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La présidence italienne fait l’impasse sur le français

La présidence italienne fait l’impasse sur le français

par | 17 juin 2014 | Europe

Polémia porte à la connaissance de ses lecteurs une mesure qu’entend prendre au 1er juillet 2014 la présidence tournante italienne du Conseil de l’Union européenne :

♦ « Le site de la présidence italienne, qui doit être mis en ligne dans les jours à venir, existera seulement en version italienne et anglaise. Il n’y aura donc ni version française ni version allemande ni version dans toute autre langue de l’UE. »


Saisie immédiatement par l’ambassadeur Albert Salon, administrateur et animateur de nombreuses associations engagées dans la défense de la langue française, Madame Anna-Maria Campogrande, elle-même présidente d’Athéna, Association pour la promotion et la défense des langues officielles de la Communauté européenne, et contributrice de Polémia, lance une offensive auprès de différentes instances à Bruxelles. Nos lecteurs trouveront ci-après deux de ses interventions.

Courriel envoyé le lundi 9 juin 2014 à l’ambassadeur Albert Salon et d’autres

(…) La situation est grave, empoisonnée, dégradée, depuis des années, notamment du fait qu’elle n’est pas, elle n’a jamais été, abordée dans une optique de légalité, avec rigueur et intelligence. Je suis toujours stupéfaite lorsque, au sein des débats sur la question linguistique européenne, les uns et les autres se réfèrent à ce qui se passe au plan mondial, aux progrès de l’anglais et au statut du français ou de l’espagnol dans l’une ou l’autre région du monde (en oubliant, par ailleurs, toujours l’Italie) aux dialectes et langues minoritaires alors que la question linguistique européenne, aux termes des traités et de la réglementation en vigueur, couvre et concerne uniquement les langues officielles des Etats membres de l’Union, les langues des traités fondateurs, à l’intérieur des frontières de l’Union, à l’exclusion de toutes les autres. On improvise, on est dans le « pragmatisme ». On oublie que les institutions européennes ne sont pas le marchand de tapis du coin ; elles sont, au contraire, des institutions qui légifèrent et, par ce moyen, entrent dans la vie des citoyens européens et la déterminent, au quotidien. On oublie que, pour les systèmes juridiques héritiers du droit romain, le pragmatisme est l’antithèse de l’état de droit.

Les institutions européennes sont tenues de justifier la compatibilité avec la réglementation en vigueur de toute action, de toute décision, notamment de celles susceptibles de générer des disparités, et à en préciser les critères de discrimination, lesquels se doivent d’être crédibles et conformes à la lettre et à l’esprit des règles en vigueur. Son rôle de législateur constitue, en fait, un aspect fondamental de l’œuvre de l’Union européenne et engendre pour les citoyens, régis par les normes et la réglementation qu’elle produit, le droit d’être impliqués et informés sur l’activité déployée, au jour le jour, de manière complète et en l’absence d’entraves telles que celle d’une information dans une langue étrangère. Mais cela est loin d’être pratiqué et je constate que, aussi longtemps que l’on ne marche pas sur ses propres platebandes, personne ne bouge car il ne se sent pas interpellé, alors que nous sommes tous appelés à contribuer à la construction européenne, à préserver son identité et sa culture éclectiques et multiformes dans un esprit d’intérêt général empreint d’amour, de solidarité et de fraternité.

L’italien a été très discriminé par le trilinguisme, que les Français et les Allemands ont naïvement accepté. L’Italie est, en fait, le seul des quatre grands Etats membres de l’Union dont la langue n’a pas été retenue pour l’usage quotidien dans les institutions, lesquelles institutions ont adopté le trilinguisme et, de manière impropre et arbitraire, le présentent comme leurs « langues de travail ». Il faut, peut-être, rappeler que, au sein de l’Union, l’Italie n’est pas n’importe quel Etat membre, elle est l’un des quatre « grands », au plan démographique, qui est celui qui recouvre la plus grande importance pour l’attribution de tous les paramètres de participation dans le fonctionnement de l’Union ; elle est Etat membre fondateur des Communautés européennes et troisième contributeur net au budget de l’Union. A ma connaissance, vous pouvez me corriger si je m’abuse, l’italien est, aussi, très discriminé dans l’enseignement des langues au plan de l’Education nationale en France. A mon avis, les Français et les Allemands sont tombés dans le piège de la stratégie de colonisation linguistique et culturelle mise en place par les chefs de file de la globalisation au moyen d’infiltrations massives au sein des institutions, nationales et européennes, et suivant le principe du « Divide et Impera ».

Il va de soi que la décision de la présidence italienne me désole parce que, pour moi, le français et l’allemand constituent deux piliers incontournables de la culture et de l’identité de l’Europe. Toutefois, si personne ne veut s’impliquer dans l’examen et dans la compréhension de la question linguistique européenne au plan légal et réglementaire qui régit les institutions européennes et veut continuer à se battre dans le flou institutionnel, uniquement pour ses propres intérêts unilatéraux, on ne sortira jamais de l’auberge et la situation ne pourra qu’empirer. Je vous avais mis en garde, tous, depuis le début, à l’égard du trilinguisme, notamment par l’arbitraire dont il est empreint, et je vous avais dit qu’il ne s’agissait que d’un premier pas pour aboutir au véritable but de toute cette opération : la langue unique, l’anglais. Cela parce que, une fois que l’on emprunte la voie de l’arbitraire, institutionnel, il est difficile de faire marche arrière. La réalité est que tout le monde patauge là-dedans, y inclus les Français et les Allemands, qui se sont laissé prendre au piège du trilinguisme par une mauvaise connaissance des règles qui régissent le plurilinguisme, par une chute de sensibilité à l’égard de l’état de droit et par le cynisme de nos adversaires en la matière.

Dès le début de cette affaire, Athéna avait proposé à la Commission européenne l’adoption d’un « Code de bonne conduite » pour la gestion du plurilinguisme, dont elle était prête à rédiger le projet en collaboration avec les autres associations de défense et promotion des langues nationales officielles. La Commission n’a jamais donné suite à nos propositions de collaboration. Du côté des autres associations, personne ne nous a soutenus, au contraire, les associations françaises et allemandes trouvaient l’arrangement à trois langues tout à fait adéquat, convenable et avantageux.

Pardonnez moi de vous le dire, c’est dans un esprit amical et fraternel que je le fais, mais votre texte (…) est plein d’inexactitudes et de véritables fautes au plan des règles qui régissent les institutions européennes en matière de langues. On peut comprendre tout cela du fait que les institutions, elles-mêmes, par le biais de commissaires incompétents et irresponsables, ont entretenu le flou artistique en la matière, notamment par le biais de rapports tels que, pour n’en citer qu’un exemple, le Rapport Maalouf. Cela étant, les associations de défense et promotion des langues nationales officielles se doivent d’être informées quant à la réglementation en vigueur et non pas sur la base de rapports frauduleux ou des activités d’arrivistes de la dernière heure qui s’improvisent défenseurs du plurilinguisme et qui sont seulement aptes à tous les compromis. Athéna reste d’avis qu’un code de bonne conduite pourrait mettre de l’ordre en établissant des modes de fonctionnement équitables et justes en cette matière qui, pour le moment, a été occupée par l’arbitraire et les lobbies.

Pour ce qui est de la présidence italienne je vous conseille d’écrire à Matteo Renzi (Palazzo Chigi (centromessaggi@palazzochigi.it), il connaît le français et il n’est pas stupide, le sort des citoyens européens l’intéresse, j’en suis sûre. Ne lui faites pas de reproches, faites-lui du charme, essayez de le séduire, essayez de le convaincre dans une optique d’intérêt général, de culture et, avant tout, de participation des citoyens, de démocratie. Ne vous braquez pas uniquement sur le français mais plaidez pour le plurilinguisme, pour l’allemand, l’espagnol, pour les langues qui disposent d’un poids démographique important, parce qu’exclure ces langues c’est exclure des millions de citoyens de l’Europe. Il faut faire prévaloir l’idée que lorsqu’il s’agit de faire fonctionner correctement et démocratiquement les institutions, l’argument budgétaire n’est pas pertinent. Ça c’est une autre histoire sur laquelle il ne sera jamais trot tôt de commencer à débattre publiquement.

Anna Maria Campogrande

 

Courriel envoyé le vendredi 13 juin 2014 à Jacques Chatignoux, opérateur-facilitateur

A mon avis la présidence du Conseil des ministres de l’Union ne peut pas faire l’impasse du français tout autant qu’il ne peut la faire de l’italien.

La réalité est que, au sein des institutions européennes, notamment à la Commission depuis la présidence de Romano Prodi avec Neil Kinnock en tant que responsable de tous les services linguistiquement les plus sensibles (personnel et administration, traduction et interprétariat, informatique, etc.), l’anglais a été imposé à la cravache, avec tous les prétextes ; les fonctionnaires ont été poussés à écrire et à s’exprimer en anglais, sans tenir compte des désastres que cela pouvait engendrer au niveau de la qualité des textes et de l’ensemble de l’œuvre de l’institution.

Je me souviens que, au début des années 2000, même lors des échanges de vue au sein des réunions de mon unité, à la DG Relex, Direction Relations multilatérales et droits de l’homme, Droits de l’homme et démocratisation, avec une très grande majorité de fonctionnaires d’origine latine tels que des Italiens, des Français, des Espagnols, des Belges, des Allemands, un Suédois et un seul Britannique, la chef d’Unité n’arrêtait pas de nous dire « En anglais, en anglais, s’il vous plaît ! ». Cette injonction déraisonnable et injuste m’avait profondément révoltée : pour la première fois au cours de toute ma carrière au sein de la Commission, l’on n’avait pas, l’on n’avait plus le choix de la langue dans laquelle on était inspiré de s’exprimer. C’est cette imposition brutale et illégitime qui m’a poussée à m’occuper de la question linguistique au sein de la Commission, question qui a continué à se dégrader depuis et que je n’ai plus jamais abandonnée, en dépit de l’absence de résultats jusqu’ici.

Je suis et je reste d’avis que, aussi longtemps que les Français ne s’occuperont que du français, les Allemands de l’allemand, les Italiens de l’anglais, etc., la question linguistique en Europe n’aura aucune chance d’être réglée de manière équitable et juste, dans une optique d’intérêt général, de culture et d’identité, et l’anglais continuera de progresser. Il faut être unis, fraternels, attachés à notre culture européenne qui nous est déjà commune, à cette identité européenne, à ses traditions et à ses valeurs, que nous partageons déjà ; il faut avoir une vision de l’Europe et vouloir la construire ensemble.

Arrêtez, SVP, de me débiter la légende du poids croissant de l’anglais en Europe et dans le monde, comme si cela relevait du miracle, d’une volonté supérieure à la volonté humaine. Primo, parce que les Anglais/Anglo-américains, aidés des chefs de file de la globalisation par un réseau de lobbies très pointus et minutieusement infiltrés, ne restent pas sans rien faire ; au contraire, ils sont très actifs dans la promotion de l’anglais avec des méthodes légitimes et illégitimes. Secundo, parce que, et ça c’est le plus important – il ne sera jamais trop tôt pour les Européens d’en prendre conscience –, ce qui se passe au plan mondial n’a rien à voir avec la question linguistique européenne, avec les langues de l’Union européenne à l’intérieur de ses propres frontières, question qui, en l’absence d’un arrangement éclairé, risque de faire véritablement couler le projet d’intégration de l’Europe.

Anna Maria Campogrande
9 et 13/06/2014

Correspondance Polémia – 17/06/2014

Image :Le premier ministre italien Matteo Renzi à Bruxelles en mars 2014. [Palazzo Chigi/Flickr]

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