveux sont fragiles et sont faillibles. On ne peut s’en contenter. Au demeurant, les progrès de la criminologie, notamment dans le domaine génétique, permettent souvent (pas toujours) d’étayer les présomptions discutables de faits matériels. Si la justice doit progresser, c’est moins en abaissant l’échelle des peines ou en en supprimant la clé de voûte qu’en étant plus exigeante avec elle-même en termes de faits objectifs (et non subjectifs). C’était déjà le point de vue des philosophes du XVIIIe siècle, qui ne remettaient pas tous en cause le châtiment suprême mais s’attachaient à la critique rigoureuse de l’établissement des faits et des procédures qui pouvaient justifier la sanction pénale.

Par nature irréversible, la peine de mort ne devrait pouvoir être appliquée qu’à des crimes pour lesquels les preuves matérielles seraient suffisamment fortes et nombreuses pour ôter tout doute sérieux et légitime. C’est d’ailleurs sans doute pour cela que, tout en l’encadrant de plus en plus soigneusement, beaucoup de pays ne renoncent pas à la peine de mort.

5. L’avancée inéluctable des démocraties vers l’abolitionnisme est démentie par les faits

D’abord, il est faux de dire qu’il y aurait, dans ce domaine, les démocraties abolitionnistes d’un côté, les Etats autoritaires de l’autre. Une simple observation de la carte du monde le montre :

  • du côté abolitionniste, l’Europe, bien sûr, mais aussi beaucoup d’États africains, qu’il est difficile, même avec complaisance, de qualifier de démocraties ;
  • du côté des pays pratiquant la peine de mort, certains des États musulmans ou autoritaires, mais aussi l’Inde (la plus grande démocratie du monde), le Japon et les États-Unis.

L’exemple américain montre d’ailleurs la réversibilité de l’abolition de la peine de mort. Après un moratoire décidé par la Cour suprême, la peine de mort a été remise en vigueur dans de nombreux Etats : 38 aujourd’hui, plus l’État fédéral lui-même.

C’est en 1967 que la Cour suprême décide d’interdire la peine de mort sur le territoire des États-Unis. Cette situation durera jusqu’en 1976 où, dans l’arrêt Gregg c/ Géorgie, elle estimera à nouveau que le 11e amendement de la constitution n’interdit pas l’application de la peine de mort.

Aujourd’hui celle ci est autorisée dans 38 États plus l’État fédéral depuis 1988 :

  • 598 exécutions ont eu lieu dans les divers Etats de 1976 au 31 décembre 1999 ;
  • 59 en 2004. Et les exécutions fédérales ont repris depuis 2001.

Le mouvement d’opinion et l’évolution des faits vont donc aux États-Unis dans un sens inverse de celui souhaité par les abolitionnistes.

Un phénomène comparable peut être observé au Japon où les exécutions ont été reprises en 2006.

En Europe même, le consensus reste fragile, comme l’ont montré les déclarations du président polonais, début août 2006 ; en rappelant sa position idéologique favorable à la peine de mort, Lech Kaczinsky a conduit l’Union européenne à réagir et à montrer la fragilité intellectuelle de sa position : ainsi le commissaire européen au développement, Louis Michel, a affirmé : « Accepter d’entrer dans la logique d’un débat, c’est déjà céder sur l’essentiel » (« Le Monde », 6,7 août 2006). Véritable aveu de faiblesse, cette attitude de fermeture absolue s’explique : les partisans de la peine de mort disposent de très solides arguments.

6. Le caractère dissuasif de la peine de mort est statistiquement démontré

L’argument abolitionniste sur le caractère non dissuasif de la peine de mort est intellectuellement indigent : il évoque des cas particuliers d’individus non dissuadés de passer à l’acte par l’existence de la peine de mort. Ces cas existent, bien sûr. Mais il existe aussi des individus qui sont dissuadés. Et cela seul suffit pour que des vies humaines soient épargnées. Ceci n’est pas une affirmation de principe mais le résultat d’études économétriques nombreuses réalisées aux Etats-Unis : la pluralité de politiques suivies sur des périodes différentes, dans les différents Etats, offrant une moisson de statistiques dont l’interprétation consistant à vérifier des corrélations entre les exécutions et le nombre des meurtres va toujours dans le même sens.

Ainsi, étudiant la période 1933-1967, Ehrlich montre, en 1975, que chaque exécution sauvait huit victimes de meurtres. D’autres études conduites depuis ont confirmé et amplifié ces conclusions, par exemple :

  • celle de Paul R. Zimmerman, portant sur les années 1978-1997, estime qu’une exécution capitale dissuade 14 meurtres (« Journal of Applied Economics », mai 2004) ;
  • celle de Hashem Dezhbakhs, conduite à l’échelle des comtés, évalue à 18 le nombre de meurtres évités par une exécution capitale (« American Law and Economics Review », 2003).

Toutes les études économétriques vont dans le même sens, quelles que soient les références géographiques retenues (impact géographique sur la criminalité dans le cadre étroit du comté ou dans celui, plus vaste, de l’État ; impact temporel dans le mois ou l’année qui suit une exécution).

On ne peut mieux faire que renvoyer aux nombreux textes scientifiques consultables sur le site Internet cjlf.org

Derrière la froideur des chiffres émerge une réalité particulièrement déplaisante pour les abolitionnistes : en protégeant la vie des criminels, ils sacrifient des vies humaines innocentes. A chaque fois que la vie d’un criminel est épargnée, cela envoie à la mort plus d’une dizaine d’innocents.

Les véritables humanistes ne sont donc pas ceux qui le prétendent ! Les belles âmes aussi ont de facto du sang sur les mains, et qui plus est du sang d’innocents ! Voilà pourquoi les partisans de la peine de mort n’ont pas de raison d’accepter d’être culpabilisés et diabolisés.

Le refus de la peine de mort pour des raisons religieuses ou ethiques peut se comprendre mais il ne confère aucune supériorité morale car c’est un choix qui est coûteux pour la société et qui apporte en pratique le malheur à des familles qui auraient pu en être épargnées. Il n’y a donc pas d’impératif catégorique devant conduire à l’abolition de la peine de mort.

Il y a, au contraire, libre choix de décisions à exercer par des États souverains.

7. La peine de mort, attribut d’un État souverain

On ne peut d’ailleurs que s’interroger sur les déclarations de l’Union européenne estimant que l’abolition de la peine de mort fait partie des « valeurs » de l’Europe. Et ce, pour quatre raisons :

  • la peine de mort a existé tout au long de l’histoire de l’Europe ; au cours de l’Antiquité, du Moyen Age, de la Renaissance et à l’époque classique, l’humanisme européen a préexisté à l’abolition de la peine de mort ;
  • l’abolition de la peine de mort ne fait pas partie de la Convention européenne des droits de l’homme mais d’un simple protocole additionnel, parfaitement dénonçable ;
  • a contrario, la peine de mort, comme l’a magistralement rappelé le philosophe libéral Pierre Manent dans « La Raison des nations », fait partie des éléments constitutifs d’un État souverain. En effet, pour les architectes de l’État moderne, Hobbes et Locke, en particulier, l’individu renonce au droit de la nature, c’est-à-dire au droit de se faire justice lui-même, au bénéfice de l’État souverain à qui il délègue le droit exclusif d’être l’exécuteur de la loi de nature. Ainsi, donner à l’État « le monopole de la violence légitime » (Max Weber), c’est permettre de sortir de la guerre de tous contre tous. Y renoncer, c’est saper le fondement même de l’État souverain ;
  • enfin, il est paradoxal d’affirmer, comme le président du Conseil de l’Europe René Van Linden dans « Le Monde » du 6-7 août 2006, que « La peine capitale n’a pas sa place dans le système de justice pénale d’un pays moderne et civilisé » alors que les nations européennes sont économiquement, politiquement et militairement inféodées aux États-Unis d’Amérique et n’envisagent guère de s’en émanciper.

En fait, le comportement européen ne peut s’expliquer que comme une abdication de la puissance : les mêmes forces et les mêmes hommes étant à la fois fervents abolitionnistes et partisans soumis de l’alliance américaine !

De ce point de vue-là, le fossé entre les nations européennes, d’un côté, les Etats-Unis, de l’autre, (ou d’autres grandes puissances, comme l’Inde ou la Chine) est patent : l’abolition de la peine de mort dans l’Union européenne va de pair avec sa sortie de l’histoire et sa faiblesse sur la scène internationale.
Il y a donc, là aussi, une raison profonde – philosophique et politique – de rétablir la peine de mort : reconstruire en Europe des Etats-nations souverains acteurs de l’histoire, qui choisissent la vie et donc acceptent la mort.

8. Le rétablissement de la peine de mort est-il souhaitable ?

Plusieurs raisons peuvent conduire à « juger » souhaitable le rétablissement de la peine de mort :

– d’abord, parce que, dans un monde d’excuses collectives, la peine de mort réaffirme, y compris pour le châtiment suprême, la responsabilité individuelle ;
– ensuite, parce que c’est un élément clé de l’échelle des peines ; aujourd’hui celle-ci est tronquée en France puisqu’elle se limite à la prison ; prisons dont le nombre de places est limité (50 000), à comparer aux 2 millions disponibles aux États-Unis, pays, il est vrai, du tout carcéral ; il peut donc apparaître nécessaire d’élargir l’échelle des peines : vers le bas, par le bracelet électronique ou les centres de rétention pour mineurs ; vers le haut, par la peine de mort pour les crimes les plus graves et les plus certainement constatés ;
– de plus, parce qu’un État souverain ne peut pas renoncer à la peine de mort, en tout cas pas « en toutes circonstances », comme le prévoit le protocole additionnel n° 13 à la Convention européenne. Car justement, le propre de ce qui est souverain est de décider ce qui relève des circonstances et des situations d’exception ;
– enfin, le rétablissement de la peine de mort serait un acte de rupture symbolique avec l’idéologie dominante.

9. Le rétablissement de la peine de mort est-il possible ?

Le rétablissement de la peine de mort est juridiquement possible malgré les conventions internationales. Dans une décision du 13 octobre 2005, le Conseil constitutionnel a jugé que la France ne pouvait ratifier le deuxième protocole facultatif du pacte international relatif aux droits civils et politiques parce qu’il aurait engagé « irrévocablement (…) les conditions essentielles de la souveraineté ».

Tel n’est pas le cas, s’agissant des protocoles additionnels à la Convention européenne des droits de l’homme qui sont susceptibles d’être dénoncés, même si l’effet de la dénonciation ne pourrait prendre effet que cinq ans plus tard.

Dans ces conditions le rétablissement de la peine de mort est envisageable : un dispositif juridique pourrait donc la prévoir pour les assassinats pour lesquels les preuves matérielles excluent tout doute légitime.

Il parait, en effet, préférable de retenir des définitions purement objectives à la fois du crime et des éléments de certitude qui démontrent la culpabilité de son auteur plutôt que de s’engager dans la notion de « crimes particulièrement odieux », notion subjective qui laisse entendre qu’il pourrait exister des « crimes sympathiques ». La peine de mort étant irrévocable, ce qui importe c’est que le crime qu’elle châtierait soit aussi établi de manière irrévocable.

Enfin, le peuple devrait être associé par référendum à ce rétablissement – les abolitionnistes ne devraient pas y être hostiles puisqu’un sondage publié par l’AFP du 16 septembre 2006 révélait que seulement 42 % des Français étaient favorables au rétablissement. Avant l’existence de tout débat, il est vrai.

S’il se confirmait que l’abolition de la peine de mort soit inscrite dans la constitution, alors la révision constitutionnelle, par voie référendaire, serait une issue toute trouvée pour trancher de manière démocratique une question aussi symbolique que pratique.

Jean-Yves Le Gallou
Archive Polémia du 15/01/2007. Rediffusion le 15/09/2020

Jean-Yves Le Gallou

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