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Brésil. Corruption, trafic, violence, criminalité… Bolsonaro parviendra-t-il à renverser la vapeur ?

Brésil. Corruption, trafic, violence, criminalité… Bolsonaro parviendra-t-il à renverser la vapeur ?

par | 8 décembre 2019 | Politique, Société

Par Julie Thomas ♦ 65 602 homicides en 2017, soit 31,6 pour 100 000 habitants. Bienvenue au Brésil. A titre de comparaison, le nombre d’homicides en France pour la même année s’élève à 825. Pour les jeunes, le chiffre est encore plus effrayant, surtout dans les Etats du Nordeste comme le Rio Grande do Norte qui finit la course en tête avec 152,3 homicides pour 100 000 jeunes. De quoi faire froid dans le dos.
C’est dans un tel contexte que s’enracine l’investigation menée par Nicolas Dolo et Bruno Racouchot dans leur livre Brésil, corruption, trafic, violence, criminalité, vers la fin du cauchemar ? paru en août 2019. Ces derniers s’attachent à analyser les données de la violence au Brésil afin de comprendre le tournant politique majeur qui a accompagné l’élection de Jair Bolsonaro aux dernières présidentielles. Si vous comptiez partir en vacances dans ce pays tropical aux apparences festives, la lecture de ce livre vous en dissuadera quelque peu… Bon voyage !


Le Brésil, pays de toutes les violences…

Au cours de son histoire, le Brésil a connu bien des bouleversements. Déjà, à partir du XVIe siècle, ce pays-continent était violent et difficile à contrôler : il voit se succéder tour à tour les soulèvements d’indigènes qui s’opposaient à l’avancée des colons, les révoltes indépendantistes de certaines régions comme le Minas Gerais en 1789 ou encore le coup d’Etat du 15 novembre 1889 lors duquel l’armée renversa la monarchie. Aujourd’hui, ce pays devenu une République fédérale, est marqué par un autre mal – tout aussi dévastateur – qui porte plusieurs noms : corruption, trafic, violence et criminalité. Paulo César Pinheiro dans Canto das três raças évoquait gravement en 1976 : « Et de guerre en paix, de paix en guerre, tout le peuple de cette terre, quand il peut chanter, chante de douleur ». Et quarante ans plus tard, la guerre interne fait toujours rage mais oppose cette fois-ci les forces de l’ordre et les différents groupes criminels, aussi violents que puissants.

Le terme de guerre employé ici n’est malheureusement pas une métaphore. Le Brésil est aujourd’hui une nation plus dangereuse que certaines zones de guerre ! La Syrie n’affiche « que » 500 000 morts depuis 2011 contre 800 000 au Brésil sur la même période. Les chiffres ne mentent pas, et ceux de la population carcérale viennent confirmer ce lourd constat : celle-ci a augmenté de 300 % depuis 2000, devenant ainsi la troisième plus importante au monde et un véritable centre de formation de futurs criminels.

Il y aurait au total plus d’une centaine de factions déployées sur l’ensemble du territoire brésilien. Le Commando Vermelho, l’une des plus influentes, contrôlait 60 % des favelas de Rio de Janeiro dans les années 2000 et au moins 90 % du commerce de stupéfiants.

Cette criminalité de grande ampleur et cette ultra violence ont un effet dévastateur sur le plan humain, sécuritaire, politique et social du pays. Bien sûr, les plus démunis sont les premiers touchés. Quant aux plus riches, ils se murent dans des quartiers calmes et dépensent un argent fou pour leur sécurité ou, pour près de trois millions d’entre eux, décident tout simplement de fuir le pays. L’impuissance des gouvernements successifs ou pire, leur laisser faire, a eu pour conséquence la perte de confiance de la population en la capacité de l’Etat à résoudre la crise sécuritaire. Nous avons donc affaire à une population à bout de nerf et terrorisée. Terrorisée ? Un brésilien sur trois a déjà été confronté à l’assassinat de l’un de ses proches et ce chiffre augmente à mesure que l’on s’enfonce dans les classes populaires qui ne sortent plus de chez elle après la tombée de la nuit. Ça met tout de suite l’ambiance.

Sur le plan économique, les retombées sont évidemment énormes. Le coût total de la criminalité est estimé à environ 5,9 % du PIB. En fait, les coûts engendrés par la violence au Brésil sont trois fois plus élevés que les budgets alloués aux politiques de sécurité publique et de prévention contre la criminalité. La lutte contre cette dernière pourrait constituer l’un des enjeux clé pour faire repartir l’économie brésilienne.

Brésil : mythes et désinformation - Politique & Eco avec Bruno Racouchot

D’où vient cette faillite sécuritaire ? Elle est en partie liée à la particularité de l’organisation policière brésilienne, à l’hyper-bureaucratie bancale et à la Constitution.

En effet, la Constitution reste muette sur le sujet de la sécurité nationale. Depuis 1985, le système est donc le suivant : à chaque président son propre plan de sécurité. Dans les faits, ils ont été assurés par chacun des 27 états fédéraux qui n’ont aucune garantie de budget. Négligence et dérives sont alors la norme dans les Etats les plus pauvres. On a vu, par exemple, dans le Nordeste, des policiers commencer à adopter la violence et l’organisation des factions qu’ils combattaient jusque là…

En outre, l’affirmation du politiquement correct dans le pays a permis à un laxisme destructeur de faire son entrée dans les politiques de sécurité : aménagement des peines, excuses pénales (âge, minorité, classe sociale), relatif « confort » des détenus etc.

Enfin, le pays se heurte à une difficulté de taille : dans plus de la moitié des états fédérés, les statistiques de la criminalité sont partielles voire inexistantes. Sans parler des chiffres falsifiés qui sont légion dans une administration où promotion rime avec « bonnes statistiques ». De plus, le taux de résolution des crimes tourne en moyenne autour de 20 % à l’échelle nationale. Ce très faible pourcentage de réussite dissuade les victimes de porter plainte, diminuant d’autant les statistiques nationales et locales déjà erronées. Malgré cela, on compte officiellement plus de soixante mille viols chaque année !

D’après les deux auteurs, cette situation d’extrême violence et d’insécurité a donc été le facteur déclenchant dans la prise de pouvoir de Jair Bolsonaro. Le président en puissance avait en effet mis au cœur de sa campagne la résolution de ces problèmes majeurs. Le ras le bol massif de la population face à une situation qui ne fait qu’empirer a fait prendre un tournant politique capital au Brésil.

… et de toutes les corruptions !

La violence et la criminalité représentent le premier étage d’une délinquance qui empoisonne profondément la vie quotidienne des brésiliens. Au-dessus, se trouve la corruption d’Etat. Celle-ci est d’autant plus grave qu’elle encourage cette criminalité et contamine la quasi-totalité de la classe politique. Car, au Brésil, c’est tout le système qui est gangrené par la corruption. D’après l’Indice de Perception de la Corruption, qui mesure le niveau de corruption perçu dans 180 pays, le Brésil remporte la 96ème place. Détournements de fonds et trafics d’influence sont en effet au cœur de la vie politique. Il n’y a qu’à voir le nombre de politiciens engagés dans des affaires judiciaires : Lula, emprisonné à la suite du scandale Lava Jato ; Dilma Roussef, destituée ; Michel Temer, placé quelques temps en détention provisoire… Ils avaient non seulement mis en place un immense réseau criminel à l’aide d’entreprises publiques comme privées – on pense notamment à Petrobras et Odebrecht – mais ils avaient surtout établi des liens avec les factions criminelles.

Et lorsque l’on dit corruption au Brésil, on ne parle pas de petites sommes. Les brésiliens sont de gros joueurs. Dans l’affaire du Lava Jato, le volume global des flux financiers sur lesquels enquête police et justice s’élève à 2 800 milliards d’euros – plus que le PIB total de la France en 2018. Le scandale du Mensalão, le Parti des Travailleurs de Lula, a concerné 101,6 millions de real, soit environ 22 millions d’euros pour acheter des voix parlementaires.

Ce réseau complexe de corruption peut s’expliquer par des racines culturelles et historiques qui ont placé la ruse (jeitinho) et le contournement des règles au cœur de la vie quotidienne des brésiliens. 57 % des brésiliens pensent ainsi qu’il n’y a aucune raison particulière de respecter les lois ! Outre l’importance du phénomène de clientélisme qui est une réalité solidement ancrée au Brésil, l’absence d’un système unifié de poursuites pénales et la relative inefficacité des politiques de prévention, entraînent une plus grande impunité pour les criminels.

Le duo Moro-Bolsonaro, un remède miracle ?

Arrêtons là le détail du massacre et tournons nous plutôt vers l’espoir que suscite l’élection de Jair Bolsonaro dans la résolution de cette crise profonde. Ou plutôt de cette série de crises profondes. Car tout n’est pas perdu, et ce livre se veut être une leçon d’espoir et de courage.

Une mutation est à l’œuvre depuis la candidature puis l’investiture de Jair Bolsonaro : « la voix de la rue » résonne dans le gouvernement brésilien. Autrement dit, une partie de la nouvelle administration marchant dans les pas du président, met l’accent sur l’importance de la sécurité publique et sur la réduction de la criminalité. De nombreuses mesures ont été prises à cet effet comme le décret présidentiel du 15 janvier 2019 sur la libéralisation de la détention d’armes à feu des particuliers. Mais le fond de la réforme sécuritaire de Jair Bolsonaro réside dans l’ambitieux projet de loi anti-criminalité proposé par le ministre de la Justice et de la Sécurité Sergio Moro, le pacote anticrime. Il vise d’une part la simplification de la législation criminelle et d’autre part à élargir le champ de la politique sécuritaire à l’éducation et aux politiques sociales de long terme.

On remarque également un retour fulgurant de l’influence de l’armée dans la gestion de la sûreté publique, qui est d’ailleurs accueillie avec soulagement par la population. L’opération GLO – une sorte d’état d’urgence provisoire – lancée en 2018 dans l’état de Rio de Janeiro afin de lutter contre les factions criminelles des favelas, se solde au 1er janvier 2019 par un net retour à la sécurité générale.

Sur le terrain, les résultats de cette politique de sécurité intransigeante se font déjà ressentir. Au premier trimestre 2019, le taux d’homicide avait chuté de 24 % au niveau national et de 58 % après le déploiement de la Força de Segurança Nacional dans l’état du Ceará (opération Dinamo). On observe également une baisse de 25 % des vols de fret, ou encore de 26 % des car-jackings. La Police civile procède également à des saisies records d’armes à feu, en particulier des fusils d’assaut, et a brûlé en public 33 tonnes de drogue. Du jamais vu. Il ne se passe plus une semaine sans que la Police fédérale n’annonce de nouvelles affaires de criminalité économique et de corruption publique. Ceci est notamment dû à une réorganisation en profondeur de la police brésilienne et de ses compétences. Cette dernière s’est notamment vue accordée le droit de la légitime défense face aux criminels armés. Dès lors, se sentant davantage soutenue par l’Etat, celle-ci n’hésite plus à se montrer ferme, voire brutale, avec les criminels.

Le recours aux forces armées, même couronné de succès, ne peut être considéré comme une solution définitive au problème de violence au Brésil. Selon les auteurs, seule une solution globale, centrée autour d’une volonté politique forte, pourra voir aboutir, un jour, un véritable état de droit. D’ici là, l’élection de Bolsonaro illustre la volonté de puissance et de renaissance de la nation.

Julie Thomas
08/12/2019

Brésil ; corruption, trafic, violence, criminalité ; vers la fin du cauchemar ?, Nicolas Dolo, Bruno Racouchot, Ma Securite Globale, 7 août 2019, 220 pages, 22 €

Source : Correspondance Polémia

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