Par Johan Hardoy ♦ Dans son dernier livre, Rue Copernic – L’enquête sabotée – 1980-2023 (Éditions L’Artilleur, 293 pages, 20 euros), le journaliste Clément Weill-Raynal, rendu célèbre pour avoir révélé au grand public le scandale du mur des cons, s’intéresse de façon minutieuse à une vieille affaire « ni résolue ni définitivement classée ».
Le 3 octobre 1980, en fin d’après-midi, une bombe de très forte puissance explosait devant la synagogue de la rue Copernic, située dans le XVIe arrondissement à Paris. Quatre personnes furent tuées et une quarantaine blessées. C’était la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale qu’un attentat visait la communauté juive en France.
Selon l’auteur, l’instrumentalisation politique initiale de l’attentat et le « sabotage » de la longue enquête judiciaire ont contribué à retarder l’ouverture du procès qui ne s’ouvre qu’en ce mois d’avril 2023, plus de quarante ans après les faits.
Les réactions à chaud
« Dès le soir de l’attentat, l’événement a été marqué du sceau du mensonge politique et de la manipulation de l’opinion publique. » En effet, « Dès les premières heures, la gauche, dans toutes ses composantes, est à la manœuvre » pour exiger la démission du ministre de l’Intérieur et s’émouvoir de « l’impunité » dont jouissent les terroristes « d’inspiration néonazie et raciste ». Le soir même, « un invraisemblable mot d’ordre » est « lancé et répété comme un mantra » : « Ce sont des nazis qui ont posé la bombe ! »
À droite de l’échiquier politique, « les têtes les plus froides cèdent à la pression ambiante ». Le président de l’Assemblée nationale Jacques Chaban-Delmas, ancien résistant, déclare : « Ceux qui ont vécu le nazisme sont déterminés à en combattre les résurgences ! » Le garde des Sceaux Alain Peyrefitte évoque quant à lui « une renaissance du nazisme et du fascisme ».
Cette accusation, confortée par le souvenir récent de l’attentat de Bologne attribué à des néofascistes italiens, est reprise en chœur dans toute la France. La presse « joue sa partition et accélère la cadence », en incriminant le gouvernement et la police jugés coupables d’avoir sous-estimé la résurgence du fascisme, quand elle ne les accuse pas de complicité passive avec les milieux d’extrême droite radicale.
Les jours suivants, des manifestations monstres sont organisées, en présence des autorités morales et politiques, pour appeler le pays à réagir contre la menace néonazie.
Comme le dit l’auteur, « L’un des principes fondateurs de la bien-pensance de gauche postule depuis la seconde partie du XXe siècle que l’antisémitisme demeurerait l’apanage quasi exclusif de la droite et de l’extrême droite. Voilà sans doute pourquoi un réflexe pavlovien a conduit à décréter dès le soir de l’attentat contre la synagogue que seul un groupe nazi pouvait être à l’origine de la tuerie. »
Quatre décennies de procédure
Très rapidement, la police met pourtant « les nazis » hors de cause. Cette mouvance n’est alors « constituée que de deux ou trois groupuscules réunissant de bien maigres troupes, quelques dizaines au grand maximum de militants désœuvrés, dont beaucoup relevaient plus du centre médico-pédagogique que de la défunte Cour de sûreté de l’État ».
Jean-Pierre Pochon, un haut cadre des services des renseignement, confie que la Direction de la surveillance du territoire (DST) écarte très vite la thèse de l’implication de l’extrême droite et penche pour un acte de terrorisme palestinien. De leur côté, les Renseignement généraux (RG) reçoivent pourtant de multiples « révélations », provenant le plus souvent de milieux journalistiques largement politisés à gauche et à l’extrême gauche, qui orientent encore et toujours les investigations vers la piste néonazie. Le temps perdu à vérifier les informations les plus invraisemblables est considérable.
Quelques temps plus tard, l’enquête judiciaire s’oriente quand même vers la piste moyen-orientale. Une moto retrouvée carbonisée près de la synagogue permet de remonter jusqu’à un pseudo touriste d’origine chypriote utilisant des documents d’identité falsifiés. La DST relaie ensuite des renseignements provenant d’un service allemand qui établissent que cet acte terroriste est l’œuvre d’un commando d’un groupe anti-impérialiste palestinien dissident, le Front populaire de libération de la Palestine – Opérations spéciales (FPLP-OS), qui base sa stratégie sur l’attaque des cibles juives en Europe, considérées comme alliées et complices d’Israël. Selon ces informations, le faux touriste serait un Libanais prénommé Hassan, qui aurait agi avec l’aide d’un certain Abdallah, un Palestinien détenteur d’un passeport jordanien. Les deux hommes auraient regagné le Liban dès le lendemain de l’attentat, via de multiples escales, en utilisant différentes identités entre deux avions.
La presse relaie quelques indiscrétions à ce sujet, mais « de puissants relais d’opinion », notamment « les partis et organisations de gauche », persistent à accréditer la thèse néonazie. « La Palestine demeure une cause sacrée » qui « incarne la dernière version du romantisme révolutionnaire », et certains milieux, qui veillent à ne pas brouiller cette « image positive », préfèrent véhiculer « l’histoire d’un Fantomas nazi insaisissable ».
Des recherches relancées tardivement
Près de vingt ans plus tard, les investigations judiciaires, en collaboration avec les services de renseignement français et étrangers, parviennent à identifier les présumés commanditaires au sein de la nébuleuse des organisations terroristes moyen-orientales. En 1999, la DST confirme au juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière que l’attentat a bien été commis par le FPLP-OS, tout en précisant qu’une dizaine de personnes ont participé à l’opération. Le suspect numéro un, le loueur de la moto carbonisée qui a déposé la bombe devant la synagogue, s’identifie à un Libanais nommé Hassan Diab, né en 1953 à Beyrouth, ancien membre du FPLP-OS devenu professeur de sociologie à l’université d’Ottawa. L’intéressé a acquis la nationalité canadienne en 1995.
L’instruction judiciaire stagne encore durant quelques années avant d’être reprise par le juge Marc Trévidic en 2007. Des comparaisons d’écritures portant sur cinq mots rédigés sur une fiche d’hôtel par le faux touriste permettent de relever, selon l’un des deux experts requis, « de nombreuses concordances » avec celle d’Hassan Diab. En outre, la ressemblance entre le portrait-robot réalisé après l’attentat et une photo d’identité retrouvée dans un dossier universitaire libanais est saisissante. L’année suivante, la police italienne communique également des éléments sur son passeport de l’époque qui confirment ce faisceau d’indices.
Extradé en France en 2014 et placé en détention provisoire, l’intéressé est cependant libéré en 2018 et rentre immédiatement au Canada. En effet, les deux nouveaux juges d’instruction ont rendu une ordonnance de non-lieu malgré un appel du parquet.
Cette décision des juges est d’autant plus incompréhensible, selon Clément Weill-Raynal, que des « éléments pourtant sérieux, nombreux et convergents », énumérés en détail dans son livre, figurent dans le dossier d’instruction.
Tout en s’interrogeant sur cette remise en liberté, l’auteur se demande si un « angle mort de la lutte antiterroriste » ne découlerait pas du fait qu’en coulisses, les autorités françaises auraient passé un « accord officieux avec des organisations terroristes arabes, leur permettant d’utiliser la France comme base arrière ou zone de transit en échange de leur engagement à ne commettre des attentats que dans d’autres pays ». Cette politique de « non-agression » réciproque a été reconnue par Yves Bonnet, ancien directeur de la DST, lors d’un témoignage recueilli par un magistrat du pôle antiterroriste en 2019.
Le procès, enfin…
En 2021, la cour d’appel annule le non-lieu et renvoie Hassan Diab devant la cour d’assises spéciale de Paris. Néanmoins, sa nouvelle extradition pose problème compte tenu de la façon dont s’est passée la première. Au Canada, des intellectuels et des associations multiplient les appels au gouvernement pour contrer l’éventualité de cette procédure.
L’ONG Amnesty International mentionne notamment que « les renseignements parvenus à la DST en provenance de “services étrangers” pourraient avoir été obtenus par la torture », accréditant ainsi l’idée, reprise par la défense de l’accusé, que « le point de départ de l’enquête serait un renseignement israélien recueilli dans des conditions suspectes ». De là à dire que le Mossad aurait indirectement « murmuré aux oreilles des enquêteurs français », il n’y a qu’un pas…
[Dernière minute : à l’ouverture du procès, le 3 avril 2023, l’accusé est absent et représenté par ses avocats. Il sera donc jugé par défaut pour des faits qualifiés d’assassinats, tentatives d’assassinats et destructions aggravées en relation avec une entreprise terroriste. La peine encourue est la réclusion criminelle à perpétuité. Le verdict est attendu le 21 avril.]
***
Outre les atermoiements judiciaires décrits par l’auteur, l’instrumentalisation politique de cet attentat a engendré, à l’époque, trois conséquences importantes dans la vie politique française :
1/ Comme l’écrit Clément Weill-Raynal, l’émotion suscitée par l’attentat de la rue Copernic a joué un rôle important dans la défaite de Valéry Giscard d’Estaing lors de l’élection présidentielle du 10 mai 1981. Pendant que François Mitterrand dénonçait la présence « d’activistes d’extrême droite » dans l’entourage du chef de l’État, son jeune lieutenant Jean-Pierre Chevènement en rajoutait : « La vérité est qu’une véritable osmose s’est créée entre une partie du personnel dirigeant giscardien et l’extrême droite française, de Vichy en passant par l’OAS. » Les propos maladroits du Premier Ministre Raymond Barre après l’attentat n’ont rien arrangé : celui-ci déplorait qu’outre les juifs allant prier à la synagogue, des « Français innocents » traversant la rue avaient également été touchés…
2/ L’auteur évoque également la mise en cause médiatique des intellectuels de « la Nouvelle Droite », accusés d’avoir réactualisé l’idéologie nationaliste et donc réputés complices des « néonazis ». L’année précédente, une campagne très virulente, orchestrée par les médias de grand chemin, avait déjà visé ce courant de pensée métapolitique, représenté principalement par le Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (GRECE) d’Alain de Benoist et par le Club de l’Horloge fondé par feu Yvan Blot, Henry de Lesquen et Jean-Yves Le Gallou, ce qui avait notamment conduit le Figaro Magazine de Louis Pauwels à écarter les contributeurs liés à ces clubs de réflexion. Lire à ce propos ce long article de Jean-Claude Valla, tiré des Archives de Polémia : https://archives.polemia.com/article.php?id=1345.
3/ Enfin, même si le Front national, qui pesait peu électoralement à l’époque, n’avait pas été mis en cause après l’attentat et l’avait évidemment condamné sans ambiguïté, l’ambiance de l’époque n’a assurément pas facilité le recueil des 500 parrainages requis pour permettre à Jean-Marie Le Pen de concourir à la présidentielle. Faute de quoi, celui-ci avait appelé à voter Jeanne d’Arc…
Johan Hardoy
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