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« Les écrits en prison de Georges Albertini », par Morvan Duhamel

« Les écrits en prison de Georges Albertini », par Morvan Duhamel

par | 22 octobre 2014 | Médiathèque

Note de lecture de Camille Galic

« Les écrits en prison constituent un précieux document sur l’une des périodes les plus sombres de notre histoire. »

« La Révolution est un bloc », déclara Georges Clemenceau le 29 janvier 1891 à la Chambre. Pour les générations, pour la médiocratie et même pour certains historiens actuels, la Collaboration est, elle aussi, « un bloc », composé de salauds dont pas un ne peut racheter l’autre, à quelque obédience qu’il ait appartenu. Et pourtant, que de rivalités, de scissions, d’affrontements et même de haines entre les différents mouvements ayant choisi cette option pendant les « années noires » !
C’est l’un des mérites de ces Ecrits en prison ressuscités avec piété par Morvan Duhamel, qui avait déjà publié chez Amalthée les Entretiens confidentiels de Georges Albertini (*), de montrer la complexité de l’écheveau. (C.G.)


Les textes laissés par celui qui avait été le numéro deux du Rassemblement national-populaire ou RNP, fondé en 1941 par le socialiste Marcel Déat, se décomposent en trois parties.

D’abord, un « Journal de ma prison (septembre 1944-février 1945) », précédé d’une « Note autobiographique » très louangeuse, parce que destinée aux juges via la plaidoirie de l’avocat Maurice Paz. Ensuite des « Impressions d’audience », sur son procès qui s’acheva le 24 décembre de la même année par une albertinicondamnation à « cinq ans de travaux forcés, à cinq ans d’interdiction de séjour », peine bénigne si l’on pense aux condamnations à mort simultanément infligées aux journalistes Henri Béraud, Paul Chack et Robert Brasillach – les deux derniers exécutés dans la foulée. Et enfin, le gros morceau, « Histoire du RNP » : une histoire que – sous une autre forme, un autre titre (« Le destin de Marcel Déat : un témoignage de première main sur l’histoire de quatre années terribles » et, bien sûr, sous le pseudonyme de Claude Varennes puisqu’il était encore embastillé – Albertini publia en 1948 aux éditions Janmaray.

Trente ans plus tard, les passions et le ressentiment s’étant apaisés, son opinion avait-elle varié sur les hommes et les événements qu’il décrivait alors dans un bilan dressé « sévèrement mais objectivement » ?

Professeur à l’Ecole normale (d’instituteurs) de Troyes, socialiste, syndicaliste et pacifiste, le jeune Albertini avait été séduit par la personnalité et le programme de Déat (normalien lui aussi, mais de la Rue d’Ulm) tels qu’ils s’exprimaient dans le journal L’Œuvre, et le RNP lui paraissait « le plus sainement collaborationniste », la collaboration franco-allemande étant conçue « comme une politique nationale, exclusive de toute abdication devant le vainqueur, fondée avant tout sur la nécessité où se trouvait la France de trouver un modus vivendi avec son vainqueur et de préparer, par un rapprochement avec lui, une paix aussi favorable qu’il était possible ».

« C’est pour avoir perdu ces vérités essentielles, déplore-t-il, que Déat entraîna sur ses pas le Parti dans une véritable nasse, dont il ne put se dégager dans les mois décisifs de 1944 », avant son départ en catimini pour Sigmaringen puis en Italie – où cet agnostique devait se convertir au catholicisme avant sa mort en janvier 1955.

C’est cette supposée trahison de la doctrine initiale, puis cette fuite précipitée dans les fourgons allemands, en laissant cadres et militants du RNP se débrouiller seuls, qui expliquent l’extrême sévérité du mémorialiste envers celui qu’il avait tant admiré mais qu’il devait ensuite taxer de jobardise dans sa brève alliance avec les Cagoulards et le MSR d’Eugène Deloncle, de lâcheté devant l’occupant et Vichy, et auquel il reprocha tant son attrait pour le pouvoir qui lui fit accepter en 1944 le ministère du Travail et de la Solidarité nationale dans le gouvernement de Pierre Laval. Un « pourri » dont « les tares de vieux politicien répugnaient aux militants », écrit Albertini, avec à notre avis une grande injustice : c’est, en effet parfaitement conscient du sort qui l’attendrait en cas de défaite allemande, et dans un esprit de sacrifice authentique, que le président du Conseil avait consenti à des « abdications » pour tenter de sauver ce qui pouvait l’être et améliorer le sort des Français, civils et prisonniers de guerre, dont, grâce à lui, près d’un demi-million fut rapatrié.

La partialité du mémorialiste est sans doute justifiée par les déceptions et les souffrances qu’il a lui-même endurées avec l’arrestation de son épouse, torturée par des geôliers FFI, et le décès de leur petit Claude, mort de manque de soins à l’Assistance publique à laquelle il avait été confié après l’incarcération de ses parents. Cette partialité est néanmoins surprenante puisque, comme le prouve son « Journal de prison », il a frayé et s’est même lié d’une grande amitié avec des collaborateurs – ou internés comme tels – venus de tous les horizons politiques, souvent très éloignés du RNP et dont il brosse des portraits sympathiques. Confrontés à la faim et au froid sibérien régnant à Fresnes, face à un ennemi hurlant à la mort, notamment le PCF – alors que le mémorialiste, révolutionnaire et même « robespierriste » de conviction mais anticommuniste de fondation, trouve curieusement des excuses aux gaullistes et à leur chef, dont il se rapprochera après 1958 (**) –, tous ces hommes étaient embarqués sur la même galère, et certains savaient qu’ils n’y survivraient pas. D’où la profonde solidarité qui liait ces parias, au-delà des clivages idéologiques. A cet égard, Les écrits en prison constituent un précieux document sur l’une des périodes les plus sombres de notre histoire.

Camille Galic
15/10/2014

Morvan Duhamel, Les écrits en prison de Georges Albertini, éditions Amalthée 2014, 330 pages.

Notes :

(*) et (**) Entretiens confidentiels de Georges Albertini, par Morvan Duhamel

Correspondance Polémia : 21/10/2014

Image : 1re de couverture sur fond de la prison de Fresnes où G. Albertini a été incarcéré.

 

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