Par Françoise Monestier, journaliste pour Présent ♦ Le lendemain même du désastre ayant frappé le monument le plus visité d’Europe, Amazon France annonçait le 16 avril que Notre-Dame de Paris — où un Victor Hugo inspiré décrivait « une grande flamme qui montait entre les deux clochers avec des tourbillons d’étincelles, une grande flamme désordonnée et furieuse dont le vent emportait par moments un lambeau dans la fumée » —, était en tête des commandes de livres. Mais c’est un autre univers, moins prestigieux, et un auteur plus contemporain que nous évoquerons dans cet article.
Les amoureux de Marcel Aymé ont tous lu La traversée de Paris ou vu le film qui immortalise le transport, dans de mauvaise valises de carton, d’un cochon découpé entier et transbahuté, dans le Paris de l’Occupation, par le tandem Gabin/Bourvil grimpant à l’assaut de Montmartre afin de fourguer la marchandise. Le Passe-muraille n’a pas de secret, non plus, pour tous ceux qui rêvent secrètement de ressembler au montmartrois Dutilleul, obscur « employé de troisième classe au ministère de l’enregistrement » mais qui « possédait le don singulier de passer à travers les murs sans être incommodé ». Autant de personnages croqués par Marcel Aymé, que vous pouvez croiser si vous avez le bon goût et la bonne fortune, lors d’une visite à Paris, de réserver une chambre à l’Hôtel Littéraire Marcel Aymé, sur le versant sud de la Butte.
Un amoureux des livres
Un hôtel littéraire, ques’aco, me direz-vous ? Son créateur, le bibliophile Jacques Letertre, est on ne peut plus clair : « J’ai créé la société des Hôtels Littéraires pour partager l’amour des livres avec ces milliers de visiteurs que je ne connais pas, mais qui, je le sais, sont heureux de retrouver un auteur ou un livre au hasard d’un voyage à Paris, à Rouen ou à Clermont-Ferrand. » Entiché de Proust dès son adolescence, cet homme d’affaires qui a longtemps travaillé dans la banque avant de fonder un groupe hôtelier, décide, à l’occasion du centième anniversaire de la parution du célébrissime A la recherche du temps perdu, la création du Swann, son premier Hôtel Littéraire. Il choisit, bien sûr, la Plaine Monceau, le quartier de Proust, et dédie chaque étage de l’hôtel à un lieu mythique de son œuvre, qu’il s’agisse de Bolbec, de Venise ou du Faubourg Saint-Germain. L’édition originale de Du côté de chez Swann est proposée à la vue des hôtes sans oublier l’œuvre complète de l’auteur en libre consultation dans de nombreuses langues dont le japonais, le russe ou le turc. Jacques Letertre pousse même le raffinement jusqu’à offrir aux visiteurs le café venant du torréfacteur chez qui se fournissait Céleste Albaret. Mêmes honneurs, quelques années plus tard, pour Alexandre Vialatte et Gustave Flaubert auxquels Letertre rend hommage en offrant à chacun son hôtel nous permettant ainsi soit une plongée soit dans l’univers flaubertien soit une immersion auvergnate chez celui pour lequel « la méditation de l’éléphant est l’une des plus utiles à l’homme » et qui terminait toutes ses chroniques par un sarcastique « Et c’est ainsi qu’Allah est grand » !
Hommage à un esprit libre
Situé au coin de la rue Tholozé et de la rue Durantin, le troisième de ces hôtels remettant la lecture à l’honneur, vous replonge dans le Paris de Bardamu ou celui de Francis Carco. Le Lapin agile est toujours debout et le musée de Montmartre résiste encore à l’invasion alors que le très voisin quartier de La Chapelle a depuis longtemps cessé d’être celui que décrivait Albert Simonin dans Les souvenirs d’un enfant de La Chapelle. Le ton est donné dès que Bitru pénètre dans l’établissement puisque Le Passe-muraille est là pour l’accueillir. Blondin et Brigneau seraient aux anges : le journal L’Equipe est en bonne place parmi les titres proposés. Côté livres, les bibliophiles peuvent admirer, au choix, tous les romans de Marcel Aymé (édités chez Gallimard) en édition originale ou la biographie imaginaire consacrée à son ami Blondin et publiée en feuilleton dans La Parisienne. Il faut ajouter à cela des reliures d’art signées par les plus grands relieurs. Le lecteur peut à loisir consulter plus de cinq cents ouvrages mis à sa disposition, qu’il s’agisse de textes de Marcel Aymé ou de biographies le concernant et traduits dans quantités de langues. Un seul regret pour moi, aucun livre de Marcel Aymé en grec. Un plan historique – Montmartre des années 50 – permet de marcher dans les pas de Marcel Aymé. L’ascenseur fait la part belle à Gabin et Bourvil qui vous accompagnent dans les étages tandis que, chaque soir, le film de Claude Autant-Lara est projeté dans le bar destiné aux clients.
L’hommage ainsi rendu à Marcel Aymé est avant tout l’hommage à un esprit libre qui sut mieux que quiconque décrire l’atmosphère délétère de l’Epuration dans Uranus ou dans sa pièce La Tête des autres qui eut le malheur de déplaire aux juges de l’époque qui avaient la condamnation à mort facile.
Le temps des copains
Sur les cinq étages de chambres, quatre sont dédiés à Paris, à la Franche-Comté, aux romans et aux contes de celui qui refusa pêle-mêle la Légion d’Honneur proposée par l’Elysée et un fauteuil d’académicien proposé par Mauriac. Marcel Aymé n’oubliait pas que Brasillach, dont il avait pris la défense, avait été fusillé et que Maurice Bardèche menait une vie de paria à cause des oukases gaullo-communistes. Enfin, il entretenait une belle relation d’amitié avec Céline qui fait partie, avec Jean Anouilh, Pierre Mac Orlan, Roger Nimier, Kléber Haedens et Blondin, des amis qui ont une chambre à leur nom dans l’établissement. Inutile de préciser que le seul minibar de l’hôtel est dans la chambre de Monsieur Jadis, une piaule avec un balcon qui domine tout Paris.
C’est bien le moins que l’on doit à celui qui estimait que « l’ignorance dans laquelle la critique et les manuels littéraires » tenaient depuis trente ans Marcel Aymé « relève du scandale culturel ». Même chose pour Kléber Haedens qui avait tiré son chapeau au Franc-Comtois Marcel Aymé dans son irremplaçable Histoire de la Littérature Française et pour Roger Nimier, son ami intime qui, tous les dimanches, l’accompagnait à Meudon rendre visite à Céline jusqu’à la mort de ce dernier en 1961. Tout cela valait bien que tout ce beau monde se retrouvât réuni. Et je suis persuadée que, certaines nuits, Nimier joue les passe-murailles pour aller refaire le monde avec Blondin et les autres, en vidant au passage quelques bonnes bouteilles.
Françoise Monestier
17/05/2019
Source : Présent
Crédit photo : Domaine public