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Vers une France fracturée ? Deux romans pour anticiper l’avenir

Vers une France fracturée ? Deux romans pour anticiper l’avenir

par | 15 octobre 2022 | Politique, Société

Par Johan Hardoy ♦ Et si la France hexagonale était contestée et menacée ? C’est le sujet de deux livres : La République du Mont-Blanc de Saint-Loup (Éditions Auda Isarn, 334 pages, 22 euros) et Interstices – Tome I – Les Évadés de Juan Molendino (disponible sur Amazon, 180 pages, 10,58 euros). Et si la France « une et indivisible », confrontée aux effets délétères de la mondialisation économique, de l’immigration de masse et du multiculturalisme, finissait par se balkaniser à brève échéance ? À travers la fiction, deux romanciers, d’inégales notoriétés et de sensibilités très diverses, ont envisagé cette hypothèse, le premier en proclamant des convictions régionalistes et le second en décrivant un pays ravagé par ses fractures communautaires.

Saint-Loup (1908-1990), nom de plume de Marc Augier, était un sympathisant socialiste engagé activement dans la Collaboration avec l’occupant allemand. Après-guerre, son œuvre littéraire a notamment abordé des thèmes liés à son engagement passé, à une conception néopaïenne du monde et une célébration des « patries charnelles ». Son roman « La Nuit commence au Cap Horn », qui relate l’agonie d’une communauté indienne de Patagonie victime du prosélytisme protestant, a manqué de peu d’obtenir le prix Goncourt.

Juan Molendino, dont c’est manifestement le premier livre et qui n’a pas encore trouvé de maison d’éditions (avis aux amateurs !), a quant à lui opté pour un récit dystopique afin de décrire ce qui pourrait devenir, dans le courant du siècle, le chant du cygne de la vieille civilisation française. Mais le monde archéofuturiste qu’il décrit recèle pourtant quelques beautés et laisse même la place à l’espérance !

« La République du Mont-Blanc »

À la fin des années 1970, quelques Savoyards, sentant leur territoire menacé, décident de réagir contre la spéculation immobilière, le tourisme de masse et l’immigration pourvoyeuse de main-d’œuvre à bon marché en fondant symboliquement une « République du Mont-Blanc » unifiant la Savoie, le Valais et le Val d’Aoste.
Après avoir organisé quelques actions spectaculaires, les intéressés conviennent de se réunir en association en vue d’organiser un référendum visant à proposer la mise en place d’une collectivité locale séparée de la région Rhône-Alpes. La langue régionale, dite patois de Saxel, serait alors reconnue et son enseignement généralisé.
Leurs homologues italiens se réfèrent quant à eux à un statut d’autonomie promulgué en 1946. Ceux de Suisse, où le particularisme du Valais est déjà formellement exprimé et admis par la Confédération, demandent un référendum sur la question du recours à la main-d’œuvre étrangère.

Quelques mois plus tard, la « République du Mont-Blanc » compte plus de 12 000 citoyens. Devant ce succès, la préfecture finit par dissoudre l’association au motif que les étrangers y sont largement majoritaires.
Un noyau dur décide de poursuivre la lutte dans la clandestinité mais de nombreux adhérents prennent leur distance avec ces radicaux, d’autant que ceux-ci préconisent un mode de vie austère basé sur le retour aux travaux des champs ou à l’élevage en montagne, la scolarisation à domicile ou une stricte endogamie pour les femmes.
Quelques temps plus tard, des actions violentes sont commises à l’encontre d’un promoteur immobilier puis d’un hélicoptère, sans qu’il y ait mort d’homme, suivies par quelques disparitions mystérieuses en montagne. Des défenseurs de « l’esthétique du massif » revendiquent ces actes terroristes, attribués par la presse aux Brigades rouges.

Les années passent… Du fait de l’appel croissant à la main-d’œuvre étrangère, la région compte maintenant quinze mosquées et les ressortissants étrangers ont obtenu le droit de vote aux élections municipales. Par ailleurs, des sectes américaines fortunées se livrent à un prosélytisme ardent, tandis que le clergé local, composé essentiellement d’Italiens originaires du Mezzogiorno, tend vers une intolérance doctrinale. En outre, des tensions sociales conduisent à des échauffourées où la police tire à balles réelles sur des manifestants.
Les militants savoyards ne sont plus que quelques centaines, enfants compris, mais leur volonté de fuir la « tour de Babel » est de plus en plus vive. Ils s’installent donc dans des refuges de montagne situés à plus de 2000 mètres d’altitude. La fortune acquise par l’un de ces membres permet à la communauté de vivre autrement que d’expédients, mais une « sélection naturelle » conduit nombre d’entre eux à renoncer à cause de la rudesse de la vie quotidienne dans les hauteurs alpestres coupées du monde.

Leur « président » déclare aux plus radicaux qu’ils ont le devoir de maintenir la pureté des origines de leur « grande famille » dont les ancêtres étaient des Burgondes et des Wisigoths. Un tribunal est instauré pour légiférer selon des lois orales qui ne distinguent que ce qui est utile ou nuisible pour la collectivité.
Les générations se succèdent et le groupe, qui s’amenuise, est contraint de se réfugier toujours plus haut en altitude et de vivre dans des igloos pour échapper à « ceux d’en-bas ». Cette implantation géographique leur accorde une autonomie de fait car le monde civilisé les ignore. Leur mode de vie ressemble désormais à celui des premiers âges du monde, tempéré seulement par le produit des raids dangereux opérés dans le bas pays par les « riflo-rekulya » (« voleurs-ravitailleurs », en français). Avec la chasse aux chamois, ces prédations leur permettent de se procurer le strict nécessaire pour survivre dans leur réduit alpin.

Saint-Loup, chantre des « patries charnelles », aurait vu d’un très bon œil l’Hexagone se fracturer pour donner naissance à des ensembles régionaux à la fois autonomes et associés dans un cadre européen, une idée quelque peu marginale dans notre pays mais pourtant bien vivace chez ceux qui refusent l’État-nation. En raison d’un rapport de force trop défavorable, les régionalistes évoqués dans le récit choisissent donc la voie de la sécession en préconisant le retour d’une petite communauté à un mode de vie tribal et archaïque.

« Interstices »

En 2092, un septuagénaire prénommé Sylvain profite du temps laissé par un long voyage vers la planète Kepler-452b [à 1402 années-lumière !] pour relater une semaine de sa vie, alors qu’il était âgé de 35 ans. Au-delà de sa propre existence, il entend livrer un témoignage sur le cours de l’Histoire de France durant le XXIe siècle.

En 2058, donc, le territoire national est morcelé entre la « République Réunifiée » qui administre Paris et la moitié de l’Île-de-France, le « Gouvernement de Bordeaux » qui s’étend sur l’Ouest du pays sans être reconnu à cause de ses orientations jugées « réactionnaires », des zones contrôlées par des multinationales étrangères majoritairement américaines et chinoises, des fiefs sécessionnistes occupés par des populations d’origine étrangère et des secteurs épars où prédomine l’anarchie.

La « République Réunifiée » applique un régime répressif validé par une courte majorité de ses habitants, soucieuse avant tout de préserver sa sécurité. En conséquence, les « passespaciens » font obligatoirement l’objet d’un puçage, dit « pass liberté », mentionnant leurs scores écologique, sanitaire et sécuritaire, pendant que des « scanoglobes » tracent et parfois interdisent les déplacements entre les arrondissements de la capitale.
Ce qui était autrefois le périphérique puis la « Ceinture verte » est désormais parsemé de campements insalubres où se sont implantés, une génération plus tôt, des provinciaux se réclamant des Gilets jaunes, bientôt suivis par d’imposantes vagues d’immigrés extra-européens bénéficiant d’aides municipales.
Les conflits violents et récurrents entre les diverses populations ont atteint leur paroxysme durant la « Guerre civile » de 2046-2049, mais la situation menace encore de dégénérer du fait de l’arrivée massive de migrants en provenance du Sahel.

Sylvain cherche donc à quitter son domicile situé à la Porte d’Asnières. Du point de vue professionnel, l’intéressé est complètement désabusé par la façon dont il exerce son métier de professeur d’histoire, d’autant que sa hiérarchie lui ordonne de ne plus aborder des sujets épineux comme la domination musulmane de l’Espagne. Il complète ses revenus en travaillant comme guide pour des touristes chinois friands des lieux de mémoire parisiens qui évoquent pour eux des décors de films ou de comédies musicales. Son patron chinois lui fait d’ailleurs bien comprendre que la France est désormais comparable à un poisson qui se débat à l’air libre…
Durant ses loisirs, Sylvain cherche à se procurer frauduleusement une clef afin d’avoir accès à des informations non accessibles à partir des médias officiels ou de l’internet grand public, qui diffusent en permanence de « l’eau tiède » ou des divertissements abrutissants.

Désespéré par l’état du pays, il se souvient avec amertume des discussions familiales de son enfance, quand son père reprochait à ses proches de rester aveugles aux problèmes engendrés par l’immigration, la montée du communautarisme et l’accentuation progressive du contrôle social des citoyens via les différents pass. Un père qui subissait les railleries de son entourage à cause de ses opinions jugées rétrogrades et extrémistes. Des années plus tard, confrontés aux évolutions politique et démographique du pays, certains reconnaissaient à demi-mots leurs erreurs de jugement mais une majorité se contentait de pérenniser égoïstement des modes de vie contraires à leurs discours progressistes et conformistes.

Un concours de circonstances tragique va pourtant amener Sylvain à rencontrer, à quelques dizaines de kilomètres de la « République Réunifiée », des hommes et des femmes qui résistent encore et toujours pour maintenir le génie de la France dans les « interstices » d’un territoire archipelisé…

Johan Hardoy
15/10/2022

Johan Hardoy

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