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Crise dans la crise : l’art de détourner l’attention

Crise dans la crise : l’art de détourner l’attention

par | 6 septembre 2025 | Politique

Crise dans la crise : l’art de détourner l’attention

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…ou quand l’histoire africaine éclaire la politique française contemporaine.

L’histoire politique nous enseigne que les crises intérieures ne débouchent pas toujours sur la réforme ou la résignation. Bien souvent, elles engendrent une fuite en avant. Lorsqu’un régime chancelle, lorsqu’une économie vacille et que la contestation menace, certains dirigeants choisissent la diversion : ils fabriquent ou exploitent une crise extérieure pour détourner l’attention des misères domestiques. La science politique a donné un nom à ce mécanisme, le diversionary war theory — la théorie de la guerre de diversion.

C’est en Afrique que l’on observe quelques-unes des illustrations les plus saisissantes de cette diversionary war theory. Idi Amin Dada en Ouganda, Mengistu Haile Mariam en Éthiopie, Siad Barre en Somalie et Mobutu Sese Seko au Zaïre ont, chacun à leur manière, cherché dans la guerre extérieure un répit aux convulsions intérieures. Leur histoire nous rappelle que l’ennemi brandi à l’extérieur n’est souvent que le masque des faiblesses accumulées à l’intérieur.

Idi Amin Dada : l’invasion comme ultime diversion

Arrivé au pouvoir par un coup d’État en 1971, Idi Amin avait fait régner la terreur sur l’Ouganda, multipliant exécutions, purges et caprices autoritaires. À la fin des années 1970, son régime vacillait, miné par des mutineries et un isolement croissant. C’est dans ce contexte qu’il lança, en octobre 1978, l’invasion de la région de Kagera, en Tanzanie voisine.

Comme l’a montré l’historien Andrew Mambo, cette guerre fut moins un projet expansionniste qu’une diversion destinée à ressouder une armée fragmentée et à détourner l’attention d’une population exaspérée. Mais la diversion tourna court : la contre-offensive tanzanienne fut fulgurante, Kampala tomba en avril 1979, et Idi Amin prit le chemin de l’exil. La guerre censée prolonger son règne en signa l’arrêt de mort.

Siad Barre : l’irrédentisme comme pari de consolidation

La Somalie de Mohamed Siad Barre, installée au pouvoir par un coup d’État en 1969, était elle aussi fragilisée par des clivages claniques et par une économie fragile. Pour redonner souffle à son autorité, le « socialisme scientifique » de Mogadiscio se mua en aventure irrédentiste. En 1977, profitant de l’effondrement de l’empire éthiopien du Négus, Barre envahit la région de l’Ogaden, peuplée majoritairement de Somaliens.

Ce fut une guerre de diversion classique : détourner la colère intérieure vers l’ennemi héréditaire, l’Éthiopie. Mais la réaction d’Addis-Abeba, soutenue massivement par l’Union soviétique et par des troupes cubaines, fut implacable. En 1978, l’armée somalienne était vaincue, l’élan patriotique dissipé, et le régime plus isolé que jamais. La défaite précipita la fragmentation interne, amorçant un cycle de guerres civiles dont la Somalie ne s’est jamais relevée.

Mengistu Haile Mariam : exploiter la guerre pour renforcer la répression

À la même époque, l’Éthiopie basculait sous la férule du colonel Mengistu Haile Mariam, chef du Derg, qui lança le tristement célèbre Red Terror (Terreur rouge), une campagne de répression interne d’une ampleur inédite. L’invasion somalienne de 1977 lui offrit paradoxalement l’occasion d’accroître son pouvoir.

Grâce au soutien soviétique et cubain, Mengistu transforma le conflit en instrument de légitimation : il se posa en chef de guerre, centralisa l’appareil d’État et renforça un régime qui, pourtant, sombrait dans la famine et la terreur. Comme l’écrivent Chiozza et Goemans, la guerre peut devenir, pour un dictateur, une « ressource de survie » — un moyen de prolonger artificiellement un pouvoir chancelant.

Dans ce cas, la guerre n’était pas créée de toutes pièces, mais exploitée : l’ennemi extérieur servait d’écran à une répression féroce à l’intérieur.

Mobutu Sese Seko : instrumentaliser les crises frontalières

Au Zaïre, Mobutu Sese Seko, maître de Kinshasa depuis 1965, avait bâti un système fondé sur la prédation et le clientélisme. À la fin des années 1970, son régime s’effritait. Les invasions des rebelles katangais du Front national de libération du Congo (FLNC), soutenus par l’Angola, lui fournirent une opportunité inespérée.

Lors des guerres du Shaba (1977 et 1978), Mobutu se présenta en rempart contre la subversion. Il fit appel à l’aide française, belge et marocaine, et l’épisode de la libération de Kolwezi par les parachutistes étrangers devint un symbole destiné à masquer la corruption et l’effondrement intérieur.

La diversion ici ne fut pas déclenchée par Mobutu, mais instrumentalisée : le danger réel fut transformé en levier de légitimation, permettant de capter des ressources extérieures et de prolonger un règne pourtant condamné.

Les enseignements de ces détours belliqueux

Ces quatre exemples africains illustrent le même schéma : crise intérieure, fragilisation du pouvoir, puis recherche d’un exutoire militaire ou d’un ennemi extérieur. La science politique en a établi le mécanisme : provoquer ou exploiter un conflit peut déclencher un effet de ralliement patriotique, le fameux rally ’round the flag effect. Mais ce mécanisme est rarement durable. La diversion offre tout au plus un sursis ; elle se retourne presque toujours contre celui qui la manie, accélérant l’effondrement du régime.

« Toute ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existé dans la France de 2025 serait purement fortuite… »

Ces leçons de l’histoire africaine, replacées dans leur contexte, résonnent étrangement à l’heure où la France traverse ses propres convulsions : inflation, fractures sociales, défiance politique. Faut-il s’étonner que certains observateurs redoutent une fuite en avant sécuritaire ou guerrière, qui permettrait de « créer une affaire dans l’affaire », selon le fameux théorème de Pasqua ?

La comparaison, bien sûr, a ses limites. Mais l’analogie tient dans la mécanique : lorsqu’un pouvoir est discrédité par un bilan catastrophique, la tentation de rallier artificiellement la nation contre un ennemi extérieur devient forte. Le covid n’est plus là pour dissoudre la colère des gilets jaunes dans le confinement ; reste la Russie, agitée comme un épouvantail pour repousser l’inévitable. Mais à l’heure où le pays réel bout de nouveau, il faudra plus qu’un ennemi imaginaire pour éteindre l’incendie.

Yves Lejeune

Bibliographie indicative

Yves Lejeune

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