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États-Unis. Les enjeux énormes de l’élection présidentielle américaine

États-Unis. Les enjeux énormes de l’élection présidentielle américaine

Par Michel Leblay, patron d’émission à Radio Courtoisie ♦ Encore plus que celle de 2016, l’élection présidentielle américaine de 2020 revêt une importance essentielle quant à son sens qui va bien au-delà du choix politique entre deux candidats même si au niveau des électeurs, il s’agira du déterminant principal. Dans le cas d’un échec de Donald Trump, nombre de commentateurs ne manqueront pas de disserter sur les causes de cet échec le rendant pour beaucoup inéluctable. C’est oublier ce que Dominique Venner appelait L’imprévu dans l’histoire. Quel aurait été le résultat s’il n’y avait pas eu cette épidémie de Covid-19, évènement hors du champ politique qui s’est abattu sur l’humanité.
Il n’empêche que l’approche de cette élection suscite un ensemble d’interpellations et de réflexions qui touchent certes à des sujets classiques comme l’évolution de l’économie américaine ou celle de la géopolitique mondiale mais plus profondément, ce qui doit être l’interrogation majeure, l’état de la société américaine et plus largement celui des sociétés occidentales qui subissent l’influence de la première.

L’élection présidentielle de 2016 et son contexte

En 2016, l’élection de Donald Trump, qui a surpris beaucoup, est survenue à un moment où un mouvement dit populiste gagnait une partie de l’opinion occidentale. Ce fut le Brexit au Royaume-Uni en juin 2016. Puis, en septembre 2017, à l’issue des élections législatives en Allemagne, l’AFD devenait la troisième formation politique au sein du Bundestag et en Italie, la Ligue constituait avec le Mouvement 5 étoiles la nouvelle majorité parlementaire après les élections législatives de mars 2018. En France, si Emmanuel Macron a été élu Président de la République lors de l’élection de mai 2017, le mouvement des Gilets jaunes qui débuta en novembre 2018 accréditait l’idée d’une révolte des classes moyennes paupérisées à l’encontre des classes dirigeantes.

Quel est le tableau à la veille de cette élection présidentielle aux États-Unis ?

Avant que n’éclate la crise sanitaire du Covid-19, Donald Trump paraissait avoir réussi un redressement de l’économie américaine au vu du taux de croissance du produit intérieur et de la situation de l’emploi. Il n’empêche que les déficits américains demeuraient considérables (déficit budgétaire et déficit de la balance commerciale) obligeant les États-Unis à emprunter massivement ce qu’ils pouvaient sans difficultés du fait de la place du dollar comme monnaie de réserve internationale (60% des réserves de change des banques centrales et 80% des contreparties sur le marché des changes). Conscient des raisons profondes de ces déficits, liés à la perte de compétitivité de l’économie américaine et à la désindustrialisation qu’elle subissait depuis plusieurs décennies, Donald Trump répondant à l’attente de son électorat, cette classe moyenne, blanche pour l’essentiel, qui s’était enrichi et avait accédé au confort avec l’expansion économique de l’après-guerre, rompit avec l’idée d’un libre échange international bénéficiaire à tous (il faut souligner que les États-Unis ont une pratique mesurée du libre-échange, sachant préserver leurs intérêts). Il renégocia l’accord commercial avec le Canada et le Mexique qui liait les trois pays depuis 1994 (Alena). Il retira l’Amérique de la COP 21, jugeant la convention sur le climat trop contraignante à un moment où elle redevenait grâce au pétrole de schiste, le premier producteur mondial de pétrole. Enfin, axe primordial, il engagea les États-Unis dans un affrontement commercial avec la Chine. Homme d’affaires, ayant une réelle vision des enjeux, au-delà d’une diminution du déficit commercial avec la Chine, l’objectif poursuivi était de maintenir l’avance technologique des États-Unis vis-à-vis de cette dernière, facteur d’une suprématie dans le monde présent.

Pourquoi Donald Trump est-il encore populaire ?

Protéger cette classe moyenne américaine qui se paupérise au fil des années avec tous les effets sanitaires (baisse de l’espérance de vie notamment) obligeait aussi à lutter contre la concurrence de populations immigrées, entrées clandestinement dans le pays et qui pèsent sur le marché de l’emploi et les salaires. Il a poursuivi la construction d’un mur à la frontière avec le Mexique, entamée en 1990 sous la présidence de George H. W. Bush et continuée par ses successeurs jusqu’à Barack Obama.

Donald Trump et les relations internationales

Voué aux gémonies par une intelligentsia américaine et occidentale comme par la plupart des médias, Donald Trump a rompu avec un idéalisme agressif sur le plan international, marque des néoconservateurs américains. Barack Obama, il faut le reconnaître, avait déjà pris largement ses distances avec ceux-ci, ce qui n’était pas le cas d’Hillary Clinton adversaire malheureuse de Donald Trump en 2016. Contraint dans sa relation avec la Russie par une classe dirigeante américaine plus empreinte en ce domaine d’idéologie que de réalisme politique, il a tenté sans véritable succès un rapprochement avec la Corée du Nord. Sans grand intérêt pour l’Europe, il y a vu d’abord avec l’Union européenne un concurrent économique pour l’Amérique. Au Proche et Moyen-Orient, s’il a embrassé l’aversion israélienne pour l’Iran, retirant les États-Unis de l’accord de Vienne du 14 juillet 2015, il a obtenu, à la fin de son mandat, dans cette aire la plus conflictuelle de la planète, un accord diplomatique particulièrement important pour l’avenir de la région. Il apparaît que la décision de Donald Trump annoncée le 6 décembre 2017 de transférer l’ambassade des États-Unis en Israël à Jérusalem Est n’a pas suscité de fortes réactions au sein du monde arabe et musulman. Le sort des Palestiniens qui fut longtemps un cheval de bataille a laissé indifférent. Au contraire, les Émirats du Golfe persique et en arrière-plan l’Arabie saoudite ont engagé avec la participation active des États-Unis un rapprochement avec l’État hébreu, concrétisé par l’accord signé le 15 septembre à Washington entre les Émirats arabes unis, Bahreïn et Israël. Le Secrétaire d’État américain Mike Pompeo a déclaré que le Koweit pourrait se joindre à cet accord. Derrière celui-ci, il y a d’une part la reconnaissance d’un adversaire commun l’Iran et d’autre part, le plus important, la volonté pour les Émirats de bénéficier de l’apport économique et technique d’un Israël ainsi reconnu.

Donald Trump, sauveur de l’Europe… malgré lui ?

D’une manière générale, il s’est montré très opposé aux organisations multilatérales, privilégiant les négociations d’État à État.

Aux États-Unis, une société en proie aux fractures

Comme il a été souligné, il y a eu une forte analogie dans le mouvement qui a porté Donald Trump à la présidence des États-Unis et les évolutions électorales ou sociales sur le Vieux Continent. Les analyses de Christophe Guilluy sur la France périphérique ou celle de David Goodhart au Royaume sur les anywhere et les somewhere les traduisent. Il s’agit là d’une expression du malaise profond que traverse les sociétés occidentales, celle-ci étant liée pour partie à la rupture du rythme de croissance économique du milieu des années soixante-dix et ses conséquences en termes d’emploi, de pouvoir d’achat et de précarité. Cette expression sociale qui s’inscrit dans une relation verticale entre une oligarchie contestée et une part de la population animée par un sentiment d’abandon est l’un des aspects de sociétés où se cumulent les fractures. Le bouleversement en cours de la société américaine comme dans d’autres sociétés occidentales a débuté dans les années soixante à un moment où dans un paradoxe apparent ces sociétés atteignaient un sommet dans l’enrichissement collectif et individuel.

Dans un entretien publié sur Figarovox, le 24 septembre 2020 (« La passion religieuse a échappé au protestantisme et met le feu à la politique »), Joseph Bottum, essayiste américain, voit dans la crise sociologique que traverse l’Amérique l’empreinte d’un protestantisme progressivement délaissé par ses fidèles, se débarrassant d’un rapport à Dieu, mais dont une part des dogmes auraient été sécularisés et portés dans une interprétation nouvelle sur le champ politique. Joseph Bottum date ce mouvement du milieu des années soixante. Il s’agit là d’une thèse, mais la référence calendaire est importante puisque c’est en octobre 1964 que débutent les premières manifestations étudiantes à l’université de Berkeley. La référence philosophique était alors l’École de Francfort avec Theodor Adorno, Erich Fromm, Herbert Marcuse. La décennie suivante sera celle de la French Theory, professée dans les universités américaines avec Michel Foucault, Gilles Deleuze, Felix Guattari, Jean Baudrillard. C’est la philosophie de la déconstruction et du droit des minorités. Dans une société américaine où le communautarisme est l’une des marques, le droit des minorités a rencontré dans les milieux universitaires où la gauche était dominante le plus grand écho. Ce fut l’ouverture vers les réformes dites sociétales mais aussi dans le prolongement du mouvement antiségrégationniste des années soixante la promotion des minorités ethniques. S’agissant de celles-ci et avant tout celle formée par les Noirs américains, dont la reconnaissance de l’égalité des droits dans les années soixante était un impératif, tout un mouvement fondé sur l’idéologie d’un rapport dominant-dominé, développé au sein d’une gauche intellectuelle et relayé par des groupes extrémistes, a conduit aux manifestations violentes de l’été, celles du mouvement Black live matter, usant de l’effet médiatique de faits regrettables.

États-Unis. Polarisation politique et cassures irrémédiables

Dans un tel environnement, né il y a près de soixante ans, prétendre que Donald Trump en serait le responsable constitue une lourde erreur. Pour renverser la situation et rendre à la société américaine sa cohérence, Joe Biden, s’il est élu, devra montrer des qualités d’homme d’État que sa campagne ne laisse pas transparaître. S’il se montre influencé par la gauche américaine qui domine le milieu universitaire, il ne peut que contribuer à aggraver cette situation. Par l’effet de diffusion, l’incidence sur nos sociétés européennes ne peut être que négative.

En termes de relations internationales, au temps de la guerre froide, l’URSS avec son système planifié était loin d’être économiquement performante n’offrant à sa population qu’un niveau de vie médiocre associée à une liberté restreinte. Face à celle-ci, l’Amérique et les sociétés occidentales présentaient le visage de sociétés riches, socialement cohérentes et optimistes quant à l’avenir. Aujourd’hui, vis-à-vis d’une Chine, certes politiquement totalitaire, mais économiquement performante où la population s’enrichit globalement avec l’exacerbation d’un nationalisme qui prétend porter le pays à la première place au milieu de ce siècle, quelle image compte renvoyer l’Amérique ?

Quelle sera le cours des choses dans les années qui viennent ? Quel imprévu dans l’histoire ?

Michel Leblay
13/10/2020

Source : Correspondance Polémia

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