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Crise pétrolière en Algérie : la France en première ligne

Crise pétrolière en Algérie : la France en première ligne

Par Paul Tormenen, juriste ♦ L’onde de choc de l’épidémie de coronavirus n’en finit pas de faire des dégâts. L’effondrement du prix du pétrole dû à la baisse de l’activité a des conséquences considérables dans les pays producteurs. Parmi ceux-ci, l’Algérie est l’un des plus durement touchés. En raison de la crise économique et des liens de ce pays avec la France, de nombreux Algériens pourraient prochainement souhaiter émigrer vers notre pays. Si des mesures courageuses s’imposent pour y faire face, il semble y avoir peu à attendre du président Macron et du gouvernement.


La désorganisation postcoloniale

La colonisation a légué à l’Algérie de très nombreuses infrastructures, comme l’a démontré notamment l’historien Bernard Lugan. L’instruction scolaire et un accès aux soins médicaux sont également à mettre au crédit des colons (1). Au moment de la décolonisation, en 1962, l’économie algérienne était diversifiée et tirait ses ressources en premier lieu de l’industrie, du B.T.P. et des industries extractives (2).

En l’espace de quelques décennies, la physionomie de l’économie algérienne a radicalement changé : la rente pétrolière est devenue la principale ressource du pays. En dépit des problèmes que cette dépendance entraîne et des crises qu’elle a provoquées dans le passé, l’Algérie est, avec le ralentissement économique mondial, de nouveau touchée de plein fouet par l’effondrement du prix du pétrole.

L’Algérie et la rente pétrolière

L’économie algérienne est devenue au fil des années ultra-dépendante du pétrole et du gaz. Ces ressources représentent près de 95 % des exportations du pays et près de 60 % de ses recettes fiscales (3). Dans ces conditions, toute baisse importante du prix du pétrole a en Algérie des conséquences économiques et sociales considérables.

L’effondrement du cours du pétrole algérien en 2014 avait déjà détérioré la situation de l’économie. Sa récente remontée en 2017 et 2018 n’a – une nouvelle fois – pas été mise à profit par les dirigeants algériens, qui se retrouvent aujourd’hui de nouveau confrontés à une baisse historique des revenus issus de cette ressource. Les perspectives immédiates ne sont pas bonnes : l’économie mondiale est en sous-régime, les transports internationaux sont presque à l’arrêt. La reprise économique qui pourrait tirer durablement à la hausse le prix du pétrole est conditionnée à la découverte d’un vaccin permettant de se prémunir contre le coronavirus. Or, la mise au point d’un tel vaccin devrait nécessiter plusieurs mois.

La baisse drastique des revenus pétroliers

La baisse drastique des revenus issus du pétrole a de multiples conséquences en Algérie, des conséquences qui sont aggravées par son hyperdépendance à cette ressource.

Augmentation de l’endettement public, baisse de 30 % du budget de fonctionnement de l’État, réduction des importations, réduction du budget de la compagnie publique d’hydrocarbures Sonatrach, hausse brutale du chômage, dégradation de la balance commerciale : les impacts sont déjà tangibles dans l’économie du pays et parmi la population algérienne (4). À terme, c’est le subventionnement des produits de première nécessité qui pourrait être affecté par la chute des revenus issus du pétrole.

Ces mauvaises nouvelles arrivent dans un contexte déjà largement dégradé : depuis le début de l’année 2019, un mouvement de contestation sociale contre le gouvernement agite le pays. Ses revendications portent notamment sur la résorption du chômage, un meilleur accès aux soins, au réseau d’eau, à l’électricité et aux transports (5). La classe politique au pouvoir fait par ailleurs l’objet d’un assez large discrédit dans l’opinion publique.

L’islamisme progresse en Algérie comme ailleurs

Certains observateurs de la vie religieuse algérienne considèrent que le pays connaît un mouvement de sécularisation, qui serait à contre-courant du mouvement de radicalisation d’une frange croissante des immigrés maghrébins vivant en France.

C’est oublier un peu vite la tendance de fond depuis l’indépendance de l’Algérie, qui est celle d’une influence croissante du wahhabisme (6). Si les partis politiques islamistes semblent à ce jour ne pas avoir tiré parti du mécontentement social, c’est néanmoins un islamiste qui a été élu en juillet 2019 président de l’Assemblée nationale (7). Mais c’est surtout en dehors de la vie politique que l’islamisme progresse dans la société algérienne. La proportion d’imams salafistes ne fait que croître dans le pays et pourrait très rapidement être majoritaire (8). L’Algérie est et reste plus que jamais un pays musulman, les femmes y sont de plus en plus voilées, l’appel du muezzin à la prière est généralisé, etc. (9).

Une population jeune, souvent désœuvrée et en forte croissance

Alors que les emplois sont rares en Algérie et que le chômage des jeunes y est très important, la population algérienne est en forte croissance depuis plusieurs décennies : elle est passée de 11 millions en 1960 à 42 millions en 2018 (+ 282 %) (10). Les jeunes de moins de 25 ans représentent 45 % de la population. Le taux de chômage des 15-24 ans était de près de 40 % en 2017 (11).

Comme cela est le cas plus généralement en Afrique du Nord, le secteur informel est très important en Algérie. Un économiste estimait récemment que l’économie souterraine représente près de 50 % de l’économie algérienne. Si ces chiffres étaient confirmés, cela fausserait toutes les statistiques économiques officielles (12).

L’arrivée chaque année de classes d’âge de plus en plus importantes numériquement sur le marché du travail nécessiterait la création de nombreux emplois. Le taux de croissance actuel du pays éloigne plus que jamais la perspective que chaque Algérien puisse avoir un travail (13). Le FMI prévoit une forte augmentation du taux de chômage en Algérie, qui passerait de 11,4 % en 2019 à 15 % cette année (14).

Un cadre juridique facilitant l’entrée, le séjour et le travail des Algériens en France

L’immigration algérienne en France est depuis de nombreuses années très importante. Les raisons sont nombreuses. On peut citer parmi celles-ci la présence dans notre pays d’une importante diaspora et des conditions d’entrée et de séjour en France facilitées après l’indépendance de l’Algérie. Le regroupement familial rend possible un véritable effet domino de l’immigration. Le système social, les possibilités d’emploi et plus généralement le meilleur niveau de vie en France contribuent à rendre, aux yeux de nombreux Maghrébins, notre pays très attractif.

Les gouvernements français successifs favorisent depuis plusieurs décennies l’émigration d’Algériens vers la France. Un accord conclu le 27 décembre 1968 et modifié en 2001 entre la France et l’Algérie déroge au droit commun applicable aux extra-Européens.

Cet accord comporte plusieurs dispositions favorables aux Algériens souhaitant venir en France :

  • il exonère les ressortissants algériens de visas de long séjour pour la délivrance de titres de séjour aux conjoints et parents de Français ;
  • il permet aux Algériens la liberté d’établissement pour exercer une activité de commerçant ou une profession indépendante ;
  • l’accès à un titre de séjour d’une durée de 10 ans est facilité ;
  • le regroupement familial en France n’est pas subordonné à la condition du mariage avec un Français. La « continuité de la vie commune » depuis le mariage est une condition suffisante pour bénéficier du regroupement familial.

La France, destination privilégiée des Algériens

Ces facilités ont permis durant les dernières décennies une immigration massive en provenance d’Algérie. L’attractivité de la France se manifeste dans les chiffres :

– sur la seule année 2019, pas moins de 501 000 demandes de visas pour venir en France ont été faites par des Algériens, qui ont abouti à la délivrance de 272 000 visas (15). Un chiffre qui, malgré un infléchissement en 2019, a doublé entre 2012 et 2017. Parmi les motifs de refus, des pièces non « fiables » jointes aux demandes de visas et la suspicion du détournement de visas de leur objet initial, comme le tourisme médical, pour lequel des ressortissants algériens ont laissé une dette cumulée de 25 millions d’euros dans les hôpitaux de la région parisienne (16). Les Algériens ont été en 2017 les principaux bénéficiaires de « l’admission au séjour pour soins » accordée aux étrangers en France (17) ;

– les Algériens représentent 12,8 % des étrangers vivant en France. L’Algérie est le premier pays de naissance des immigrés vivant dans notre pays (807 000 en 2016) (18). Les Français d’origine algérienne de la première, deuxième, voire troisième, génération, sont bien plus nombreux. Un analyste estimait récemment à 5,7 millions le nombre de personnes vivant en France ayant des racines directes avec l’Algérie (19) ;

– 30 500 Algériens étudient actuellement dans l’enseignement supérieur en France. 30 % des immigrés titulaires d’un diplôme universitaire en France sont Algériens (20). Nombreux sont ceux qui ne projettent pas de rentrer en Algérie (21). On peut parler d’une véritable fuite des cerveaux, dans le cadre d’un grand mouvement planétaire, qui voit également de nombreux jeunes diplômés français quitter le pays. Le simple fait que le ministre français du travail ait pu évoquer à l’automne 2019 l’instauration de quotas d’immigration, perçus comme restrictifs, a provoqué de fortes inquiétudes parmi des jeunes algériens (22). Alors qu’il s’agissait une nouvelle fois pour le gouvernement français d’habiller de nouvelles mesures favorisant l’immigration ;

– certains indicateurs donnent un indice de la pression de l’immigration clandestine. Les Algériens figurent depuis 2015 parmi les cinq nationalités les plus représentées au sein des personnes ayant fait l’objet d’une « non-admission » sur le territoire français. Les Algériens représentent le plus gros contingent des étrangers appréhendés en situation irrégulière en France, une tendance qui ne fait qu’augmenter ces dernières années (+ 20 % entre 2017 et 2018) (23).

L’émigration clandestine vers la France est d’autant plus attractive que les obligations de quitter le territoire français (OQTF) de ressortissants algériens présents illégalement en France sont très peu exécutées : seuls 13 % des éloignements ont réellement été exécutés durant le premier semestre 2018. La non-reconnaissance de la nationalité algérienne des personnes interpellées et la délivrance tardive des laissez-passer consulaires par les autorités algériennes expliquent ce faible taux d’éloignement effectif (24). Poser le pied sur le sol français agit donc comme un quasi-sauf-conduit pour les clandestins algériens.

Des conditions réunies pour favoriser une émigration massive

L’absence de dispositif de chômage partiel en Algérie n’aura pas permis à de nombreuses entreprises de surmonter la crise économique due à la pandémie de coronavirus et à la chute du prix du pétrole. Le nombre de chômeurs augmente fortement dans le pays. Or, l’émigration vers la France a souvent été dans le passé la soupape de sécurité pour de nombreux Algériens sans perspectives chez eux. Le nombre de candidats au départ ne fait que grossir au rythme de la dégradation de la situation économique de l’Algérie.

La France est également confrontée à une grave crise économique, à laquelle s’ajoutent des problèmes sociaux non moins importants (zones de non-droit, islamisme, délinquance, etc.). Des mesures énergiques sont donc nécessaires pour stopper l’immigration, a fortiori venant d’un pays qui bénéficie de conditions d’accès en France facilitées.

Les restrictions de circulation liées à la pandémie de coronavirus ont entraîné ces dernières semaines une réduction drastique du nombre de vols entre l’Algérie et la France. Le trafic aérien entre les deux pays pourrait reprendre progressivement en juillet (25). Il y a fort à craindre que la réactivation des transports internationaux dans un contexte économique et social très dégradé en Algérie pousse de très nombreux Algériens à l’émigration légale ou clandestine vers la France.

Dans ce contexte, nos dirigeants doivent faire preuve de fermeté pour résister à la pression migratoire. La suspension de l’octroi de visas, ou leur stricte limitation, permettrait, dans le contexte, d’éviter une immigration économique massive facilitée par les conditions dérogatoires d’accès des Algériens au territoire français. Cette décision suppose du courage, un courage dont on cherche vainement des manifestations parmi nos dirigeants.

Macron ou le discours de la repentance

En février 2017 puis en janvier 2020, le président Macron a comparé, à deux reprises, la colonisation de l’Algérie à un « crime contre l’humanité » (26). Il rapprochait même la guerre d’Algérie de la Shoah. Les Français ont-ils compris l’impérieuse nécessité de souffler sur les braises et d’attiser le ressentiment des deux côtés de la Méditerranée ? L’écrivain Kamel Daoud estimait en 2017 qu’« il [fallait] sortir de la colonisation, des explications postcoloniales exclusives » (27). Ces considérations ne semblent pas avoir effleuré le président jupitérien dans ses déclarations empreintes de repentance et de contrition.

Dans un tel état d’esprit de culpabilité mal placée, peut-on espérer que le gouvernement français restreigne les conditions d’entrée et de séjour des Algériens dans un pays qui va sortir exsangue du confinement, avec une armée de réserve de chômeurs pléthorique et une dette abyssale ? Il y a pourtant urgence.

Paul Tormenen
05/05/2020

Notes

(1) « Algérie. Bernard Lugan écrit à Emmanuel Macron ». Breizh Info. 21 février 2017.
(2) L’obstacle politique aux réformes économiques en Algérie. Thèse de Mourad Ouchichi. Université de Lyon 2.
(3) « En Algérie, le secteur pétrolier est peu affecté par la révolte populaire ». Le Monde. 29 mars 2019.
(4) « 10 chiffres pour comprendre le malaise économique algérien ». Capital. 1er mars 2016.
(5) « Algérie : la colère sociale continue de monter ». Le Point. 12 septembre 2019.
(6) « Comment l’islam wahhabite a phagocyté les traditions et valeurs algériennes ». Algérie patriotique. 9 août 2018.
(7) « Algérie : l’islamiste Slimane Chenine élu nouveau président de l’Assemblée populaire nationale ». Jeune Afrique. 11 juillet 2019.
(8) « Que reste-t-il de l’islam politique en Algérie ? ». L’Orient-Le Jour. 14 mars 2019.
(9) « L’Algérie, entre islam et rébellion pacifique ». La Croix. 10 mars 2019.
(10) Statistiques sur la population algérienne. Université de Sherbrooke. Consultation le 1er mai 2020.
(11) « Les Algériens en 2019 : jeunes, libres, mais sans perspectives ». France Culture. 14 mars 2019.
(12) « Crise économique en Algérie : “Le problème est surtout et avant tout politique” ». ObservAlgerie.com. 27 avril 2020.
(13) « Lettre économique d’Algérie ». Ambassade de France en Algérie. Décembre 2019.
(14) « Algérie : ce que prévoit le FMI pour l’économie algérienne en 2020 ». Dzair Daily. 15 avril 2020.
(15) « La crise politique algérienne a entraîné une baisse de la demande et de l’octroi de visas pour la France ». Sputniknews. 21 janvier 2020.
(16) « Baisse du nombre de visas aux Algériens : le consul général de France réagit à la polémique ». Sputniknews. 18 janvier 2020.
(17) « Avis sur le projet de loi de finances pour 2020. Immigration, asile et intégration ». Assemblée nationale. Valérie Boyer. 10 octobre 2019.
(18) « Immigrés par pays de naissance détaillé ». INSEE. 2 septembre 2019.
(19) « Les Algériens de France ». Olivier Kempf. Egeablog.net. 20 octobre 2019.
(20) « Quotas d’immigration en France : réactions en Algérie ». RFI. 7 novembre 2019.
(21) « Émigrer pour étudier ou étudier pour émigrer ? ». El Watan. 2 novembre 2017.
(22) Cf. note (20).
(23) Cf. note (17).
(24) « Avis sur le projet de loi de finances pour 2019. Immigration, asile et intégration ». Assemblée nationale. Pierre-Henri Dumont. 12 octobre 2018.
(25) « Reprise des vols internationaux en France et en Algérie : les scénarios envisagés ». ObservAlgerie.com. 27 avril 2020.
(26) « Islam, identité, communautarisme… Les confidences de Macron au retour d’Israël ». Le Figaro. 26 janvier 2020.
(27) « Le postcolonial m’étouffe ». Kamel Daoud. Le Point. 24 octobre 2017.

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