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Quelle politique migratoire pour la France ? – Le contexte international

Quelle politique migratoire pour la France ? – Le contexte international

par | 29 octobre 2022 | Europe, Géopolitique, Politique, Société

Par André-Victor Robert, économiste ♦ Dans une étude précieuse – que Polémia publie en 6 parties tant elle est importante et complète – André-Victor Robert analyse en profondeur la politique migratoire que devrait adopter la France. Dans cette troisième partie, place à l’analyse du contexte international. Retrouvez l’intégralité de l’étude au format PDF en cliquant sur ce lien.
Polémia

1. Le contexte international : l’Afrique et l’Asie

En Afrique, la fécondité reste très forte (tableau ci-dessous) et le niveau de vie très faible (carte ci-dessous). Le rythme d’accroissement annuel de la population africaine est de 2,4 %, à comparer avec : +0,6 % en Amérique du nord, +0,8 % en Asie, et -0,1 % en Europe… On rappelle à titre d’exemple qu’un accroissement annuel de 2,0 % de la population conduit à son doublement en 35 ans. Le décollage économique de l’Afrique, loin de réduire mécaniquement les flux migratoires en provenance de ce continent, pourrait au contraire avoir pour effet de les nourrir en permettant à davantage d’africains de financer leur départ vers l’Europe (Collier, 2013 ; Smith 2021). La pression migratoire susceptible de s’exercer sur l’Europe pourrait venir aussi d’Asie, en croissance démographique certes moins rapide que l’Afrique, mais l’Asie représente à elle seule 60 % de la population mondiale et les niveaux de développement y sont très disparates d’un pays à un autre.

Tableau : quelques indicateurs démographiques par continents

Pays Population totale (en milliers) Taux de natalité

Taux de mortalité

Espérance de vie à la naissance Taux de mortalité infantile

Nombre d’enfant(s) par femme
AFRIQUE 1 373 486 32,2 7,7 63,8 43,1 4,24
AMÉRIQUE LATINE ET CARAÏBES 659 744 15,6 6,5 75,8 14,2 1,98
AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE 371 108 11,8 8,9 79,3 5,5 1,75
ASIE 4 679 661 15,6 7,1 74,0 22,6 2,11
EUROPE 747 748 10,0 11,2 78,9 3,6 1,61
OCÉANIE 43 220 16,1 6,8 79,0 16,6 2,31
MONDE 7 874 964 17,8 7,6 72,9 26,9 2,43

Source : ONU, World Population Prospects 2019, projections pour 2021.

 

Source : FMI

2. Le contexte international : une nouvelle division internationale du travail au sein du continent européen

Les flux migratoires qui affectent les pays européens ne sont pas seulement des flux inter-continentaux, ce sont aussi des flux internes au continent. Pour comprendre l’agencement des flux de population au sein de l’Europe au cours des vingt dernières années, de manière schématique, les facteurs à prendre en compte sont : les écarts persistants de fécondité entre pays, les écarts de niveaux de salaires, et les écarts de niveau de formation de la population entre pays qui se sont traduits par des divergences de rythmes de croissance de la productivité.

Commençons par les écarts de fécondité, qui sont bien connus :

Tableau : indice conjoncturel de fécondité dans les pays d’Europe occidentale

Pays 1980 1990 2000 2010 2018 2019
Allemagne 1,56 1,45 1,38 1,39 1,57 1,54
Autriche 1,65 1,46 1,36 1,44 1,47 1,46
Belgique 1,68 1,62 1,67 1,86 1,62 1,60
Danemark 1,55 1,67 1,77 1,87 1,73 1,70
Espagne 2,20 1,36 1,22 1,37 1,26 1,23
Finlande 1,63 1,78 1,73 1,87 1,41 1,35
France 1,95 1,78 1,89 2,03 1,88 1,86
Grèce 2,23 1,39 1,25 1,48 1,35 1,34
Irlande 3,21 2,11 1,89 2,05 1,75 1,71
Italie 1,64 1,33 1,26 1,46 1,29 1,27
Luxembourg 1,50 1,60 1,76 1,63 1,38 1,34
Pays-Bas 1,60 1,62 1,72 1,79 1,59 1,57
Portugal 2,25 1,56 1,55 1,39 1,42 1,43
Royaume-Uni 1,90 1,83 1,64 1,92 1,68 1,68
Suède 1,68 2,13 1,54 1,98 1,76 1,71

Source : Ined, https://www.ined.fr/fr/tout-savoir-population/chiffres/europe-pays-developpes/indicateurs-fecondite/

C’est en France que la fécondité reste la plus élevée (1,86 enfant / femme), suivie de la Suède, du Danemark et de l’Irlande. À l’inverse, les pays méditerranéens enregistrent maintenant des niveaux de fécondité très faibles, de l’ordre de 1,3 à 1,4 enfant dans la péninsule ibérique, en Italie et en Grèce. C’est entre 1980 et 1990 que la fécondité s’est effondrée en Espagne et en Grèce, un peu plus tôt en Italie. La fécondité, déjà faible en Allemagne au début des années quatre-vingt, s’y est un peu redressée, à 1,54 enfant par femme. À l’est, les quatre pays du groupe de Visegrád (Tchéquie, Slovaquie, Hongrie et Pologne) se situent entre 1,46 et 1,71 enfant par femme.

Toutes choses égales par ailleurs et notamment à taux de croissance du PIB donné, la France a donc moins besoin de recourir à l’immigration que les autres pays européens (notamment l’Allemagne) pour continuer à faire tourner ses usines.

Venons-en maintenant aux écarts de salaires et de niveaux de vie. La chute du mur de Berlin en 1989 et l’effondrement du bloc communiste et l’ouverture des frontières qui s’en sont suivies ont permis à une fraction importante de la population jeune et bien formée des pays d’Europe de l’est de concrétiser son aspiration à un niveau de vie plus élevé en émigrant vers les pays d’Europe de l’ouest. Il s’est produit en sens inverse dans le même temps un flux de capitaux visant à tirer profit des faibles niveaux de salaires dans les anciens pays du bloc communiste, ainsi que l’observe David Cayla (2021) : « Depuis leur entrée dans le capitalisme, [les pays de l’est] font face à une émigration massive. (…) La Bulgarie a perdu 1,9 millions d’habitants depuis la fin du communisme, soit plus de 20 % de sa population d’origine. Plus de 2 millions de Polonais et 3 millions de Roumains se sont expatriés. Ces départs ont d’abord été le fait des minorités (les Roms) puis des catégories éduquées et jeunes de la population. (…) L’industrie à haute valeur ajoutée se concentre en Allemagne et dans les régions ayant accès aux ports de la mer du Nord. Dans les pays un peu excentrés d’Europe centrale, où le coût du travail est faible, on trouve l’industrie d’assemblage et on produit des composants à faible valeur ajoutée. »

Troisième élément à prendre en compte : les différences entre pays européens dans le rythme de croissance de la productivité des facteurs de production. La productivité globale des facteurs ne croît quasiment plus depuis vingt ans dans les pays méditerranéens (elle régresse même en Grèce et en Italie), alors qu’elle continue à croître en Europe du nord et en Allemagne à un rythme voisin de celui constaté en Amérique du nord. La France et la Belgique apparaissent comme étant dans une situation intermédiaire. L’atonie de la productivité au sud de l’Europe renvoie en grande partie à la faiblesse persistante des systèmes éducatifs des pays concernés[1], elle est aggravée par la sélectivité des flux d’émigration en provenance de ces pays : le niveau éducatif des partants est sensiblement supérieur à celui de ceux qui restent.

Tableau : croissance annuelle de la productivité globale des facteurs (PGF) et de la productivité du travail de 1999 à 2018, en %

PGF Travail
Grèce -0,55 % 0,22 %
Espagne 0,05 % 0,82 %
Portugal -0,05 % 1,01 %
Italie -0,21 % 0,25 %
Belgique -0,03 % 0,81 %
France 0,36 % 1,04 %
Suisse 0,46 % 1,02 %
Allemagne 0,62 % 1,08 %
Danemark 0,43 % 1,16 %
Finlande 0,79 % 1,37 %
Norvège 0,23 % 1,11 %
Suède 0,64 % 1,49 %
Pays-Bas 0,34 % 0,98 %
Royaume-Uni 0,59 % 1,11 %
USA 0,84 % 1,64 %
Canada 0,48 % 1,16 %
Japon 0,61 % 1,23 %
Corée du sud 2,39 % 4,19 %

Source : OCDE, https://data.oecd.org/lprdty/multifactor-productivity.htm#indicator-chart

Dans un régime de changes flexibles, les prix des biens échangés sur les marchés internationaux étant en outre libellés en dollars, les monnaies des pays du sud de l’Europe se seraient dépréciées par rapport à celles des pays du nord, évitant ainsi aux pays européens de perdre en compétitivité du fait de la moindre croissance de leur productivité. L’instauration de la monnaie unique à privé les pays du sud de l’Europe de ce mécanisme d’ajustement[2] : l’activité industrielle, qui perd en compétitivité, s’érode, entraînant ces pays dans une spirale récessive. Ainsi que le note Cayla (2021) : « dans les régions les plus éloignées du cœur de l’Europe, l’activité industrielle régresse inexorablement ou se spécialise dans le textile et la fabrication de biens peu coûteux à transporter. Privées de leur dynamisme économique, les régions périphériques de l’Europe perdent naturellement des emplois. (…) Entre 2010 et 2015, l’Espagne a perdu 350 000 personnes du fait de sa balance migratoire, la Grèce 250 000. »

Au total, trois conclusions se dégagent de cet examen du contexte international :

  • tout d’abord, il est peu probable que la pression migratoire en provenance de l’Afrique tende à faiblir au cours des années et décennies à venir,
  • ensuite, les déséquilibres au sein de l’Europe ainsi que la divergence entre les économies européennes (accentuée par la monnaie unique) constituent une source importante de mouvements migratoires au sein du continent européen,
  • enfin, il est douteux qu’une politique migratoire commune puisse convenir à l’ensemble des pays de l’UE, tant leurs intérêts en la matière divergent.

André-Victor Robert
29/10/2022

[1] Voir à ce sujet les résultats des enquêtes Pisa : https://www.oecd.org/pisa/publications/pisa-2018-results.htm
[2] La théorie des zones monétaires optimales, telle que développée dans les années soixante par l’économiste canadien Robert Mundell récemment décédé, indique que des pays ont intérêt à mettre en commun leur monnaie et leur politique monétaire lorsqu’ils entretiennent entre eux des flux d’échange commerciaux importants, sous réserve qu’ils soient disposés à mettre aussi en commun des ressources fiscales et / ou que la mobilité de la main d’œuvre soit intense entre eux. Que la zone euro ne constitue pas une zone monétaire optimale était pourtant bien connu avant sa mise en place : ainsi, par exemple, en 1996, Krugman et Obstfeld, dans leur manuel d’économie internationale, concluaient-ils poliment, après une analyse fouillée de la question, que « La Communauté européenne ne paraît pas remplir tous les critères d’une aire monétaire optimale : (…) le commerce intra-CE n’est toujours pas très étendu. En outre, la mobilité du travail entre et même à l’intérieur des pays membres est plus limitée que dans les autres aires monétaires. Le niveau de fédéralisme fiscal de la CE est trop faible pour permettre d’absorber le choc d’évènements extérieurs adverses. (…) Les tensions économiques et politiques qui continuent en Europe rendent peu vraisemblable que l’objectif ambitieux de l’UEM sera atteint à bref délai ». Le lecteur intéressé par une analyse détaillée de la genèse et des conséquences de la monnaie unique lira avec intérêt Mody, 2018.

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