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Nouvelles truquées « Fake News » ou Informations dérangeantes « Disturbing Information » ?

Nouvelles truquées « Fake News » ou Informations dérangeantes « Disturbing Information » ?

par | 27 janvier 2018 | Géopolitique

Par Pierre Van Grunderbeek ♦ Quand un pouvoir politique s’en prend à la liberté d’informer, c’est qu’il y a panique à bord. Ici, il ne s’agit pas encore d’une peur panique qui précéderait un effondrement du système (le système : une forme d’économie libérale dominée par des ploutocrates qui cherchent à l’imposer à l’ensemble de la planète grâce à la globalisation. Au niveau sociétal, c’est le libertarianisme américain qui est le modèle) qui nous gouverne, non, nous n’en sommes pas encore là. Il s’agit plutôt de freiner la lente érosion de la crédibilité des médias traditionnels qui sont quasi unanimement alignés sur les mêmes positions politiques, économiques et sociétales et qui sont de ce fait les agents du système.


Comme dit Noam Chomsky : « Le sys­tème de contrôle des sociétés démocratiques est fort effi­cace ; il instille la ligne directrice comme l’air qu’on respire. On ne s’en aperçoit pas, et on s’imagine parfois être en présence d’un débat particulièrement vigoureux. Au fond, c’est infini­ment plus performant que les systèmes totalitaires. (…) Des centaines de milliards de dollars sont dépensés chaque année pour contrôler l’opinion publique. »  

Tout le paradoxe de la décision du président Macron de légiférer contre les « fake news » est justement que, par essence, le libéralisme est à l’origine de la liberté d’informer et qu’il n’y a pas de libéralisme moderne sans liberté de presse.

Alors, utiliser une censure sous quelque forme que ce soit et pour quelque raison que ce soit pour défendre la démocratie libérale est une action antilibérale.

C’est aussi une action antidémocratique parce que, dans nos démocraties représentatives, il est indispensable de permettre à toutes les opinions de s’exprimer. Il serait impossible de voter en toute connaissance de cause pour nos représentants à l’Assemblée parlementaire s’il n’en était pas ainsi.

Je ne comprends pas comment le président Macron a pu prononcer une telle contradiction sauf si, comme cela lui arrive parfois, il s’est laissé emporter par un discours qui le dépasse ou, comme cela lui arrive aussi, il a dit deux choses contradictoires dans le même discours (note : 1). Le système est en crise et cherche ici à bétonner sa position dominante grâce à des lois restreignant la liberté d’informer.

Une première salve a déjà été lancée en février 2017 avec l’application Décodex à l’initiative du journal Le Monde avec des résultats très mitigés (la toute première entorse à la liberté de librement exprimer un avis controversé a été la loi Pleven de 1972).

La deuxième risque d’être bientôt tirée. Selon ce qu’on sait, il s’agirait de tenir les hébergeurs responsables du contenu des publications des internautes. Des blogues et des médias sociaux comme Facebook ou Twitter sont visés. La censure sera alors faite par les hébergeurs eux-mêmes de crainte d’être poursuivis en justice.

On verra si le système osera aller jusqu’à une censure plus généralisée. Tout est possible mais l’histoire nous a appris que le résultat de ce genre de mesures n’est jamais conforme à l’attente.

Par exemple :

– La mise à l’Index Librorum Prohibitorum d’ouvrages dérangeants au XVIe siècle n’a pas empêché la Réforme de s’étendre et les guerres de religion de ravager l’Europe.

– Le contrôle des médias en URSS n’a pas empêché le système communiste de s’effondrer.

Mais voyons d’abord comment on peut classer les informations.

Les nouvelles truquées ou « fake news »

Les « fake news » sont des nouvelles volontairement truquées ou rapportant des rumeurs non vérifiées. Elles concernent généralement ce qui se passe ailleurs dans le monde – ce qui les rend difficilement vérifiables quand on n’est pas sur place – et elles sont souvent fabriquées à des fins de propagande ou pour déstabiliser une opinion publique ou un État.

Les exemples ne manquent pas et on en trouve autant dans les médias traditionnels que dans les médias alternatifs.

Je parle ici des médias alternatifs sérieux, pas des sites « complotistes » que je ne citerai pas pour ne pas leur faire de publicité et qui ne vivent qu’en  parlant de fumisteries : les reptiliens, les illuminati, etc.

Censurer ces médias ne rendra pas le monde plus intelligent mais ouvrira la porte à un certain contrôle de l’information.  L’histoire nous a appris que la justice peut donner une interprétation exhaustive à des lois apparemment anodines.

Les informations tronquées

Il s’agit d’une forme insidieuse de la manipulation des opinions qui consiste à donner des informations exactes mais incomplètes, de ne pas parler de certains faits ou d’en parler en quelques lignes au milieu d’un journal voire même de les nier si elles ne sont pas conformes à la pensée dominante.

Un exemple récent :

– Les médias « mainstream » ont parlé des dizaines de milliers d’Iraniens qui ont manifesté contre leur situation sociale mais ils ont tu les manifestations pro-gouvernementales qui rassemblaient des centaines de milliers d’Iraniens dans les grandes villes du pays.

Les informations dérangeantes « Disturbing information »

Les informations dérangeantes donnent des points de vue qui contredisent les informations dominantes.  Elles ne sont pas fabriquées et proviennent généralement d’opposants au système.

En légiférant contre les « fake news », le pouvoir vise aussi ces informations. Des sites comme Spoutnik ou RT sont en ligne de mire.

Deux exemples de ces dernières années :

– L’ouverture de RT à l’UKIP – partisan du Brexit – qui n’avait qu’un accès très limité aux médias dominants en 2016.  Peut-être que sans cela, le oui n’aurait pas eu 51,9 % mais il se peut aussi que si l’UKIP avait eu un accès normal aux médias dominants, le oui aurait obtenu plus de 51,9 %.

– RT a souvent parlé des informations délivrées par Wikileaks sur les dérives de la candidate Clinton en 2016. Cela avait avantagé le candidat Trump mais si le FBI et les médias traditionnels avaient sérieusement enquêté sur le contenu des fuites plutôt que sur la façon dont elles ont été obtenues, la candidate Clinton aurait dû jeter l’éponge.

Ces informations dérangeantes ne doivent pas être censurées parce qu’elles nous donnent un autre angle de vue.  Elles peuvent être largement minoritaires chez nous mais majoritaires ailleurs.  Elles ne sont pas nécessairement plus objectives ailleurs mais elles permettent de mieux comprendre une situation sous tous ses aspects.

L’objectivité de l’information

S’il y a une chose qui est sûre, c’est qu’il n’y a pas d’informations objectives. La charte de Munich est une création d’idéalistes mais pratiquement personne ne se l’applique.

Dans l’information, s’il y a une chose qui est toujours incontestable, ce sont les faits mais encore faut-il les rapporter intégralement, sans les déformer et sans ironie, une fâcheuse tendance que nos journalistes « professionnels » ne manquent pas d’utiliser quand il s’agit de sujets touchant des pays ne se soumettant pas à la domination euro-atlantique.

Il faut aussi placer les faits dans leur contexte et, là, cela devient plus subjectif.

Prenons un objet quelconque en exemple :

– Suivant l’angle de vue, on peut le trouver beau ou laid.  Si dix observateurs l’observent du même point, il y peut y avoir unanimité pour dire qu’il est beau ou laid.  Un observateur se trouvant dans un angle de vue différent peut avoir un autre avis mais il sera rejeté parce que non conforme à l’avis majoritaire.
Aujourd’hui, il est question d’interdire d’avoir un angle de vue différent. L’avis des observateurs majoritaires devenant ainsi une sorte de vérité révélée.

De plus, peut-on juger de l’aspect esthétique d’une chose en faisant abstraction de son environnement ?

– Observer un edelweiss dans le creux d’un rocher à 2500 m d’altitude est un spectacle d’une beauté rare.  Cueillez la fleur et mettez-là sur votre cheminée : vous la trouverez horrible.

Il faut donc aussi toujours contextualiser une information.

Le monde de l’information est aujourd’hui un univers de propagande destiné à formater les esprits et, clairement dit, cela concerne tous les pays.

Les techniques utilisées sont diverses et de plus en plus scientifiques. Depuis Corax de Syracuse au VIe siècle av. J-C. jusqu’aux « think tanks » conservateurs contemporains et les PSYOPS (note : 2), la rhétorique a progressé avec l’évolution des moyens de communication (un article de l’Association suisse des Journalistes francophones développe un peu plus le sujet. Voir la deuxième page du lien). Il est donc indispensable de s’informer à des sources antagoniques sinon il faut accepter d’être un jouet manipulé du système.

Les trois singes

Le thème des trois singes de la sagesse nous vient d’Extrême-Orient et on le trouve à l’origine dans les « Entretiens de Confucius. »

Il a écrit : « De ce qui est contraire à la bienséance, ne pas regarder, ne pas voir, ne pas le dire » et il ajoute une quatrième recommandation : « ne pas le faire.»

Celui qui adopte ce symbole de sagesse trouvera la tranquillité mais il restera à un stade proche du singe.  L’Homme a une conscience et il n’a pas le droit de rester silencieux.

Les journalistes « mainstream » connaissent la vérité mais ne veulent ou ne peuvent pas la dire, soit parce que l’avis majoritaire est conforme à leurs convictions, soit parce qu’ils tiennent à leur « gagne-pain » et qu’ils ont des « enfants à nourrir.»

Il y a un dicton néerlandais qui leur convient beaucoup mieux : « horen, zien en zwijgen » qu’on pourrait traduire par : « tout voir, tout entendre et ne rien dire. »

Il est à remarquer que beaucoup de vrais philosophes, d’anciens diplomates ou de militaires à la retraite commencent à faire fi de ce dicton et se mettent à « tout dire. »

Il y a quelques exceptions dans le monde du journalisme en France, sans doute tolérées pour sauvegarder un pluralisme de façade.

Il y a la journaliste Natacha Polony dont l’intégrité est irréprochable.  Je rends ici hommage à sa sincérité et pour le travail qu’elle fait.

Il y a aussi Eric Zemmour qui nous fait des analyses vues d’un angle différent.  Ses connaissances de l’histoire contemporaine de la France sont impressionnantes.  Il n’est pas question ici de cautionner inconditionnellement ses analyses mais force est de constater qu’il est un des rares journalistes qui ose mettre le politiquement correct en question.  A chacun de décider s’il y a lieu de moduler ensuite sa perception de l’actualité. Il est à remarquer que ses propos, quand ils sont très dérangeants, sont généralement recadrés par des confrères ou par des responsables politiques… quand ils ne se terminent pas devant les tribunaux !

Il est évident qu’une nouvelle loi restreignant la liberté d’opinion est un nouveau pas vers le totalitarisme, c’est-à-dire un système où il n’y a que la vérité d’Etat qui est tolérée.

Nous en sommes évidemment encore loin mais il faut être vigilant.

Dans une démocratie saine, le pouvoir doit accepter de recevoir des critiques qui mettent sa politique en question.  Les représentants du peuple doivent exercer un contrôle sur les activités du gouvernement.  Ils ont été élus par le peuple, le représentent et ils ont le devoir de défendre les intérêts du plus grand nombre.  Voter pour des lois liberticides, c’est trahir le peuple.

Conclusion

Aucun pouvoir, fût-il totalitaire, n’est capable de tromper le peuple éternellement.  L’histoire contemporaine nous a montré que la vérité finit toujours par émerger.

Comme a dit Abraham Lincoln : « On peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps mais on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps. »

Quand des informations ou des analyses retiennent notre attention, il y a toujours lieu de les recouper avec d’autres antagoniques et de chaque fois vérifier trois choses.

  • Qui écrit ?
  • Quel est le message que l’auteur veut faire passer ?
  • À qui il s’adresse ?

Cela permet de savoir si les angles de vue sont uniques ou multiples.  Dix articles peuvent avoir la même source : l’AFP, Reuters, OSDH etc.  Cela ne s’appelle pas alors recouper une information mais simplement prendre connaissance d’un angle de vue ou d’un point de vue si on préfère.

Pierre Van Grunderbeek
25/01/2018

Notes

1) Dire que le président syrien est un criminel de guerre – alors que la France a fourni armes et conseils aux opposants islamistes – et envisager en même temps qu’il participe à la transition politique est incohérent et exclu la France de sa participation à une solution politique en Syrie. Si Bachar al-Assad gagnait les prochaines élections présidentielles et il y a toutes les chances qu’il en soit ainsi, comment pourrait-on contester toute ses décisions passées, présentes et futures ?  Lors d’une guerre, il y a toujours des victimes civiles.  La vraie question serait : pouvait-il agir autrement pour éviter que son pays ne tombe aux mains d’extrémistes islamiques ?

2) Deux grandes chaînes d’information américaines ont admis avoir autorisé des officiers des opérations psychologiques de l’armée à travailler comme stagiaires à leur quartier général pendant la guerre du Kosovo. The Guardian

La source originale de cet article est Mondialisation.ca
https://www.mondialisation.ca/nouvelles-truquees-fake-news-ou-informations-derangeantes-disturbing-information/5622608
Copyright © Pierre Van Grunderbeek, Mondialisation.ca, 2018

Note de l’auteur : Le Centre de recherche sur la mondialisation (CRM) accorde la permission de reproduire la version intégrale ou des extraits d’articles du site Mondialisation.ca sur des sites de médias alternatifs. La source de l’article, l’adresse url ainsi qu’un hyperlien vers l’article original du CRM doivent être indiqués. Une note de droit d’auteur (copyright) doit également être indiquée.

Correspondance Polémia – 26/01/2018

Crédit photo : grahamc99 via Wikimedia (cc)

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