Accueil | Politique | Identité nationale et éducation

Identité nationale et éducation

Identité nationale et éducation

par | 17 mars 2018 | Politique, Société

Par André Murawski, conseiller régional Hauts-de-France, vice-président du groupe FN-RBM ♦ Pourquoi parler d’identité nationale en 2018 ? C’est-à-dire, pourquoi parler de nouveau d’identité, huit ans après le Grand débat sur l’identité nationale conduit du 2 novembre 2009 au 31 janvier 2010 à l’instigation de Nicolas Sarkozy et qui, on le sait, a glissé vers un débat sur l’immigration et sur l’islam ? Surtout, pourquoi associer l’éducation à l’identité dans la France de ce début du XXIe siècle ?


L’actualité récente nous y invite. Pas forcément l’actualité événementielle, car les questions liées à l’identité nationale se sont peu à peu banalisées, notamment après les émeutes urbaines survenues à Clichy-sous-Bois fin 2005, après qu’une grenade des CRS avait visé une mosquée. Pas l’actualité événementielle donc, mais l’actualité éditoriale et institutionnelle.

Du côté de l’édition, la polémique a été relancée en septembre 2017 après la parution d’un ouvrage de Bernard Ravet, fonctionnaire de l’éducation nationale ayant attendu d’être à la retraite pour divulguer des faits que son devoir de réserve lui commandait de taire, du moins au public, pendant les quinze années où il en a été le témoin. Intitulé « Principal de collège ou imam de la République ? », le livre dérange. Il dérange parce qu’il met en cause l’institution, bien sûr. Mais le livre dérange aussi parce que l’auteur aborde un problème récurrent : celui de l’influence grandissante d’une culture propre à une civilisation, la civilisation islamique, au sein d’une autre culture, propre à une autre civilisation, la nôtre : la civilisation occidentale, qui fut un temps confondue avec la chrétienté, mais dont les racines sont bien plus anciennes et les prolongements bien plus étendus.

Du côté institutionnel, la gravité de la situation n’est ni méconnue, ni dissimulée. Ainsi, pour circonscrire l’observation au seul ministère de l’éducation nationale, plusieurs textes orientent l’action publique. En septembre 2015, la Conférence des présidents d’universités avait produit un guide intitulé « la laïcité dans l’enseignement supérieur », dont les recommandations portaient sur le déroulement des cours et sur le déroulement des examens, mais aussi sur la participation à l’animation de la vie étudiante et sur la participation à la vie démocratique étudiante. Si le fait religieux était au cœur de la réflexion, le port du voile y tenait une place toute particulière. Un an plus tard, au mois de décembre 2016, le ministère de l’éducation nationale diffusait un « livret laïcité » dans le cadre de la refondation de l’école. Là encore, après les déclarations de principe, les difficultés liées à l’enseignement étaient abordées clairement en cinq chapitres : « contestation au nom de convictions religieuses », « difficultés et contestations autour de l’enseignement des faits religieux », « réactions en cas de confrontation », « contestation d’un enseignant dans sa légitimité à enseigner tel ou tel point du programme », « commémorations et moments collectifs ». On mesure l’étendue du problème.

Un problème dont l’institution scolaire, mais aussi les pouvoirs publics, ont pris la juste mesure. Le 3 mai 2017, un décret du Premier ministre créait un Conseil scientifique sur les processus de radicalisation. Le 10 décembre 2017, le ministre de l’éducation nationale reconnaissait que des statistiques allaient être mises en place sur la pression de l’islam dans les établissements scolaires. Le 20 décembre 2017, la Présidence de l’Assemblée nationale enregistrait une proposition de loi déposée par 45 députés et visant à créer un dispositif d’écoute et de signalement pour lutter contre la radicalisation islamiste dans les établissements d’enseignement supérieur. Enfin, au mois de février 2018, un rapport dit « rapport Clavreul », et intitulé « Laïcité, valeurs de la République et exigences minimales de la vie en société », constatait « l’impossible consensus », les risques « d’essoufflement » d’une mobilisation « inégale » et la nécessité de « donner plus d’impact aux politiques de promotion de la laïcité ».

On voit que la question de l’identité nationale, dans les rapports qu’elle entretient avec le monde de l’éducation, est plus que jamais d’actualité. Mais si elle est actuelle, cette question est aussi complexe : Qu’est-ce que l’identité ? Qu’est-ce que la Nation ? Qu’est-ce que l’identité nationale ? Le Grand débat sur l’identité nationale n’a pas permis de clarifier les choses et il y a donc lieu de poursuivre la réflexion, même si certains intellectuels se sont demandés à l’époque s’il était « intelligent » de mettre un tel débat entre les mains du peuple. Ainsi de Michel Onfray qui déclarait par exemple : « S’il s’agit de prendre le peuple à témoin pour une définition de l’identité nationale, on ne va pas produire quelque chose de bien intelligent. » Curieuse conception de la démocratie, c’est le moins que l’on puisse dire, qui consiste à considérer que le Peuple ne serait pas capable de choisir librement et sereinement son propre destin, avec mesure et en toute lucidité.

Autre élément ajoutant à la complexité : Quel est le rôle de l’école dans la République française et, plus particulièrement, dans la construction du sentiment national ? L’école de la IIIe République a créé le citoyen qu’elle a identifié à la Nation. Elle a ainsi unifié la Patrie considérée comme un tout dans un véritable « roman national ». Si les rapports entre la République et les religions ont abouti à la rupture concrétisée par la loi de 1905 dite de séparation des Eglises et de l’Etat, les relations se sont peu à peu normalisées au point que la majorité des établissements de l’enseignement privé sont aujourd’hui sous contrat d’association avec l’Etat. Comment le système éducatif contribue-t-il donc aujourd’hui sinon à l’adhésion générale à un sentiment d’identité commune, du moins au maintien d’une certaine cohésion nationale ?

Car comme nous l’avons vu, l’école est contestée. Pas nécessairement en tant qu’institution. Pas nécessairement pour la totalité des enseignements dispensés. Pas nécessairement non plus pour la façon dont les établissements d’enseignement fonctionnent. Pas même pour l’ensemble des principes sur lesquels elle a été bâtie depuis près de 150 ans, mais dont certains trouvent leur origine en France dès le VIe siècle. La République est généreuse. Qu’il soit français ou étranger, tout enfant présent sur le territoire national a droit à l’éducation. A l’école publique, l’enseignement est gratuit, et cette gratuité ne pose pas problème. En contrepartie de la gratuité, l’instruction est aussi obligatoire. Mais le principe d’obligation peut se heurter désormais à des contestations liées au calendrier et aux fêtes religieuses. Le principe d’obligation peut aussi être contesté à propos des enseignements et de la pédagogie. Là, on constate que de nombreuses disciplines sont concernées : l’éducation physique et sportive, le français et la philosophie, l’histoire, la géographie et l’instruction civique, les mathématiques, les sciences de la vie et de la terre, certaines langues vivantes, la musique, les arts plastiques, certains enseignements professionnels et même les sorties scolaires. Presque toutes les matières en fait. Mais c’est surtout dans les habitus que la contestation est révélatrice de comportements typiquement civilisationnels. Ainsi, l’institution scolaire est confrontée à l’apparition récurrente de marqueurs identitaires forts : signes et tenues vestimentaires, nourriture, prosélytisme, refus de la mixité et infériorisation de la femme, discours politico-religieux, racisme et antisémitisme.

Bien entendu, l’apparition, la persistance, l’extension et le durcissement des contestations ont entraîné des réactions. A partir d’une analyse critique des dysfonctionnements de l’éducation nationale qui reproduirait des inégalités en son sein, l’institution a retenu plusieurs réponses possibles : l’importance de l’éducation morale et civique, la définition du concept de « valeurs de la République » et, tout particulièrement, la réaffirmation répétée du principe de laïcité. Ainsi, une Charte de la laïcité a été élaborée en septembre 2013. Obligatoirement annexée aux règlements intérieurs des établissements, son interprétation a été précisée par deux circulaires, la première dès septembre 2013 et la seconde à la fin de l’année scolaire, en juillet 2014. Enfin, dernier né de la panoplie officielle destinée à faire face aux problèmes de la société multiculturelle : le concept de radicalisation a été élaboré et défini comme un processus « qui consiste à soutenir ou à encourager des activités jugées contraires à des normes sociales importantes ». Mobilisé dans le cadre d’un plan d’action plus large, le milieu scolaire est dorénavant sollicité en matière de prévention, mais aussi de repérage et de signalement. Le suivi des jeunes en voie de radicalisation scolarisés, la formation ainsi que la recherche, s’y ajoutent.

Ces réponses « institutionnelles » prennent-elles la juste mesure de l’évolution des choses dans une société française en proie à une crise identitaire, éducative, politique, sociale et sociétale ? Les clivages dans la France de 2018 ne sont plus tant politiques ou idéologiques, mais ethniques, intellectuels et culturels. Ces clivages sont interprétés comme des oppositions civilisationnelles, au sein desquelles le substrat religieux joue un rôle cardinal. En juin 2015, 1 800 français étaient impliqués dans les filières djihadistes pour la Syrie. Leur nombre avait augmenté de + 107 % sur un an et de + 227 % depuis le début de l’année 2014. Surtout, ils provenaient de 89 départements et faisaient de la France le premier contributeur européen au djihadisme. Face à l’ampleur de ce phénomène, l’affirmation répétée des « valeurs » de la République, et notamment la laïcité, sera-t-elle efficace ? Ou faudra-t-il envisager une autre approche, peut-être davantage civilisationnelle, sachant que le débat sur l’immigration a évolué, depuis 30 ans, en portant non plus sur la question des droits et des devoirs, mais en touchant à l’essence des choses, c’est-à-dire à l’identité même des Européens ?

En 1882, Ernest Renan prononçait une conférence intitulée « Qu’est-ce que la Nation » ? Pour paraphraser le célèbre philologue et historien, il semble utile aujourd’hui d’examiner les questions suivantes : Qu’est-ce que l’identité ? Qu’est-ce que la nationalité ? Qu’est-ce que la citoyenneté ? Et quels rapports l’identité, la nationalité et la citoyenneté entretiennent-elles entre elles pour répondre à la question de fond posée par Eric Besson en 2009 lors du Grand débat sur l’identité nationale : « Que signifie, en ce début de XXIe siècle, être Français ? »

La question de l’identité est sans conteste la plus porteuse de sens. En effet, il apparaît clairement que l’identité prend une place de plus en plus importante dans l’étude des phénomènes politiques, et qu’aucun champ de spécialisation ne peut se passer d’une réflexion sur l’identité. Le premier point qui interpelle les chercheurs est celui de la polysémie relativement importante de la notion d’identité nationale. Autrement dit, selon le contexte dans lequel il est employé, et suivant l’interlocuteur à qui il est adressé, le concept d’identité nationale n’a pas forcément la même signification, ce qui en rend la définition délicate.

Dans son dictionnaire, Emile Littré indique que l’identité est la « qualité qui fait qu’une chose est la même qu’une autre, que deux ou plusieurs choses ne sont qu’une ». Plus loin, il ajoute que l’identité est la « conscience qu’une personne a d’elle-même ». Il y aurait donc un aspect de similitude dans la définition de l’identité, mais aussi un aspect de la perception que l’on a de soi-même. Rapportée à l’échelle de la Nation, on pourrait extrapoler en posant le principe que l’identité nationale serait le fait que tous les Français sont semblables d’une certaine façon, et aussi que chaque Français aurait conscience d’être semblable à tous les autres Français. Cette conception quelque peu organiciste de la Nation n’est pas nouvelle puisqu’on la trouve déjà chez l’historien Jules Michelet qui écrivait qu’ « il n’est pas illégitime de définir les nations comme des personnalités collectives ». L’identité nationale procéderait donc d’un sentiment d’appartenance à une collectivité, ce qui supposerait une culture commune, perçue comme un code de significations. Mais la notion de culture commune introduit deux autres notions : celle de la permanence et celle de l’altérité.

Dans son ouvrage controversé intitulé « le Choc des civilisations », l’Américain Samuel P. Huntington a développé une théorie de l’identité civilisationnelle. A l’échelle nationale, cette identité civilisationnelle peut être rapprochée de la conception barrésienne de « la terre et les morts », mais aussi de Renan qui évoquait « la possession en commun d’un riche legs de souvenirs et le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis ». La question de la terre a été abordée aussi au XIXe siècle par les géographes qui ont apporté une contribution spécifique à la réflexion identitaire. Ainsi de Paul Vidal de la Blache qui écrivait qu’ « une contrée se précise et se différencie, et devient à la longue une médaille à l’effigie d’un peuple », et qui indiquait que les traces laissées sur le sol par les générations qui nous ont précédés constituent les repères les plus sûrs de la mémoire nationale, les fondements les plus légitimes de « l’identité de soi ». Dans sa géographie politique, André Siegfried notait que la culture ne peut s’acquérir que dans la longue durée, par transmission des caractères, de génération en génération. La civilisation est alors comprise comme une aire culturelle, à laquelle correspond une vision particulière du monde.

La terre et le temps, la géographie et l’histoire remplissent une fonction de cohésion à l’intérieur de la communauté nationale. Mais l’identité nationale doit également être considérée du point de vue de l’altérité où elle joue un rôle de différenciation vis-à-vis des autres communautés nationales. Ici, les sciences sociales apportent une contribution intéressante. En effet, l’anthropologie, la linguistique, la sociologie ou encore la science politique montrent que les identités peuvent être multiples, et qu’un individu peut s’identifier simultanément à plusieurs groupes, de différente taille, sans que la structure soit nécessairement parfaitement gigogne. Toutefois, un consensus se dégage à reconnaître quatre éléments essentiels parmi les composants de l’identité, parce qu’ils sont récurrents. Ces facteurs d’identité sont la langue, l’ethnie, la race et la religion. Il est frappant à ce sujet de constater que les critères qui importent dans la définition de l’identité collective n’ont pas changé depuis la plus haute antiquité. Par exemple, il y a 2 500 ans, Hérodote (- 484 / – 420) écrivait que « le sang, la langue, la religion, la manière de vivre » étaient ce que les Grecs avaient en commun et qui les distinguait des barbares, c’est-à-dire, de tous ceux qui n’étaient pas grecs. On peut donc poser un essai de définition de l’identité nationale comme étant « une manière d’être et de se connaître, dans une société donnée historiquement stable, et dans laquelle existe une communauté de caractère, par rapport à un environnement social et culturel, et aussi par rapport aux autres. »

Autrefois, les concepts d’identité, de nationalité et de citoyenneté se confondaient au sein de l’Etat national où ils étaient considérés comme une seule et unique réalité. Cette théorie de l’Etat-Nation n’était sérieusement critiquée que par les marxistes pour qui le sentiment identitaire se trouvait dans l’humanité tout entière. Cependant, la théorie de l’Etat-Nation a aussi été contestée par les fédéralistes européens, et a trouvé son expression aboutie en 1992 avec le traité de Maastricht qui a institué une citoyenneté européenne et qui a fait sauter la logique des systèmes nationaux. La nationalité a alors été définie comme le « rattachement de l’individu à une entité politique précise dont il devient un ressortissant ». Au-delà de la nationalité réduite à une situation administrative d’allégeance à un Etat, la citoyenneté a été définie comme la « participation active et responsable des individus à la gouvernance de la société dans laquelle ils vivent et qu’ils contribuent à construire ». Cette situation a bouleversé l’ordre des choses en Europe.

Elle a bouleversé l’ordre des choses car si une citoyenneté européenne peut en quelque sorte « chapeauter » une multitude de nationalités, alors, pourquoi la nationalité ne pourrait-elle être octroyée à une multitude d’identités qui coexisteraient sur un territoire « national » ? On trouve là la principale explication de la diabolisation entretenue par exemple contre le Front national dont la présidente déclarait en 2010 lors de l’émission culturelle Semaine critique : « Etre Français, c’est respecter la France et ses traditions », à quoi la journaliste Caroline Fourest a rétorqué : « Non, être Français, c’est respecter les lois et non les traditions que le Front national plaque sur la France ». Ainsi, il suffirait selon Madame Fourest de respecter les lois pour accéder à la nationalité, alors que les traditions ne compteraient pour rien. Cet argument est bien évidemment complètement irrecevable. Il est irrecevable sur le plan juridique car il existe dans tous les pays de nombreux étrangers qui respectent parfaitement les lois du pays où ils se trouvent et qui devient parfois leur pays d’accueil. Ces étrangers ne sont pas automatiquement naturalisés pour autant car l’acquisition de la nationalité doit répondre à d’autres critères que ceux d’une vision simplement contractualiste de la société.

Ce qui est malheureusement à prévoir, c’est que des revendications identitaires nouvelles de nature communautariste surgiront à l’avenir : linguistiques, culturelles, religieuses, ethniques, sexuelles, comportementales, qui revendiqueront leurs droits à leur identité dans leur cadre national, tout en faisant appel à une citoyenneté dépassant le territoire de leur nationalité et en revendiquant une protection au nom de droits que les Etats ne maîtriseront plus. Dès lors, quel rôle sera-t-il assigné à l’école, elle qui fut le lieu privilégié de diffusion des représentations dominantes de l’identité nationale pendant des siècles ?

Traditionnellement, il est admis que l’histoire de l’école en France repose sur l’œuvre de la IIIe République naissante. Elle a posé les grands principes auxquels on fait toujours référence, et qui continuent à nous inspirer. Ce point de vue n’est pas tout à fait exact dans la mesure où la Terreur, les guerres révolutionnaires, les lois anticléricales et les soubresauts de l’Empire avaient dépeuplé les rangs des enseignants et laissé des milliers d’enfants sans maîtres. C’est donc tout au long du XIXe siècle que les régimes qui se sont succédé au pouvoir ont jeté les bases du système éducatif actuel. Quoi qu’il en soit, ce sont les lois de 1882 et 1883 qui ont mis en place l’obligation scolaire, la gratuité de l’enseignement et la laïcité. Elles ont été complétées en 1886 avec l’obligation de neutralité des enseignants, puis en 2004 avec la loi encadrant le port des signes religieux par les élèves. A noter que si la loi de 1905 a séparé les Eglises et l’Etat, les départements d’Alsace et de Moselle, redevenus français en 1918, sont toutefois restés sous régime concordataire jusqu’à nos jours.

L’école constitue un lieu privilégié pour la définition de l’identité nationale. Espace de socialisation civique majeur, l’école a reçu de la République la mission de créer le sentiment national : « Habiter dans les mêmes frontières, parler la même langue, avoir le même passé historique et les mêmes intérêts, les mêmes croyances et les mêmes mœurs, obéir au même gouvernement, être soumis aux mêmes lois ». On trouvait alors une conception assez naturaliste de l’identité nationale, qui fixait le citoyen français comme étant celui qui avait hérité de ses ancêtres la culture nationale. Pour ce qui relevait de l’école libre, les enseignements associaient l’identité nationale française à l’église catholique : la France était la fille aînée de l’Eglise et le catholicisme un marqueur identitaire permanent. Dans tous les cas, une articulation très forte existait entre le local, on se souvient des « petites Patries », et le national.

Une crise de l’école est survenue dans la deuxième moitié du XXe siècle. Les décolonisations, les remises en cause régionalistes et les courants migratoires issus principalement des mondes postcoloniaux ont rompu le continuum de la place de la Nation à partir du milieu des années 1970. Alors qu’elle était au premier rang pour constituer un corps social homogène autour des principes de liberté d’opinion et de liberté d’expression dans le cadre laïc du service public, l’école a cessé de produire un discours unificateur, la « diversité » semblant être devenue une nouvelle manière de parler du national. Ainsi, la représentation de groupes ethniques dans les manuels d’histoire est passée de 9 % des illustrations en 1985 à 20 % des illustrations en 2010. Cette vision assimilationniste est tout particulièrement observable dans un manuel d’instruction civique publié en 2008 où des personnes de couleur sont incluses dans 38 % des illustrations. En évoquant la « diversité » notamment dans les cours d’éducation civique, l’école a donné naissance à une nouvelle façon de voir la France entre des allogènes réels ou supposés et des autochtones plus ou moins mythiques. Ces changements ont provoqué des dérives dont l’institution a pris conscience et qu’elle a partiellement tenté de corriger. Par exemple, les programmes de l’école élémentaire de 2002 pour le cycle des apprentissages fondamentaux fixaient que les élèves devaient pouvoir prendre conscience de leur appartenance à une « communauté nationale ». Cependant, pour la fin du CM2, les élèves devaient également avoir compris ce que signifient l’appartenance à une nation, mais aussi la solidarité européenne et l’ouverture au monde. En réalité, on sait que l’institution scolaire travaille depuis plusieurs années à la définition d’une citoyenneté européenne.

Mais le fait religieux ne connaît ni les traités européens, ni le principe de laïcité. Une enquête menée en 2016 dans les Bouches-du-Rhône et intitulée « les Adolescents et la loi » a montré que 38 % des adolescents sont athées. 30 % sont catholiques, 25 % sont musulmans et 5 % confessent d’autres religions. Dans la population d’adolescents considérée, 9 élèves sur 10 sont nés en France, mais seuls 6 sur 10 ont leurs deux parents nés en France. De manière générale, les adolescents qui se déclarent athées sont les plus favorables à la liberté de conscience et à l’égalité entre les filles et les garçons. Les adolescents qui se déclarent musulmans y sont les plus opposés. Sur l’ensemble, 16 % des adolescents estiment qu’on leur enseigne parfois des choses fausses. 23 % des musulmans considèrent que les enseignants disent des choses fausses, ce qui est aussi le cas de 16 % des catholiques. Une découverte scientifique qui infirme les enseignements religieux est rejetée par 72 % des musulmans tandis que les athées ne sont que 6 % à la rejeter. Surtout, 83 % des musulmans se définissent comme des musulmans « affirmés », tandis que les catholiques ne sont que 22 % à le faire.

Cette enquête montre que le fondamentalisme religieux, défini comme la « valorisation de l’observance stricte de principes et comme une interprétation unique des écritures » se révèle nettement plus fréquent chez les musulmans que chez les catholiques. Concomitamment, le fait de se sentir systématiquement victime d’un injuste traitement est surtout vrai chez les plus affirmés des religieux, en particulier chez les musulmans. Surtout, les nouvelles formes de la radicalisation sont marquées par la dissimulation de son allégeance ainsi que par l’adoption d’un habitus normal, voire laïc, dans la vêture et dans le comportement social. Chez les individus se rattachant culturellement à d’autres civilisations que la nôtre, on note un rejet très clair de la civilisation occidentale, jugée consumériste et immorale. A l’école, ce rejet se manifeste par des contestations de plus en plus larges de l’institution scolaire et des enseignements.

Peu après la rentrée scolaire du mois de septembre 2003, la problématique des manifestations d’appartenance religieuse fut présentée au cabinet du ministre de l’éducation nationale en ces termes : « Les interrogations se multiplient sur les conditions de mise en œuvre de la laïcité, notamment dans les établissements scolaires. Sur un des aspects de ce problème, les signes et manifestations d’appartenance religieuse, les informations les plus contradictoires circulent, y compris au sein de notre institution. En fait, aucune étude rigoureuse n’est disponible. Il s’agit donc de procéder à un état des lieux objectif de cette question, de sa dynamique et de son évolution, en s’appuyant sur des enquêtes qualitatives opérées par des inspecteurs généraux dans des établissements situés dans un nombre restreint de départements représentatifs de la diversité du pays ». De janvier à mai 2004, des inspecteurs généraux sont allés observer 61 collèges, lycées et lycées professionnels publics répartis dans une vingtaine de départements. La démarche a donné lieu à la rédaction d’un rapport intitulé « Les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires », plus connu sous l’appellation de « rapport Obin », du nom de l’inspecteur général qui l’a présenté. D’abord gardé confidentiel, ce rapport a finalement été rendu public après qu’une fuite dans la presse en a révélé la substance. Si les phénomènes observés dans ce rapport en 2004 l’ont été dans un petit nombre d’établissements, le rapport Clavreul note en 2018 qu’ « il semble aux dires de nombreux observateurs, que le phénomène [de remise en cause des activités et du cadre commun] se soit à la fois durci et étendu depuis ». La communautarisation de certains territoires reste donc un problème officiellement constaté.

Là où elle est observée, la contestation porte sur de nombreux enseignements.

En éducation physique et sportive, elle peut se manifester sous la forme d’un absentéisme ou d’un refus de certaines activités, notamment la natation. Ailleurs, on constate différentes innovations vestimentaires destinées à dissimuler le plus possible le corps. Certains comportements révèlent des conceptions obsessionnelles de la pureté, comme le refus de se baigner « dans l’eau des filles » ou encore « dans l’eau des non musulmans ».

Dans le domaine des lettres et de la philosophie, certains auteurs, les philosophes des Lumières en particulier, sont rejetés. Il en va ainsi de Voltaire, de Rousseau, mais aussi du Tartuffe de Molière. Dans un autre registre, on assiste au rejet d’œuvres considérées comme licencieuses, libertines, ou même simplement favorables à la liberté de la femme. C’est le cas de Cyrano de Bergerac, ou encore de Madame Bovary. Chrétien de Troyes est dénoncé comme faisant la promotion de la religion chrétienne, Harry Potter comme une œuvre sataniste. Enfin, il y a la difficulté à enseigner le fait religieux, soit que l’approche distanciée et non théologique provoque les récriminations des élèves, soit a contrario que des enseignants entreprennent de faire l’éducation religieuse de leurs élèves, versant alors dans une théologisation du contenu de leurs enseignements contraire à leur devoir de neutralité.

L’enseignement de l’histoire est contesté en ce que l’histoire serait mensongère et partiale, exprimant une vision judéo-chrétienne et déformée du monde. Ici, on se heurte au refus d’étudier l’édification des cathédrales ; là, on refuse d’admettre l’existence de religions pré-islamiques en Egypte ou encore l’origine sumérienne de l’écriture. Les croisades, le génocide des juifs, la guerre d’Algérie, les guerres israélo-arabes et la question palestinienne sont des sujets particulièrement sensibles. En éducation civique, la laïcité est contestée comme antireligieuse. Devant l’abondance des contestations, la réaction la plus répandue des enseignants est sans doute l’autocensure. Une autre réaction, plus rare, passe par la théologisation de la pédagogie, le professeur s’appuyant sur le Coran ou sur les élèves inscrits à l’école coranique pour réfuter les objections d’autres élèves.

En mathématiques, la seule difficulté mentionnée est le refus d’utiliser tout symbole ou de tracer toute figure ressemblant de près ou de loin à une croix. En arts plastiques, on note le refus de représenter un visage, ou encore le rejet de certaines représentations jugées « impudiques ». En éducation musicale, on a observé le refus de jouer de la flûte ou de pratiquer le chant choral.

Dans le domaine des langues vivantes, les contestations concernent principalement l’anglais, qui serait la langue véhiculaire de l’impérialisme, et l’arabe quand ce n’est pas le « bon » arabe, c’est-à-dire l’arabe de l’école coranique. A noter que beaucoup d’enseignants se plaignent de l’usage que certains élèves font de la langue arabe en cours, soit pour exprimer leur désaccord, soit pour tenir des propos peu amènes sans risque d’être compris du professeur.

Autre domaine de contestation, les sciences de la vie et de la terre. Cette discipline fait l’objet d’une contestation d’ensemble au nom de la conception « créationniste » qui réfute la théorie de l’évolution des espèces au nom d’une lecture littérale de la Bible ou du Coran. Une seconde occasion de contestation est fournie par les parties du programme relatives à la reproduction ou par les séquences d’éducation sexuelle.

Enfin, dans le domaine des enseignements professionnels, le seul enseignement contesté est celui de la cuisine où des élèves refusent de cuisiner du porc ou encore de manipuler de la viande non consacrée. L’emploi de gants ne résout pas tous les problèmes car certains élèves vont jusqu’à refuser de regarder la viande de porc.

Mais la contestation porte aussi sur le fonctionnement de l’institution scolaire.

Ainsi, les voyages scolaires rencontrent l’hostilité des familles, qui s’élèvent contre la mixité des élèves, mais aussi de l’encadrement, contre l’hébergement en familles d’accueil ou en hôtellerie, et contre la nourriture non conforme aux prescriptions religieuses. Les simples sorties font l’objet de contestation lorsqu’elles portent sur la visite de certaines œuvres du patrimoine telles que les musées, les lieux de mémoire ou les édifices religieux.

Concernant les signes et tenues vestimentaires, les marqueurs identitaires ne se limitent souvent pas au voile qui ne pose plus les problèmes d’il y a dix ou quinze ans. Des stratégies de contournement ont en effet été élaborées entre temps : port d’un bandana couvrant, vêtements représentant des drapeaux nationaux, plaques de l’armée israélienne, représentations de figures du monde arabe telles que Saddam Hussein ou Oussama Ben Laden…

A côté du vêtement, le respect de prescriptions alimentaires est un autre motif de revendications : refus du porc et, même, de toute viande non abattue selon le rituel religieux. On assiste alors quelquefois à une ségrégation entre musulmans et non musulmans, les uns mangeant à la table des « sans porc », les autres à la table des « porcs ».

Le calendrier et les fêtes sont un autre sujet de contestation. Le calendrier scolaire intègre les principales fêtes catholiques et ne fait aucune place aux fêtes et jours fériés des autres religions. Le samedi pour les juifs, le vendredi pour les musulmans ne sont pas chômés, et le ramadan n’est aucunement pris en compte dans le calendrier scolaire. Ces contestations s’expriment parfois par un absentéisme sélectif, parfois par des revendications telles que « supprimer l’arbre de Noël », ou « annuler la fête de fin d’année précédant les vacances de Noël », parfois encore par l’introduction d’objets comme les tapis de prière.

Le prosélytisme musulman est le seul qui a été observé. Plus que de vraiment convertir, il vise à réislamiser des populations dont la foi est jugée impure. Les vraies conversions sont cependant nombreuses. Point important, le refus de la mixité et le contrôle quasi général dont les vêtements et les « mœurs » des filles font l’objet. Par endroits, on constate des actes de violence faite aux filles : gifles, coups de ceinture, voire tabassage. Concernant les professeurs de sexe féminin, on note des propos désobligeants ou sexistes de la part d’élèves, mais aussi le refus de certains parents de reconnaître une personne du sexe opposé, y compris dans sa fonction pédagogique ou administrative.

Enfin, l’antisémitisme se manifeste sous deux formes : par la banalisation des insultes indifférenciées à caractère antisémite, mais aussi par les menaces ou agressions ciblées à l’encontre d’élèves juifs qui sont généralement du fait d’autres élèves d’origine maghrébine. Ces agissements peuvent par ailleurs provoquer des manifestations d’appartenance religieuse ou identitaire à rebours, tandis que dans d’autres cas, la scolarisation d’élèves juifs ne fait plus que grâce à sa dissimulation. On note que, dans les établissements scolaires, le racisme anti-maghrébin a été très nettement supplanté par le racisme anti-juif.

Face au constat qui vient d’être exposé, les pouvoirs publics ne sont évidemment pas restés inertes. Des réactions se sont dessinées en France au niveau national, mais aussi à un niveau supranational dans diverses institutions européennes. Ces différentes réactions ont toutefois pour dénominateur commun qu’elles négligent la dimension civilisationnelle de la situation préoccupante pour se concentrer sur une vision idéalisée et contractualiste de la société.

Ainsi de l’intégration de populations dont la culture participe, au moins en partie, à la civilisation islamique. Plusieurs études indiquent, par exemple, qu’en Europe occidentale, les jeunes d’origine maghrébine de culture arabo-musulmane en particulier, ressentiraient souvent un sentiment de différence et d’infériorité par rapport aux autres au sein de leur environnement social et qu’ils ne s’intégreraient pas dans la société ; « alors qu’ils vivent dans le pays depuis des années ou même des générations, ils sont toujours considérés comme des immigrés ». Suivant le même raisonnement, la radicalisation serait avant tout un défi socio-économique, face à de jeunes musulmans qui ne seraient pas dotés des mêmes possibilités que leurs pairs, et dans un contexte où les crimes de haine islamophobe se multiplieraient. On décèle l’inspiration égalitariste et mercantiliste de ces assertions. Dans la même logique, le discours institutionnel recommande de ne pas assimiler les mouvements radicaux ou le terrorisme à l’islam. Il est précisé que le dialogue interreligieux et interethnique devrait dépasser les rites religieux et traiter de coutumes culturelles problématiques.

Toujours suivant le même raisonnement, les discours de haine, l’islamophobie et la discrimination à l’égard de jeunes d’origine musulmane ou de communautés musulmanes en tant que telles renforceraient la radicalisation religieuse. On note que le texte évoque ici des jeunes « d’origine musulmane », ce qui est un grave contresens, la qualité de musulman étant déterminée par la croyance et la pratique religieuse et non par l’origine des individus.

La solution passerait donc par la construction de sociétés plus inclusives, cultivant des valeurs humanistes et civiques, et tout spécialement les valeurs européennes fondamentales du « vivre ensemble » pacifiquement, dans une société multiculturelle. Pour cela, il est noté que la reconnaissance de l’islam dans l’espace public pourrait contribuer à la réussite de l’intégration citoyenne. On l’a compris, il s’agit de faire accepter que les maghrébins et leur culture largement musulmane feraient désormais partie de la culture française.

Cette vision idéalisée n’allant apparemment pas de soi, le Conseil de l’Europe réfléchit aux compétences nécessaires aux citoyens pour qu’ils puissent participer à la société démocratique et au dialogue interculturel. En dépit du principe de subsidiarité, il est envisagé de mutualiser les pratiques à l’échelle de l’Union européenne dans le cadre stratégique « Education et formation 2020 ». Le rôle éminent des établissements scolaires est ici pleinement pris en considération pour « la promotion des compétences pour la culture démocratique, le dialogue interculturel et l’accès à l’éducation et à l’emploi des réfugiés et des migrants ». Réunis à Paris le 17 mars 2015, les ministres européens de l’éducation de l’Union européenne ont rendu publique une déclaration sur la promotion de l’éducation à la citoyenneté et aux valeurs communes de liberté, de tolérance et de non-discrimination. Ils se sont engagés à ce titre à intensifier leurs actions notamment pour « garantir à tous les jeunes une éducation inclusive qui combatte le racisme ainsi que tout type de discrimination ».

C’est ainsi que le système éducatif s’appuie désormais sur deux piliers : la laïcité comme vision du monde et la lutte contre la radicalisation comme moyen de susciter l’adhésion aux « valeurs » de l’Union européenne. Dans une circulaire du 18 mai 2004, il est précisé que « les convictions religieuses des élèves ne leurs donnent pas le droit de s’opposer à un enseignement, ni ne peuvent justifier un absentéisme sélectif ». Pourtant, on a vu que le principe de laïcité reste contesté, sinon dans la lettre, du moins dans l’esprit, et que des stratégies de contournement ont été peu à peu élaborées. En 2018, le rapport Clavreul évoque clairement que « dans les lieux où la population de confession musulmane est présente, parfois de façon très majoritaire, le rapport à la République se tend ». Il indique, avec toutes les nuances et toute la prudence qui s’imposent à un haut fonctionnaire, qu’on constate « une détérioration des conditions dans lesquelles se déroulent certaines activités scolaires », mais aussi « le développement d’une offre éducative alternative ». A propos de la laïcité, le rapport indique que « le sujet donne lieu à plus de résistance passive que de contestation ouverte : on fait comprendre qu’on adhère pas ».

Deuxième mission confiée à l’école : la prévention de la radicalisation.

Les événements de 2015 et tous ceux qui ont suivi au fil des ans ont permis une prise de conscience. Ainsi, la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale a-t-elle publié une étude évoquant une vingtaine d’attaques en métropole en trois ans, perpétrées par une trentaine de terroristes, faisant plus de 1 000 victimes. De plus, pendant la période de 2015 à 2017, ce sont 32 projets d’attentats qui ont été déjoués, tandis que la menace a revêtu un caractère essentiellement endogène. La radicalisation est apparue comme un phénomène complexe, parfois lié à la précarité sociale ou à des difficultés scolaires, mais pas seulement. C’est néanmoins dans ce contexte que l’école a été mobilisée et qu’un livret intitulé « Prévenir la radicalisation des jeunes » a été réalisé dès 2015. Ce livret invite les équipes éducatives à repérer les risques d’exposition à un endoctrinement et à donner l’alerte. Un référent radicalisation a été désigné dans chaque académie. De plus, un site internet spécifique a été mis en service à l’intention du grand public : www.stop-djihadisme.gouv.fr. Une vidéo mise en ligne sur ce site a été vue plus de deux millions de fois, ce qui est révélateur de l’ampleur du phénomène.

L’action de l’école s’appuie sur cinq axes : la prévention, le repérage et le signalement, le suivi, la formation et, enfin, la recherche. Ces dispositions ont été vivement critiquées, en particulier par la Commission consultative des droits de l’homme. Concernant la détection, la Commission a indiqué dans un avis du 18 mai 2017 que « la radicalisation d’un individu relève d’une logique prédictive très incertaine et potentiellement discriminatoire ». A propos du livret remis au personnel de l’éducation nationale, la Commission a dénoncé le fait que « la conjonction d’un certain nombre de comportements non prohibés devient l’indice d’une supposée intention criminelle. » Surtout, la Commission a mis en évidence les risques pesant sur les libertés fondamentales : « La suspicion attachée à des propos critiques à l’égard des institutions ou à des comportements révélateurs d’une certaine pratique de l’islam à tendance piétiste, peut porter atteinte à la liberté d’opinion et à la liberté de conscience. » Au reste, la Commission a rappelé « l’émergence de nouvelles formes de radicalisation marquées par la dissimulation de son allégeance ». En clair, la Commission consultative des droits de l’homme dénonce des restrictions disproportionnées des libertés et des effets stigmatisants pour une partie de la population ayant un impact dévastateur à terme sur la cohésion sociale. Autrement dit, les méthodes employées produiraient l’effet contraire de celui qui est recherché.

On voit que les solutions envisagées visent à inculquer les valeurs de la République de manière unilatérale au moyen d’un contre discours et qu’elles reposent sur la conviction qu’il serait possible de faire adhérer aux « valeurs » de la République en donnant toute sa place à l’islam dans le respect des valeurs républicaines. Les différences seraient alors appelées à se résorber dans un unanimisme laïco-culturel, la laïcité incarnant l’ultime ressort pour préserver des valeurs communes qui seraient alors constitutives d’une nouvelle forme d’identité nationale. Ce raisonnement faisant purement et simplement abstraction de l’imprégnation culturelle présente en chaque homme, il est permis de douter de sa pertinence. Dès lors, existe-t-il d’autres approches ?

Depuis le début des années 1980, l’espace public français est marqué par la construction d’un « problème musulman » qui est devenu une réelle évidence sociale y compris pour les « élites ». D’un côté, le discours islamiste radical est fondé sur une démarche identitaire, communautariste et, même parfois, complotiste. D’un autre côté, on constate que l’assimilationnisme républicain traditionnel ne fonctionne plus. 17 393 individus étaient inscrits au fichier des signalés pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) au 1er mars 2017. Très peu de personnes ont adhéré au dispositif de déradicalisation qui se révèle très coûteux : Un budget annuel de 2,5 millions d’euros pour le seul centre de réinsertion de Pontourny par exemple. A l’inverse, les nouveaux candidats au djihad sont de plus en plus jeunes, issus de toutes les classes sociales et beaucoup sont inconnus des services de police. Dans ce contexte, des questions restent pendantes : Que faire des djihadistes qui sortiront de prison dans quelques années ? Comment réagir à la Taqiya, cette pratique de dissimulation de ses convictions et de son allégeance ?

Face à ces nombreux défis, la théorie du choc des civilisations pourrait constituer une base de réflexion utile. Pas pour préparer une guerre entre les cultures, mais pour substituer, à la vision contractualiste et quelque peu angéliste de la société qui domine le discours et l’action publique en France et en Europe, une vision enracinée et civilisationnelle des sociétés occidentales. Car être Français, être Européen, c’est être dépositaire d’un patrimoine spécifique et s’en reconnaître comptable. Sur ce point précis, un consensus existe. Si un élément extérieur est reconnu comme perturbateur de ce consensus, il ne peut qu’éveiller un sentiment d’hostilité et de rejet. En ce sens et comme le disait Julien Freund, le roman national doit être « suffisamment vraisemblable pour ne pas laisser le champ libre au persiflage et suffisamment gratifiant pour agréger les énergies ». Les manuels d’histoire en offrent un exemple significatif. Ainsi, jusque dans les années 1980, les conquêtes coloniales françaises étaient présentées comme une source de fierté et de force nationale. Aujourd’hui, les manuels scolaires ne font même plus de commentaire élogieux sur le caractère des grands hommes et n’en livrent plus une image idéalisée. A titre de comparaison, alors que les manuels français se terminent généralement sur le sujet des inégalités et de la solidarité nécessaire pour y remédier, les ouvrages américains les plus récents concluent avec des assertions sur le patriotisme.

On observe aujourd’hui la situation où deux civilisations cohabitent, au moins partiellement, sur certaines portions du territoire national. Pour une partie des personnes culturellement attachées à la civilisation de l’islam, la civilisation occidentale devrait renoncer à s’imposer sur l’ensemble du territoire et devrait céder des espaces publics. Cela apparaît très nettement à l’école. Pour ce qui concerne les enseignements, mais surtout dans ce qui fait le quotidien : organisation du temps scolaire, vêture, mixité, droits de la femme, nourriture, place du religieux, prosélytisme… Dans son rapport, le préfet Clavreul évoque les « exigences minimales de la vie en société », ce qui sous-entend que des accommodements pourraient être consentis face à des revendications qui, elles, s’expriment avec intransigeance et avec persistance.

Le concept d’identité nationale peut-il contribuer à régler les problèmes constatés ? Oui, si l’on considère ce concept au sens civilisationnel du terme. Etre Français c’est, comme l’écrivait Renan, partager un « désir de vivre ensemble ». De vivre ensemble, mais en acceptant « le riche legs indivis » ce qui implique que les personnes issues d’autres espaces civilisationnels et d’autres cultures doivent s’inscrire dans l’identité française, adopter cette identité et non demander à ce qu’elle soit modifiée à leur convenance.

C’est la raison pour laquelle au concept d’identité nationale il pourrait être utile d’ajouter la notion de préférence de civilisation, tant il est vrai que nous sommes des héritiers. Nous sommes les héritiers des mégalithes de Carnac autant que du temps des cathédrales, des grottes de Lascaux autant que de l’école de Barbizon. Nous sommes pétris de la pensée de Platon, d’Aristote ou de Cicéron autant que de celle de Thomas d’Aquin ou de Voltaire. Nous vibrons aux mélodies grégoriennes comme aux accents de la symphonie fantastique. Nous sommes les enfants de Montaigne, de Balzac ou de Bernanos, et notre culture porte la marque de la vigne, de l’olivier, de la poule au pot et du cochon gras. Et il est remarquable que nous trouvons une culture semblable dans tous les pays d’Europe, mais aussi en Amérique, en Nouvelle Zélande ou en Australie et dans tous les pays peuplés par des européens ou par leurs descendants. Sachant d’où nous venons, nous saurons qui nous sommes et quelle civilisation nous voulons transmettre. Nous saurons quel langage tenir aux représentants des autres civilisations. Nous retrouverons la fierté de notre héritage et la confiance en notre avenir commun.

André Murawski
17/03/2018

Source : Conférence par André Murawski le 07 mars 2018

Crédit photo : Rahul Narain [CC BY 2.0] via Flickr

Cet article vous a plu ?

Je fais un don

Soutenez Polémia, faites un don ! Chaque don vous ouvre le droit à une déduction fiscale de 66% du montant de votre don, profitez-en ! Pour les dons par chèque ou par virement, cliquez ici.

Voir aussi