Camille Galic, éditorialiste et essayiste, rappelle la sévère situation de Tarek Aziz, ancien ministre des Affaires étrangères de Saddam Hussein, et le triste sort des chrétiens d’Orient.
Polémia
Sans la criminelle invasion américaine de 2003 et l’irresponsable démantèlement du régime de Saddam Hussein, sans doute l’État islamique n’aurait-il pas vu le jour en Irak avec son cortège d’horreurs, dont les persécutions antichrétiennes. Mais si aucun responsable états-unien n’a payé pour ce crime (prévisible) contre l’humanité, Tarek Aziz, ancien ministre des Affaires étrangères et vice-premier ministre du raïs, a été condamné à mort et il est toujours emprisonné.
« Dix mille chrétiens irakiens ont déposé une demande de visa au consulat général de France à Erbil [Kurdistan] depuis le début de l’offensive de l’État islamique », a révélé Elish Yako, secrétaire général de l’Association d’entraide aux minorités d’Orient (AEMO), lors d’une conférence de presse tenue le 29 septembre au Sénat.
Combien d’entre eux obtiendront satisfaction ? « A ce jour, seuls 55 d’entre eux ont été admis sur le sol français », déplore Elish Yako. 55, un nombre égal à celui des clandestins africains qui, déversés par dizaines de milliers sur les côtes italiennes depuis l’anéantissement du régime Kadhafi – et de l’État tout court – en Libye, se faufilent chaque jour dans l’arrière-pays niçois au départ d’une Vintimille submergée et dont la police est moralement désarmée depuis la noyade d’un Sénégalais qui, pour échapper à l’interpellation, s’était jeté en juillet 2013 dans la Roya.
Le « nettoyage ethnique » (en fait, religieux) entrepris depuis l’émergence de l’État islamique menace les trois cent mille chrétiens d’Irak, une communauté trop importante pour être exfiltrée et accueillie en Occident. Beaucoup d’entre eux, d’ailleurs, ne souhaitent pas une telle issue : très attachés à leurs racines, ils sont conscients de ce que leur présence, leurs connaissances et souvent leur dynamisme ont apporté à la Mésopotamie, où ils servaient de passerelles entre des mondes étrangers les uns aux autres et volontiers antagonistes. Le terme de drogman, par lequel les voyageurs, explorateurs, archéologues ou diplomates opérant au Moyen-Orient aux siècles passés désignaient les intermédiaires, presque tous chrétiens, qui facilitaient leurs déplacements et leurs démarches auprès de la Porte, ne vient-il pas du mot français truchement ?
Refusant pour la plupart l’exil, les Assyro-Chaldéens, une des communautés chrétiennes les plus anciennes de la planète aujourd’hui chassée de Mossoul ou de la plaine de Ninive vers le Kurdistan, souhaitent en revanche, par la voix de leurs patriarches, que le monde chrétien les soutienne, les défende, les aide. La grande manifestation organisée le 21 septembre à Paris à l’appel de plusieurs organisations traditionalistes, dont Civitas, en soutien aux « chrétiens d’Orient persécutés », ou les initiatives épiscopales comme le « banquet solidaire » organisé le 2 octobre à Lyon à leur profit, témoignent d’un début de mobilisation, ce dont on peut se réjouir, en espérant que ce mouvement prendra de l’ampleur.
Il faut souhaiter que cette compassion s’étende à un autre chrétien d’Irak : Mikhaïl Johanna, alias Tarek Aziz, qui lutta avec tant d’énergie pour préserver son pays de l’invasion de mars 2003 menée prétendument pour détruire un fantasmatique arsenal d’armes de destruction massive – dont l’inexistence fut officiellement reconnue deux mois plus tard (*) – mais qui conduisit inéluctablement au chaos et à l’éclatement. Aujourd’hui âgé de 78 ans, Tarek Aziz croupit dans une prison de Bagdad depuis sa reddition fin avril 2003, et, malgré une santé très chancelante puisqu’il souffre de diabète, d’une forte hypertension, d’ulcères à l’estomac, de problèmes cardiaques et prostatiques, il fut condamné à mort en octobre 2010 après avoir, sans la moindre preuve, été déclaré coupable de « meurtre délibéré et de crimes contre l’humanité ».
Gravement malade, isolé, très déprimé, l’ancien ministre des Affaires étrangères avait confié en janvier 2013 à son avocat, Me Badie Aref, son intention de « faire appel au pape » afin, disait-il, « que soit mis fin à ma souffrance, car je préfère être exécuté plutôt que de continuer dans ces conditions ».
Début septembre, le bruit avait couru que, pour se concilier ce qui reste du parti Baas, naguère au pouvoir, aujourd’hui réduit à la clandestinité mais toujours influent auprès des tribus et des sunnites non islamistes qui restent très attachés à Saddam Hussein, le premier ministre (chiite) Nouri al-Maliki était favorable à la libération de Tarek Aziz et du général Sultan Hashem, quant à lui ancien ministre de la Défense. Certains affirmaient même que les deux vieillards se trouvaient déjà au Qatar. Mais un mois s’est écoulé, chaque jour qui passe affaiblit davantage l’ancien vice-premier ministre. Et rien n’est venu confirmer ces rumeurs de libération.
La France qui, de Mitterrand en Chirac, déroula si longtemps le tapis rouge devant Tarek Aziz dans l’espoir de décrocher en Irak des « marchés du siècle » ne s’honorerait-elle pas de demander la grâce du condamné et, éventuellement, de lui offrir l’asile ?
Après tout, c’est bien ce qu’elle vient de faire en faveur du président du Parlement nigérien, Hama Amadou, qui s’est réfugié chez nous pour « des raisons de sécurité » alors même qu’il est sous le coup d’un mandat d’arrêt international car soupçonné de complicité dans un trafic international de bébés entre le Nigeria, le Bénin et le Niger. Et ne parlons pas du très cher Abdelaziz Bouteflika, auquel les portes de l’hôpital militaire du Val-de-Grâce sont toujours grandes ouvertes malgré des « meurtres délibérés et crimes contre l’humanité » commis d’abord pendant « notre » Guerre d’Algérie puis lors de la guerre civile qui ravagea son pays dans les années 1990.
Camille Galic
07/10/2014
(*) En particulier par le faucon Paul Wolfowitz, numéro deux du ministère américain de la Défense, avouant cyniquement le 30 mai 2003 dans le magazine Vanity Fair que le mensonge d’État fondé sur la menace des ADM pour justifier une guerre préventive contre l’Irak avait été élaboré « pour des raisons bureaucratiques » : « Nous nous sommes entendus sur un point, les armes de destruction massive, parce que c’était le seul argument sur lequel tout le monde pouvait tomber d’accord. » Jane Harman, représentante démocrate de Californie, devait dénoncer ensuite « la plus grande manœuvre d’intoxication de tous les temps ».
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