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L’avenir de l’Europe se joue-t-il en Italie ?

L’avenir de l’Europe se joue-t-il en Italie ?
L’avenir de l’Europe se joue-t-il en Italie ?

Les nouveaux dirigeants italiens seront-ils à la hauteur des rôles historiques qui pourraient être les leurs ? C’est la question que doivent se poser les Italiens, face à la grave situation économique et sociale du pays, maintenant que le nouveau gouvernement est entré en exercice.

Mais c’est aussi celle qui préoccupe tous les autres Européens conscients de l’opportunité que représente l’accession de l’alliance jaune-vert, inédite et improbable, au palais Chigi, dans la perspective d’un changement d’orientation radical de la politique européenne en termes d’immigration, de stratégie monétaire et financière, mais encore de diplomatie.

Certes, la situation est difficile et complexe, et pour la surmonter, ils devront se garder de tout dogmatisme et, plus que tout, de toute démagogie. Il n’y aura pas de miracle, et les électorats populistes seront forcément déçus, s’ils attendent un redressement spectaculaire immédiat, sans un effort collectif, national. La marge de manœuvre est étroite entre la situation financière délicate de l’Italie et l’intransigeance des marchés et des créanciers internationaux. Cependant, selon nous, la crédibilité du gouvernement Conte et de la coalition Ligue-M5étoiles au pouvoir se jouera avant tout sur la cohérence de ses politiques domestique et extérieure, et sur sa capacité à démontrer du même coup qu’il existe une alternative à la politique d’ouverture tous azimuts de l’Union européenne, et à se rallier par ce biais le soutien d’une partie des opinions publiques étrangères.

À première vue, le programme de la politique de relance par la consommation envisagé par la coalition au pouvoir laisse perplexes tous ceux qui sont au fait de l’endettement public italien (130% du PIB aujourd’hui et 200% en 2050 sur les bases actuelles), du vieillissement de la population italienne (la deuxième la plus âgée du monde, avec un solde naturel négatif ces deux dernières années), et de la médiocre productivité de plusieurs secteurs de l’économie.

En effet, la réduction des impôts alors que la collecte de ceux qui existent laisse à désirer, la baisse de l’âge du départ à la retraite sachant que la population active diminue (de 30% d’ici à 2050), au point que la part de la dette globale de chaque actif italien va augmenter de près de mille euros par an, tout au long des décennies à venir, et la mise en place d’un coûteux traitement social du chômage à la française (augmentation des minimums sociaux, sans contrepartie) sont des mesures qui ne peuvent qu’être contre productives. Elles approfondiraient la crise, si elles étaient adoptées, alors que la relance par l’investissement est le meilleur moyen de la résorber en créant des emplois (une façon de conserver aussi ce qu’il reste de jeunesse à l’Italie) et en s’attaquant au sempiternel problème du dualisme régional italien. Ceci en modernisant les infrastructures, en développant les technologies, et en stimulant le réseau des petites et moyennes entreprises industrielles (pmi) qui demeurent l’atout majeur de l’économie italienne.

Le marasme du Sud continue d’obérer l’équilibre économique de la péninsule, et la recherche opiniâtre de sa fin, avec pragmatisme et rigueur pour éviter les dérives du passé, c’est à dire à l’inverse de ce qui a été entrepris au temps de la Caisse pour le Midi, est une des conditions premières à la relance de la dynamique domestique. Cette démarche aurait aussi l’avantage politique non négligeable de souder la coalition au pouvoir, quand on sait comment la Ligue a appréhendé longtemps la question méridionale. L’investissement industriel et technologique va d’autant plus de soi que grâce à ses pmi l’Italie dispose d’un solde nettement positif de son commerce extérieur (ce qui est loin d’être le cas de la France), et que grâce à l’investissement, elle peut espérer des ré-localisations un peu partout sur son territoire. Aujourd’hui, les exportations italiennes sont pénalisées par la politique de l’Union européenne envers la Russie, et c’est à juste titre que le président Conte a demandé la levée des sanctions prises contre elle.

Quant au déficit public italienencore modéré, il serait inévitablement aggravé dans les deux cas. Mais, les dépenses d’investissement sont toujours moins inflationnistes que les dépenses sociales et que les dépenses de consommation, et elles sont donc moins lourdes de risques monétaires. Ce qui est à prendre avec beaucoup de considération quand on envisage la position de l’Italie dans la zone euro et le risque d’une crise de la dette souveraine italienne (à la fin du mois de mai, en quelques jours, le taux à dix ans des emprunts italiens est passé de 1,9 a 2,25%). Une banqueroute qui ne manquerait d’éclater en cas d’Italexit, lequel n’est en aucune façon un recours pour les raisons structurelles qui ont été décrites au début.

L’Italie n’a pas le choix. Il lui faut trouver les moyens d’une relance économique qui ne compromette pas un peu plus sa situation financière (la demande du nouveau gouvernement faite à la BCE d’effacer la dette italienne d’environ 250 milliards restera sans effet), et qui soit suffisamment pertinente pour rassurer ses créanciers actuels et potentiels.

En tout état de cause, la politique économique du gouvernement populiste va conditionner tout le reste, car une Italie mise en faillite ne pourrait faire prévaloir ses vues dans aucun domaine. Une telle impasse serait déplorable pour elle-même, et pour tous ceux qui, en Europe, ont la faiblesse d’espérer qu’à partir du « laboratoire italien » leur aspiration au changement de la politique commerciale de l’Union, à la révision complète de sa politique d’immigration intensive, et à un infléchissement net de sa politique russe, puisse connaître un début de satisfaction.

Les opportunités existent

Sur les trois axes politiques à l’instant évoqués, une Italie revigorée par l’investissement et par une gestion saine de son économie pourrait faire front commun avec d’autres États européens (Autriche, Hongrie, Slovénie, Bavière et tous ceux où les phénomènes de saturation exerceront bientôt leurs effets) dans le cadre de l’Union, quitte à créer deux blocs en son sein, plus d’ailleurs au niveau des gouvernements qu’à celui des opinions publiques.

Car on peut croire qu’à la suite des événements graves qui vont marquer les prochaines années, une large majorité de ces dernières ne tardera pas à se ranger du côté de ce qui pourrait être un bloc Italie-Centre Europe. C’est essentiel parce que l’élargissement européen du combat engagé par les populistes italiens est une condition de sa réussite, car il est clair qu’une Italie trop isolée ne pourra résister longtemps aux manœuvres dilatoires que vont engager tous les acteurs qui veulent les voir échouer.

L’affaire de l’Aquarius est symptomatique

Le ministre Salvani a raison d’engager le bras de fer, car il met ainsi les autres gouvernements, qui ne veulent pas s’opposer aux vagues migratoires et qui laissent l’Italie les affronter seule, devant leurs responsabilités. La crise révèle ainsi toute sa gravité. Et comme il ne s’agit là que du premier épisode d’une longue série, c’est une ligne de partage entre immigrationnistes et anti-immigrationnistes qui va se dessiner à travers l’Europe. Salvani doit persister car, avant même les problèmes de politique économique, la grande explication sur le devenir de l’Union va commencer par là.

L’avenir de l’Europe se joue en Italie

En cas d’échec du gouvernement populiste, soit à cause de ses choix économiques, soit pour d’autres raisons comme des querelles intimes au cœur de la coalition, ou comme l’incompétence, tout simplement, ce sera une belle occasion de perdue pour tous ceux qui ont voté pour la Ligue ou pour le mouvement cinq étoiles, et pour tous ceux qui, en Europe, auront cru à un premier sursaut populaire contre tous les suppôts de l’idéologie mondialiste ; et lesquels pourront alors accélérer et accentuer les processus humains et économiques de la globalisation.
En cas de succès même relatif, c’est à dire l’ébauche de politiques cohérentes bien que partiellement effectives, et la démonstration que la dégradation de la société européenne n’est pas inéluctable, les populistes italiens, même s’ils devaient perdre provisoirement le pouvoir, parce que la partie ne sera pas finie, auront montré que les Européens peuvent reprendre leur destin en main.

Gérard Dussouy
Source : Metamag
18/06/2018

Crédit photo : Pava [CC BY-SA 3.0], via Wikimedia Commons

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