Par Johan Hardoy ♦ Contributeur de Polémia et du mensuel Politique Magazine, Thierry Decruzy est un passionné de musiques militaires et traditionnelles qui a publié Les Chants des traditions (Éditions de L’Æncre, 2003) et réalisé un hors-série du quotidien Présent, « La musique et le combat identitaire » (cf. notre recension parue dans Polémia en avril 2021). Nous proposons ici un aperçu du contenu de son dernier livre (Démondialiser la musique – Une réponse au naufrage musical européen de Thierry Decruzy aux Éditions La Nouvelle Librairie, 156 pages, 16 euros) tout en conseillant au lecteur désirant approfondir la question de lire cet ouvrage très synthétique.
Une brève revue musicale
La danse et le chant, qui sont à l’origine de la musique, sont connus de toutes les civilisations.
Les Grecs de l’Antiquité maîtrisaient le son, comme il est encore possible de le constater de nos jours dans leurs théâtres. Pythagore (v. 580-495 av. J.-C.) tentait d’accéder à l’harmonie des sphères, tandis que, selon Platon (v. 428-348 av. J.-C.), « La musique donne une âme à nos cœurs et des ailes à la pensée ».
Les Chinois du début de notre ère jaugeaient les mœurs d’un royaume à travers la qualité de sa musique.
Dans le christianisme, le son primordial est posé comme fondateur (« Au commencement était le Verbe »). Le chant grégorien s’inscrit dans l’héritage des antiques liturgies méditerranéennes tout en puisant dans une source septentrionale. Par la suite, les architectes des cathédrales et des églises ont perpétué le rôle primordial de la voix humaine.
A contrario, le Coran n’évoque pas la musique et certains fondamentalistes prônent même la destruction des instruments.
À l’époque médiévale est apparue la notation musicale, qui permet de conserver la mémoire précise des compositions et de former des orchestres où les musiciens jouent ensemble sur des partitions différentes au lieu d’improviser à tour de rôle sur un thème commun.
Au XIIe siècle, la polyphonie a été créée dans les chantiers de Notre-Dame de Paris. Cette combinaison de mélodies ou parties musicales, chantées ou jouées en même temps, constitue l’aboutissement de pratiques anciennes tant liturgiques que populaires.
À partir de la Renaissance va prédominer la notion de plaisir. Selon le savant irlandais Robert Boyle (1627-1691), qui la distinguait de l’acoustique, « La musique a pour objet le son en tant qu’il est agréable à l’ouïe ».
L’invention de l’écriture musicale a rendu possible l’existence d’orchestres symphoniques où les musiciens ont pu jouer ensemble avec des partitions différentes.
Au XVIIe siècle, après Monteverdi, l’opéra italien a conquis toute l’Europe, sauf la France où Louis XIV montait en personne sur scène pour danser sur des musiques de Lully. Avec l’opéra, pour lequel de véritables palais ont été construits, la combinaison du grand orchestre, de l’art lyrique et de la danse a porté ses trois arts à un niveau inégalé.
Les hymnes nationaux sont apparus initialement en Angleterre au XVIIIe siècle, en prenant modèle sur les cantiques religieux entonnés au combat. En France, le Te Deum et le Domine, salvum fac regem servaient à « diviniser » le Roi comme incarnation de la patrie, et leur remplacement ultérieur par La Marseillaise a marqué un transfert du sacré.
Le milieu du XIXe siècle a vu survenir le développement considérable des chorales et de la musique de plein air. Un peu plus tard, la Belle Époque a correspondu à l’âge d’or des kiosques à musique, concrétisant ainsi un grand mouvement de démocratisation de la pratique musicale. En 1899, la France comptait sept mille formations civiles et quatre cents militaires.
Pendant trois siècles, la « tonalité classique » européenne a imprégné une foule de chefs-d’œuvre sans équivalent.
Au début du XXe siècle, des artistes se sont engagés dans un mouvement de « déconstruction » des règles musicales, jugées « réactionnaires », en proposant une musique atonale, dodécaphonique et sérielle.
Cette nouvelle technique de composition n’a pas rencontré le succès auprès de la masse des auditeurs. L’oreille humaine, même dépourvue de toute notion de solfège, entend les fausses notes, et toutes les subventions massives accordées à Pierre Boulez (1925-2016) et consorts depuis la présidence de Pompidou ne pourront rien changer à cette particularité singulière de la musique qui la distingue des autres arts. Les musiques de films et des jeux vidéos, qui sont souvent l’œuvre de compositeurs reconnus, illustrent par leur succès la résistance de la population à la diffusion de la musique atonale.
Un point de vue divergent a néanmoins été formulé par l’écrivain et mélomane Lucien Rebatet (1903-1972), auteur du maître-livre « Une histoire de la musique » (Robert Laffont, 1969), qui a fait l’éloge de l’atonalisme en considérant Arnold Schönberg (1874-1951) comme « l’aboutissement de la grande musique allemande ».
Après la Première Guerre mondiale, l’arrivée du jazz dans les bagages de l’armée des États-Unis a traduit un véritable basculement du centre de gravité musical qui restait jusque-là européen. Dans les années 1930, les Américains ont également développé la « muzak », ou musique d’ascenseur, qui a colonisé progressivement les lieux publics.
Également venus d’Outre-Atlantique, le Scopitone, association de l’image et du son, s’est répandu en France dans les années 1960, suivi par le vidéoclip dans les années 1980.
En 2017, la chanson sud-coréenne « Gangnam Style » a dépassé trois milliards de vues sur YouTube.
Ces dernières années, la musique classique subit des attaques au nom de l’antiracisme. Ainsi, l’Université d’Oxford a récemment publié un rapport mentionnant que « la musique blanche européenne de la période esclavagiste [cause] une grande détresse aux étudiants de couleur » ! Un discours « intersectionnel » qui ignore manifestement l’existence des cantatrices Barbara Hendricks et Jessye Norman…
La musique comme pratique culturelle
Dans les sociétés dites primitives, les sorciers et les chamans utilisaient les effets psychiques du rythme ou de la musique dans le cadre d’activités liées au sacré.
Aujourd’hui, le disc jockey n’est qu’un simple technicien du son sans compétence psychique ou religieuse, bien qu’il soit capable d’apprécier les effets sonores éprouvés par les danseurs. Comme dans les techniques ancestrales mais sans encadrement rituel, des psychotropes sont consommés en vue d’amener les participants à ressentir une fusion sociale collective et à rompre temporairement avec la réalité.
En outre, la production massive des œuvres permise par la technologie a engendré une véritable révolution du rapport au son, favorisant un délitement des rapports sociaux traditionnels et l’apparition de conflits artificiels dans les familles. Les enregistrements et la diffusion radiophonique ont également entraîné la disparition progressive des kiosques à musique et des chanteurs de rue.
L’auditeur peut désormais rester solitaire tout en éprouvant un sentiment de liberté. Cette sensation doit pourtant être relativisée car la jeunesse, tout particulièrement, subit de fortes influences résultant de vastes opérations commerciales qui promeuvent des styles de vie associés à une pseudo-rebellitude.
Les politiciens ont également prêté attention aux grands festivals de musique dont le modèle reste celui de Woodstock en 1969, ce type d’événement étant susceptible de canaliser les velléités de subversion des participants. Le 14 juillet 2011, un « Concert pour l’égalité », organisé par SOS Racisme sur le Champ-de-Mars, a réuni un million de personnes. Chaque année, la Techno Parade parisienne rassemble environ trois cent mille « teufeurs » depuis 1998, alors que son homologue de Berlin dépasse le million.
De fait, les outils informatiques permettent désormais à des techniciens, ignorant tout du solfège et des principes de la composition, de proposer leur création à un large public.
Orchestrer la réaction
Tout comme les produits alimentaires, les productions musicales peuvent contenir des éléments toxiques, ce qui est d’autant plus dommageable que le cadre de référence culturel d’un individu correspond souvent à la musique qu’il pratique ou qu’il écoute.
Ainsi, même chez des militants conscients de leur identité enracinée, il n’est pas rare de constater la prédominance de goûts musicaux empruntés aux « troupes d’occupation culturelle ».
Les organisateurs de la Manif pour tous qui diffusaient de la techno lors des manifestations ne se démarquaient pas de la bande-son de la Gay Pride, ce qui anticipait leur échec politique.
Thierry Decruzy exhorte donc les « dissidents » à s’inspirer, entre autres, d’un groupe de « rock identitaire français » (RIF) comme In Memoriam, qui s’est produit en pleine guerre de l’OTAN à Belgrade en avril 1999, ou encore de la formation féminine Les Brigandes dont les références s’inspirent ouvertement des contre-révolutionnaires vendéens.
Il recommande également de puiser dans les répertoires des musiques de film, des musiques épiques des jeux vidéos et des compositions classiques, tout en soutenant les chanteurs engagés dans la défense des identités et en s’inspirant d’une pratique vivante de la musique aussi riche que celle des chœurs populaires des pays baltes.
Comme l’indique le titre de son livre, on aura compris que l’auteur n’est pas très swing et que le style zazou n’est point du tout son fait !
Johan Hardoy
21/12/2022
- Sarcelles, ville emblématique du communautarisme - 8 octobre 2024
- De quoi l’antiracisme est-il le nom ? - 19 septembre 2024
- Angleterre : la fracture communautaire - 14 août 2024