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« France China Foundation » [2e partie] – De la bourgeoisie lyonnaise au laboratoire P4 de Wuhan

« France China Foundation » [2e partie] – De la bourgeoisie lyonnaise au laboratoire P4 de Wuhan

Par Frédéric Eparvier, cadre dirigeant d’un grande entreprise française à caractère stratégique ♦ Frédéric Eparvier, brillant analyste ayant notamment publié sur Polémia un excellent résumé du scandale Alstom, conclut avec cet article une plongée dans la mystérieuse « France China Foundation » initiée dans un précédent texte.
Sous sa plume, vous découvrirez les liens profonds et étonnants qui relient la bourgeoisie lyonnaise, la France China Foundation et… le laboratoire P4 de Wuhan, d’où est possiblement parti la pandémie de Covid-19 ! Entre mélanges des genres politiques et économiques, exploration de la galaxie franco-chinoise.
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La naissance d’une idylle entre Lyon et la Chine

Quand il épousa Chantal Berliet en 1965, Alain Mérieux, en plus de faire un des plus beaux mariages de la bourgeoisie lyonnaise, ne savait peut-être pas qu’il épousait aussi un petit bout de Chine.
En effet, Chantal Berliet était la fille de Paul Berliet et de Colette Vignon-Carret. Paul était lui-même le fils de Marius Berliet, propriétaire et directeur de l’entreprise des camions industriels Berliet (ceux qui avait une jolie locomotive stylisée sur la calandre), était le parfait représentant du capitalisme paternaliste, à l’instar des Michelin, des Peugeot ou des Dassault[1], entre autres.
La société Berliet, en plus d’être alors la première société française de véhicules industriels (50 % du marché national environ), était aussi la troisième européenne, et la septième mondiale. En 2020, il n’y a plus de fabricant national de camions…

Surtout, Marius puis Paul Berliet, avaient compris l’importance de l’export (aujourd’hui on dit de l’international) et Berliet avait ouvert, dès les années 1920, des bureaux à Londres, Athènes, Barcelone, Bruxelles et Istanbul. En avril 1964, un manipule d’ingénieurs était parti en Chine (avant même que la France n’envoie son premier ambassadeur ; Lucien Paye n’étant arrivé à Pékin qu’en juin 1964). A l’époque, aller à Pékin était presque une aventure avec le vol de l’Aeroflot s’arrêtant à Moscou et Irkoutsk, ou celui de British Airways à Londres, New Delhi et Hong Kong. Ce n’est qu’en 1973 qu’Air France ouvrit sa ligne directe : Paris – Pékin. Le retour était parfois plus long, et il se pouvait que certains arrivassent à pieds par la Chine.

Quelle découverte ce dut être pour ces employés maison, ces jeunes polytechniciens, ces anciens militaires – souvent Algérie française, car Paul Berliet était un vrai patriote et en avait donc recruté un certain nombre[2] -, arrivant de la France des trente glorieuses et découvrant un pays quasi moyenâgeux, et à l’époque encore si différent. En deux missions de six et huit semaines, un gigantesque contrat de deux usines et plusieurs milliers de camions fut signé[3]. Ce fut le début d’une grande histoire d’amour entre la Chine Populaire, ses leaders et la ville des lumières. Ainsi Deng Xiaoping en 1975, Jiang Zemin en 1999, Hu Jitao en 2001 et Xi Jimping en 2014 y firent escale[4].

Lors de cette dernière visite, les 25 et 26 mars 2014, Le président Xi fut accueilli à l’Institut bioMérieux par Alain Mérieux en personne et Laurent Fabius alors Ministre des Affaires étrangères et membre du Comité Stratégique de la France China Foundation. C’était la quatrième fois que Xi Jimping et Alain Mérieux se rencontraient, la première rencontre remontant à 2005 à Hangzou.

Un laboratoire franco-chinois à Wuhan

La visite du site bioMérieux de Marcy-l’Etoile, qualifiée de « familiale et amicale », avait néanmoins pour objectif de relancer et débloquer le projet du laboratoire P4 de Wuhan, lancé en 2004 par Michel Barnier, alors Ministre de la santé de Jacques Chirac, suite à la crise du SARS. Très accessoirement, Michel BARNIER deviendra vice-président de la Holding bioMérieux en 2006 entre deux postes ministériels[5]. Elle n’est pas belle la vie ?

La première pierre du site de Wuhan fut posée en 2011 et son inauguration eu lieu en février 2017 par le Premier ministre d’alors, Bernard CAZENEUVE, accompagné d’Yves LEVY de l’INSERM, à ce titre gestionnaire du P4 de Lyon, et de Mathias FEKL, ministre du Commerce Extérieur, et membre des Young Leaders de la France China Foundation depuis 2013.

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Par sa présence sur place depuis 2004, son implantation et son entregent politique, la Chine est devenue pour bioMérieux et ses différentes filiales locales (4 sociétés), son second pôle de développement après les États-Unis et devant la France.
On comprend donc l’importance que revêt un instrument de lobbying comme la France China Foundation pour cette société, et pourquoi Alain Mérieux s’y est fortement impliqué dès sa création.

La France China Foundation, entre lobbying économique et marigot politique

Le Conseil Stratégique de la France China Foundation, qui définit les grandes orientations que doit prendre cette institution comprend quelques-uns des PDG des plus grands groupes français comme L’Oréal, Accor, AXA, ENGIE ou VIVENDI, tous fortement implantés en Chine, ainsi que la Banque Lazard qui dispose d’une forme de présence double au travers de son président Bruno ROGER et de la présidente du directoire d’EURAZEO : Virginie MORGON. EURAZEO ayant été la société d’investissement de Michel-David WEILL, ancien Chairman de Lazard LLC.

Il n’est pas inintéressant non plus de savoir que Lazard jouit d’une vieille amitié avec bioMérieux, car c’est Lazard qui conseillait le Groupe Wendel dans sa tentative de prise departicipation chez Mérieux en 1988, à une époque ou Mérieux souhaitait se sortir de son actionnariat américain et avait envisagé plusieurs solutions, dont une de fusion avec le groupe de Pierre Fabre. Même si bioMérieux aujourd’hui fait appel à d’autres banques d’affaires pour ses opérations de fusions et acquisitions (Deloitte, Degroofou encore Goldman Sachs…).

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Ainsi Alain MERIEUX est un membre central du comité stratégique. Curieusement, alors que ce rôle lui permettrait d’envoyer un membre de son équipe chaque année au programme Young Leaders, je n’en ai identifié que deux.

En 2016, ce fut Arnaud FAVRY, directeur Asie chez BioMérieux et ancien membre du cabinet du Ministre de la santé et des sports : Madame Roselyne BACHELOT NARQUIN.

En allant vérifier qui était au cabinet Madame Bachelot entre 2008 et 2010, je suis tombé sur le nom de Pierre BACHELOT aux relations parlementaires. Une simple homonymie sans doute ?

Et en 2017, ce fut Alexandre MERIEUX, troisième fils d’Alain MERIEUX et actuel PDG de bioMérieux qui devint Young Leader, et dans la même promotion que Brune POIRSON, Ministre de la transition écologique, et Agnès PANIER RUNACHER, aujourd’hui secrétaire d’État aux Finances en charge du commerce et des PME…

Soyons clair, tout ceci n’a absolument rien d’illégal, et c’est même plutôt habile de la part de L’Oréal, Lazard et bioMérieux d’avoir contribué à monter une fondation de lobbying qui favorise aussi leurs intérêts.

Ce qui est choquant, c’est que des hommes politiques se prêtent aussi facilement à ce petit jeu. Mes modèles sont plutôt Hector ou Cincinnatus. Je sais, je suis un vieux con… Et ma charmante femme qui passe dernière moi en lisant mon article, me corrige en rigolant : « Non, tu es un réactionnaire ! »

Frédéric Eparvier
27/04/2020

[1] Ce dernier nom ici pourrait en surprendre certains. Pourtant chez les Dassault, les employés ont une place à part. Ainsi, en 2015, Eric -Trappier, nouveau PDG de Dassault Aviation ne put accompagner Jean-Yves Le Drian au Qatar, ou il se négociait pourtant un important contrat de Rafale, car le dernier jour du salon du Bourget, il est de tradition que le PDG de la société reçoive lui-même les employés et leur famille.

[2] L’un des plus fameux, Hélie Denoix de Saint Marc, finit d’ailleurs sa carrière comme cadre chez Berliet après sa libération en 1968.

[3] Ce sont plus de 14 000 camions qui sont sortis des usines Berliet en Chine.

[4] Certains prétendent même que Zhou Enlai et Deng Xiaping y vécurent un peu alors qu’ils étaient étudiants en France dans les années 1920. J’espère pour eux qu’ils n’y chopèrent pas la même maladie que Lénine quand il résidait à Montreuil ?

[5] En charge d’animer les relations avec les grands organismes de santé internationaux, les instances économiques et financières, les acteurs du développement mondial.

Source : Correspondance Polémia

Crédit photo : Domaine public

Frédéric Eparvier

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