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La fraude aux cotisations sociales : des montants considérables et mal connus

La fraude aux cotisations sociales : des montants considérables et mal connus

Un chiffrage de l’enjeu de la fraude sociale est-il possible ? La réponse à cette question est très importante lorsqu’on entend les spécialistes évoquer les montants estimés d’une telle fraude ! Mais, sur ce sujet, l’omerta politique règne malgré quelques initiatives isolées de parlementaires effrayés par les proportions de cette fraude. Et il semblerait que les puissants ne veulent pas voir la vérité être révélée au grand jour ! Heureusement, André Posokhow est là. Dans une série de quatre article, il va s’attacher à étudier en profondeur la question. Après un premier texte consacré à l’opacité qui entoure le phénomène de la fraude sociale, voici le deuxième article de la série.
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Il existe deux catégories de fraude sociale :

  • la fraude aux prestations qui consiste à percevoir malhonnêtement des prestations sociales indues. Il s’agit  de vol pur et simple qui ponctionne les caisses des organismes sociaux et de l’Etat ;
  • la fraude aux cotisations qui consiste, de la part de patrons mais également de la part de salariés,à ne pas verser les cotisations sociales obligatoires aux organismes de la protection sociale. C’est un manque à gagner.

Cette fraude a pour socle principal le travail au noir des particuliers, le travail illégal et dissimulé des entreprises et le travail détaché dans la mesure où il favorise des dérives frauduleuses.

Des premières estimations du travail illégal qui n’ont guère ému

Déjà en 2010, l’Office Central de Lutte contre le Travail Illégal (OCLTI) indiquait dans son bilan 2009 que « le montant de la fraude générée par le travail illégal est estimé à 4 % du PIB, soit 60 Mds € (source INSEE). Ce préjudice regroupe les sommes éludées à l’Etat et aux organismes de protection sociale mais aussi les conséquences induites par les pratiques anticoncurrentielles portant atteinte à l’équilibre économique des entreprises qui respectent la réglementation ».

Selon l’OCLTI, plus de 14 000 crimes et délits étaient ainsi constatés chaque année (bilan 2009 police et gendarmerie) et autant de personnes mises en cause.

Le Ministre du travail Darcos a également déclaré le 26 novembre 2009 que le travail au noir représentait 4 % du PIB.

Ces estimations étaient approximatives, variables, parfois fausses (4 % du PIB représentait plus de 60 Mds € en 2009 !) et à approfondir. En particulier, elles peuvent regrouper de la fraude fiscale avec la fraude sociale.  Elles démontrent cependant qu’il y a plus de 10 ans on commençait à être conscient du poids considérable et incontrôlé de la fraude aux cotisations.

Le rapport de la Cour des comptes de 2014

Le  rapport de la Cour des Comptes de septembre 2014 sur la Sécurité sociale estime, à la page 129, les cotisations et contributions sociales éludées à 24,9 Mds € pour l’année 2012, (y compris l’Unedic et les cotisations de retraite complémentaire obligatoire).

L’Agence Centrale des Organismes de SS (ACOSS) a manifesté en 2016 un désaccord sur la méthode statistique  utilisée ci-dessus dont elle estime les résultats comme surévalués alors que les siens fondés sur des contrôles aléatoires aboutissent à des chiffres nettement inférieurs : 7,4 Mds € au maximum, ce qui est déjà considérable, tout en reconnaissant que sa propre méthode était imparfaite.

Que des organismes publics aussi importants puissent aboutir à des estimations qui divergent dans un rapport qui va de 3 à 4, ne peut que sidérer et indigner tout citoyen moyen.

Des actions de contrôle de cette fraude jugées insuffisantes par la Cour des comptes

Dans  son rapport annuel de 2018, la Cour des Comptes a souligné la difficulté éprouvée par les services sociaux à relancer la lutte contre la fraude aux cotisations sociales. Son constat, accablant, conclut que plus de trois ans après son rapport de 2014, « les progrès constatés dans la mise à niveau des moyens juridiques pour combattre la fraude restent insuffisants (…) »

La Cour a mis en exergue que de larges pans de prélèvements sociaux échappent encore quasiment à tout contrôle : les cotisations AGIRC-ARRCO, celles des travailleurs indépendants et celles de l’Etat employeur, ce qui est un comble !

Un rapport de la cour des Comptes de 2019 qui fragilise l’estimation de l’ACOSS

La Cour des Comptes a rendu en décembre 2019 un rapport sur les prélèvements obligatoires qu’elle a étendu à la fraude en général. Elle ne revient pas sur son évaluation de 2014 mais note que l’ACOSS a procédé pour 2018 à une autre estimation et abouti à un montant d’un niveau maximum de 8,4 Md€.

La CdC estime que les chiffres de l’ACOSS sont affectés de biais à la baisse, notamment du fait qu’elle ne couvre pas l’intégralité du champ des activités soumis à cotisations sociales. Du fait de ces grands trous de la raquette, la Cour estime que la fraude aux cotisations sociales  ne peut être que supérieure à 8,4 Md€.

L’économie informelle ne semble pas prise en compte

Il convient de noter que, dans ces études, il ne semble pas être question directement, même si en réalité il existe des recoupements, du poids de l’économie informelle ou souterraine.

Dans son livre sur l’économie informelle qui date de 2002, Jean-Paul Gourevitch avait estimé l’économie informelle à 18 % du PIB, ce qui représenterait aujourd’hui autour plus de 400 Mds€. Il a également estimé la proportion de la population de la France travaillant au noir à l’intérieur d’une fourchette de 4 % à 14 %.

En 2012, une étude réalisée par le groupe de cartes de crédit Visa et menée par un professeur d’économie de l’Université de Linz a conclu que l’économie parallèle (travail au noir et transactions légales mais non déclarées) pesait 19 % du PIB européen et 10,8 % du PIB français soit environ 200 Md€.

Indiscutablement, l’économie informelle représente un phénomène considérable dont il apparaît impératif de recouper les conséquences pour les finances publiques avec les estimations de la Cour des comptes et de de l’ACOSS.

Il serait intéressant en particulier que les organismes de SS rendent compte du nombre et de l’étendue de leurs contrôles dans le 93 ou tout autre territoire similaire. Au cas où ce qui peut être subodoré s’avérait vrai la note ne pourrait qu’être nettement alourdie.

En définitive

Ainsi, dans le domaine de la fraude aux cotisations, il existe des désaccords importants sur les chiffres entre organismes publics ce qui peut paraître intolérable et des incertitudes liées notamment à l’économie informelle par nature incontrôlable.

En tout cas, le magistrat Charles Prats et la sénatrice Nathalie Goulet, même si leur cheval de bataille est la fraude aux prestations, évoquent publiquement l’estimation de 25 Mds€ de la Cour des Comptes établie en 2014, c’est-à-dire il y a cinq ans, qui est celle la plus généralement retenue et que nous retiendrons en l’absence de tout travail contradictoire vraiment convaincant.

André Posokhow
17/01/2020

Source : Correspondance Polémia

André Posokhow

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