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L’idéologie de la Commission européenne a un nom : le libéral-socialisme

L’idéologie de la Commission européenne a un nom : le libéral-socialisme

par | 20 septembre 2023 | Europe, Exclusivité Polémia

Par Pierre-Marie Tailleur, ancien haut fonctionnaire, dirigeant d’entreprise ♦ L’Union européenne est libérale-socialiste. Et ce n’est pas seulement un oxymore, c’est une réalité selon Pierre-Marie Tailleur. Un texte polémique dont on n’est pas forcé de partager la conclusion pessimiste, mais un texte qui stimule la réflexion.
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Le titre de cet article peut surprendre tant le libéralisme et le socialisme semblent s’opposer.
Le « socialisme libéral » a d’abord été imaginé il y a un siècle, et théorisé en Italie (notamment dans les années 1930 face à la montée du fascisme), comme une forme de socialisme privé de ses excès collectivistes : une façon de maintenir les objectifs de répartition des richesses et d’égalité républicaine, mais en permettant aux initiatives privées d’éclore plutôt que par une planification centrale.

On peut aussi juger que le logiciel traditionnel du parti démocrate américain repose sur un libéralisme social, car d’abord fondé sur l’économie de marché mais soucieux de la correction des inégalités.
Cet amalgame se retrouve dans l’action de la Commission européenne et l’on pourrait être tenté de la peindre en simple émanation européenne du parti démocrate américain.

S’appuyant sur les Traités (notamment l’article 3 du traité sur l’Union européenne), la Commission défend l’économie de marché et le libre-échange.

Ce faisant, elle crée des distorsions qu’elle propose ensuite de corriger en apportant de nouvelles réglementations au niveau européen ou en instruisant et autorisant des subventions et aides d’Etat qui brouillent les effets de ses réglementations.

  • La liberté de circulation a été instaurée pour faciliter l’émergence du marché intérieur ; l’augmentation de l’immigration extra-européenne venant interroger la pertinence d’un retour des frontières, l’UE a créé un corps de garde-frontières européen et a tenté d’instaurer des répartitions forfaitaires par pays des immigrés illégaux arrivés par la Méditerranée.
  • Les marchés de l’électricité ont été dérégulés dans le but d’offrir aux citoyens et entreprises européens une électricité aux prix tirés vers le bas, par l’effet du marché unique. Les prix ont été modérés mais les investissements ont plongé. La Commission a donc développé des cadres complexes d’autorisation d’aides d’Etat pour stimuler les investissements, avant de présenter une nouvelle réforme des marchés de l’électricité.
  • Le marché unique a été créé en particulier pour les produits agricoles, tout en continuant les plans de subventions de la Politique Agricole Commune dont les cahiers des charges pour les exploitants se complexifient.

On pourrait s’arrêter là et constater que la Commission, agissant tantôt de façon libérale et tantôt de façon interventionniste, parvient à une forme de centrisme raisonnable.

Mais ce centrisme est une conséquence, et non le fondement, de son idéologie. Dès son premier président, Walter Hallstein (ancien juriste réputé du Reich national-socialiste), la Commission a théorisé sa volonté d’utiliser l’effet cliquet pour pousser l’intégration européenne sans cesse en avant. Concept d’« union sans cesse plus étroite » qui reste au cœur des traités, mentionné dès l’article 1 du traité sur l’Union européenne, dont la Commission se veut la gardienne.

Le constat que certaines réglementations sont imparfaites, justifiant l’évolution de celles-ci, n’est pas le moteur de l’action de la Commission. Son moteur, ce sont l’ensemble de ses directions, l’ensemble de ses unités, l’ensemble de ses fonctionnaires, dont la mission est de trouver l’étape supplémentaire d’intégration dans le domaine qu’ils régissent. La Commission s’auto-justifie systématiquement d’une implication toujours plus grande dans chaque domaine qu’elle traite. Ce, malgré l’article 1 du traité sur l’UE, cité plus haut, qui mentionne la volonté de « prendre les décisions le plus près possible des citoyens ». Difficile de faire plus loin qu’à Bruxelles, par des fonctionnaires sous l’autorité de commissaires non élus !

Aussi le principe de subsidiarité n’est-il pas utilisé pour laisser une latitude d’action aux États membres dans le choix de leurs politiques, mais au contraire pour toujours trouver une justification à une action communautaire. La Commission le fait sans grande peine dans le champ économique : toute mesure nationale est en soi un risque de fragmentation du marché intérieur. Mais également dans le domaine de l’immigration : puisque les déplacements de ressortissants de pays tiers entre États membres revêtent un enjeu transnational, il est, « de toute évidence » (d’après la proposition de la Commission de révision du règlement Dublin III), nécessaire d’agir au niveau de l’Union.

Considérer que des problèmes, parce qu’ils touchent plusieurs États membres, sont « de toute évidence » de nature communautaire, c’est être socialiste. Le socialisme est tentaculaire : parce qu’il est insupportable qu’un principe universel ne soit pas respecté, il y a toujours une raison pour agir, même et a fortiori contre les volontés locales. Le socialisme s’immisce toujours plus dans le quotidien, en réglementant jusqu’au moindre détail pour gommer les inégalités de résultat. Et, lorsque cela ne fonctionne pas, en plaidant pour réglementer encore plus.

La Commission n’est pas centriste. Elle utilise le duo du libéralisme et du socialisme pour assoir son pouvoir. Le libéralisme comme moteur des échanges économiques et de l’aplanissement des disparités locales, le socialisme comme justification d’une action correctrice centrale.
La Commission n’est pas centriste. Un centriste est démocrate : pesant les aspirations contradictoires de la population, il propose un chemin qui convient au plus grand nombre (même si cela conduit à ne satisfaire personne). La Commission n’a pas besoin de réfléchir ainsi. Elle dispose d’un pouvoir exorbitant d’initiative de textes réglementaires, et de retrait de ces textes si les évolutions votées par le Parlement et le Conseil (pourtant plus proches de la volonté des citoyens) ne lui conviennent pas.

En l’état actuel des traités, il ne peut pas y avoir d’Union européenne autre que libérale-socialiste. Si le Parlement et le Conseil prenaient, demain, une coloration plus conservatrice, la Commission userait de son pouvoir d’initiative et de retrait des textes pour empêcher toute réglementation non conforme à son idéologie.
Tant que les traités donneront un rôle primordial à la Commission, les citoyens n’auront pas leur mot à dire et il n’y aura pas de fonctionnement démocratique dans l’UE (sans même entrer dans la question de la définition du « démos » européen).

Les élections de 2024 n’y changeront rien : l’UE restera libéral-socialiste.

Pierre-Marie Tailleur
20/09/2023

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