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Vers une société dans laquelle le communisme rencontre la Bourse ?

Vers une société dans laquelle le communisme rencontre la Bourse ?

par | 17 mars 2021 | Politique, Société

Par Eric Delcroix, juriste, essayiste et écrivain, auteur de Droit, conscience et sentiments ♦ Professeur de philosophie polonais, Richard Legutko, a publié un ouvrage extrêmement intéressant, dont l’édition française est titrée Le Diable dans la démocratie[i]. Il est regrettable que la traduction française ait été faite à partir de la version anglo-américaine et non pas de l’original en langue polonaise. Dès l’abord, illettrisme ou pédanterie cosmopolite : il est ridicule que ce Richard ait vu son prénom laissé en graphie polonaise de Ryszard ! Et puis des insuffisances éditoriales, pas d’index, pas de notes. Pourtant l’ouvrage méritait mieux.

Le professeur Legutko a connu le régime communiste et, après une brève euphorie libératrice, il a découvert que la soi-disant « démocratie libérale » occidentale débordait de sympathie pour ce frère progressiste déchu… Il écrit : « Il est symptomatique que dans l’histoire des sociétés postcommunistes, les campagnes médiatiques les plus importantes aient été lancées contre ceux qui doutaient des bienfaits d’accueillir les communistes en leur octroyant d’abord l’immunité puis des privilèges » (p. 21). Et, se retournant sur l’histoire du XXe siècle, l’auteur constate, désabusé, que « Même les plus libéraux des libéraux furent très compréhensifs vis-à-vis de l’URSS et du communisme soviétique (…) mais beaucoup ont clairement dénoncés les activités anti-communistes … » (p. 101).

L’ordre moral commun aux communistes et aux libéraux

Contrairement à Jean-Claude Michéa, par ailleurs si pertinent sur la connivence entre l’extrême gauche et le capitalisme, le professeur polonais n’ignore pas l’ordre moral qui fait la force de la démocratie libérale. Même si l’auteur n’utilise pas l’expression « ordre moral », peut être moins familière aux Polonais qu’à nous, à moins qu’elle ne se soit dissoute d’une traduction à l’autre… Il constate (mais s’était bien le cas des communistes soviétiques avant que Staline rétablît un certain ordre familial) l’inversion des paradigmes moraux : « Au fil du temps, l’esprit du démocrate libéral a commencé à ressembler à celui du socialiste, exhibant la même tendance à combiner les langages de la moralité et de la politique … Il n’existe pas de sujets, même triviaux, que le démocrate libéral pourrait évoquer ou discuter sans mentionner la liberté, la discrimination, l’égalité, les droits de l’homme, l’émancipation, l’autoritarisme et d’autres notions afférentes » (pp. 98 et 99). Et, « au fil des dernières décennies … les gouvernements européens … commencèrent à légiférer sur les questions morales, entrant en confrontation ouverte avec les enseignements du christianisme … » (p. 311). Et de conclure là-dessus : « La démocratie libérale, à l’instar du socialisme, présente une tendance majeure à politiser et à idéologiser la vie sociale sous tous ses aspects, y compris ceux qui étaient jadis considérés comme privés. » (p. 335).

Bien sûr, cela emporte destruction de l’ordre ancien, dans tous ses aspects : « la démocratie libérale est considérée comme incomplète et en échec si les écoles y respectent la morale traditionnelle et l’autoritarisme culturel. » (p. 192).

Et c’est bien ce que nous vivons ici et maintenant, avec l’ordre moral anti-discriminatoire, ses organisations internationales (ONU, Union européenne) ses lois, ses juges, sa police, ses médias, ses intellectuels méprisables (« lumpen-intelligentsia[ii] ») et ses délateurs qui sont « comme autant de Pavel Morozov contemporains[iii]» (p. 213).

Vers les mêmes lendemains qui chantent…

Deux régimes, mais un seul et même progressisme. « Le communisme et la démocratie libérale sont deux régimes qui cherchent à modifier la réalité pour le meilleur (…) Tous deux se nourrissent de la croyance selon laquelle le monde tel qu’il va est intolérable et qu’il faut le changer. » (p. 27). D’où la scie commune à tous nos politiciens de conjuguer le verbe réformer à tous les temps et tous les modes…

Si, là hier, ici maintenant, nous sommes en plein totalitarisme, c’est que « Le communisme et la démocratie libérale sont … perçus de l’intérieur comme n’ayant pas d’alternative » (p. 96). Aussi n’y a-t-il pas à proprement parler de liberté de pensée dans un tel système qui ment quant il célèbre le « dialogue », le « débat » et le « respect mutuel ». En effet, note le professeur Legutko  « on peut constater que le dialogue en démocratie libérale prend une tournure fort particulière puisque son unique objet est de maintenir la domination de la pensée unique. » (p. 204). Pas d’alternative !

La soi-disant démocratie libérale qui promet la félicité et les lendemains qui chantent, comme le communisme, a une supériorité redoutable sur le frère soviétique, c’est d’emporter l’assentiment des populations, pour une très large part. L’auteur doit alors admettre, consterné, que là où l’État communiste devait imposer « ses intrusions … par la force …, dans l’État démocratique libéral l’origine de cette intrusion croissante se trouve chez les citoyens eux-mêmes, en tant qu’individus et en tant que membres de groupes aspirant à obtenir des privilèges. » (p. 134).

Le communisme sociétal met l’individu narcissique, libéré des liens familiaux et nationaux, au centre de la société. Il le flatte et, pour s’assurer de son assentiment, le fait s’abîmer dans la frivolité. « Dans le monde contemporain, le divertissement n’est pas simplement un passe-temps ou un style de vie, mais une substance qui imprègne tout : les écoles et les universités, l’éducation des enfants, la vie intellectuelle, l’art, la moralité et la religion (…) Le divertissement ne signifie pas simplement être amusé dans le sens courant du mot, mais vivre et agir selon des règles artificielles qui organisent nos vie, nous fixant des objectifs conventionnels et triviaux … et à tout faire pour éloigner nos pensées des questions existentielles fondamentales. » (pp. 84 et 85).

Au train ou vont les choses, nous sommes en route vers un nouveau (?) communisme, mais un communisme à l’ombre bienveillante de la Bourse…

Éric Delcroix
17/03/2021

 

[i]       Éditions de l’Artilleur, janvier 2021, 22 €.
[ii]      Allusion au propos de Karl Marx, quant à la frange irrécupérable du prolétariat, ou « lumpen-proletariat ».
[iii]     Pavel Morozov aurait mérité une note que j’insère ici. Héros et martyr soviétique, c’était un petit salopard de 13 ans, célébré pour avoir fait fusiller son paysan de père comme « accapareur », avant d’être tué pour cela par sa famille…

Éric Delcroix

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