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Trump, wokisme… Quand Le Monde parle à un pays qui ne l’écoute plus

Trump, wokisme… Quand Le Monde parle à un pays qui ne l’écoute plus

par | 19 décembre 2025 | Société

Trump, wokisme… Quand Le Monde parle à un pays qui ne l’écoute plus

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L’entretien publié par Le Monde le 17 décembre 2025 sous le titre « Pour ne pas laisser Trump imposer son récit, il faut multiplier les messages en faveur de l’inclusion », signé Pascal Riché, donne la parole à Michèle Lamont, professeur de sociologie à Harvard. L’exercice est devenu familier : un universitaire nord-américain, investi d’une autorité morale et scientifique, vient expliquer aux lecteurs français les ressorts de la « guerre culturelle » américaine et les moyens d’y répondre. Le ton est professoral, l’architecture intellectuelle impeccable, la conclusion sans surprise.

 

Selon Michèle Lamont, l’offensive menée par Donald Trump et les républicains contre le wokisme relèverait d’abord d’une logique économique. Il s’agirait de maximiser le profit en affaiblissant les universités, les fondations, les médias et les valeurs progressistes qui feraient obstacle à un capitalisme débridé. À cette stratégie cynique, elle oppose une contre-offensive culturelle massive : cinéma, séries, humoristes, castings dits « déracialisés », récits inclusifs répétés jusqu’à produire un changement durable des représentations.

Ce raisonnement incarne avec une grande pureté le logiciel intellectuel d’une élite progressiste arrivée à maturité, et peut-être à épuisement. Il repose sur une certitude fondamentale : celle de parler depuis le sens de l’Histoire. Le discours ne doute pas, ne se corrige pas, ne s’interroge pas sur ses propres effets. Il réduit l’adversaire à une caricature morale et économique, tout en évacuant ce qui constitue pourtant le cœur du problème : la révolte d’une partie croissante de la jeunesse américaine contre ce cadre interprétatif lui-même.

Car cette jeunesse existe, et elle ne correspond guère au portrait idéalisé que Michèle Lamont trace de la génération Z, inclusive, post-méritocratique, indifférente au rêve américain. Une fraction non négligeable de jeunes, notamment masculins, souvent issus des classes populaires ou des périphéries culturelles, ne se reconnaît plus dans les récits inclusifs produits par l’université et l’industrie culturelle. Ils y perçoivent non une extension de la justice, mais une hiérarchie morale inversée, où la culpabilité collective tient lieu de principe organisateur. Que certains trouvent chez des figures radicales comme Nick Fuentes des arguments jugés plus cohérents et plus enracinés n’est pas un accident. C’est le symptôme d’un vide idéologique créé par l’incapacité des élites progressistes à penser le conflit autrement qu’en termes moraux.

L’entretien révèle également une méconnaissance volontaire de l’état réel de l’industrie culturelle. Hollywood, longtemps érigé en fer de lance de l’inclusivité militante, a déjà commencé à acter la fin de cette séquence. Chute des audiences, érosion des recettes, révisions discrètes des lignes éditoriales : les studios ont pris acte du désengagement du public. De nombreux personnages explicitement construits comme porteurs d’un message inclusif ne seront pas reconduits dans les prochaines saisons de films et de séries. Le marché, que Michèle Lamont réduit à une simple ruse conservatrice, a enregistré un rejet massif. La réalité économique, invoquée à charge contre les adversaires du wokisme, s’est retournée contre ses promoteurs.

En France, le phénomène est analogue. Les figures médiatiques associées à la pensée woke, longtemps portées par la visibilité télévisuelle et les plateaux de Quotidien, voient leurs ventes s’effondrer. Jean-Michel Aphatie n’a écoulé que 2 397 exemplaires de son livre dirigé contre Cyril Hanouna. Bruce Toussaint plafonne à 2 783 ventes. Laurence Bloch, ancienne directrice de France Inter, n’atteint même pas les 700 exemplaires. Pendant ce temps, les essais conservateurs et identitaires dominent les classements, sans relais massif des médias dominants. Là encore, la réalité ne polémique pas : elle chiffre.

C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre l’affirmation centrale de Michèle Lamont : « la reconnaissance n’est pas un jeu à somme nulle ». Dans l’abstraction théorique, l’argument séduit. Il s’inscrit dans une tradition sociologique qui, de Axel Honneth à Nancy Fraser, conçoit la reconnaissance comme un horizon extensible, détaché des contraintes matérielles. Reconnaître davantage les uns ne priverait pas les autres. La formule rassure, apaise, moralise.

Elle cesse cependant de convaincre dès lors que l’on quitte le champ des principes pour entrer dans celui des institutions. La reconnaissance ne flotte pas dans l’éther. Elle se matérialise dans des mécanismes précis : admissions universitaires, recrutements, subventions, temps d’antenne, rôles culturels, hiérarchies symboliques. Ces espaces sont nécessairement limités. Accorder une priorité à certains critères revient mécaniquement à en marginaliser d’autres. La reconnaissance devient alors un arbitrage, et non une pure expansion.

C’est précisément là que naît le sentiment de jeu à somme nulle, non par fantasme idéologique, mais par expérience vécue. Lorsque des individus constatent que leurs chances se réduisent non en raison de leur mérite ou de leur travail, mais de leur appartenance jugée trop visible ou trop coupable, ils ne perçoivent pas une extension du respect commun. Ils perçoivent une relégation. Le discours abstrait leur affirme que personne ne perd. Le réel leur démontre l’inverse.

En refusant de penser cette tension, Michèle Lamont ne fait pas preuve d’optimisme, mais d’aveuglement. Elle confond une aspiration morale avec le fonctionnement réel des sociétés. Comme l’avait déjà noté Pierre Bourdieu, tout champ social est structuré par des rapports de force et des formes de rareté. Les nier ne les abolit pas, elles ressurgissent ailleurs, plus violemment.

Il y a dans la publication de cet entretien par Le Monde quelque chose qui ressemble à un appel au secours. Un journal parisien, héritier d’une gauche morale persuadée de son magistère, tente de conjurer un basculement idéologique qu’il ne comprend plus. La conversation demeure feutrée, académique, hors sol. Elle ignore la part tragique du monde, celle qui ne se laisse pas dissoudre dans les récits.

La réalité finit pourtant toujours par s’imposer. La tragédie de la plage de Bondi, en Australie, où le sang a récemment coulé, en est un rappel brutal. Les terroristes eux aussi sont des produits de cette société dite inclusive, qui promettait l’avènement d’une humanité réconciliée par la reconnaissance. La promesse s’est fracassée sur le réel. Celui-ci ne se corrige ni par des castings ni par des slogans. Il revient toujours, tragique, par la violence et la mort. Cette universitaire n’y peut rien. Elle n’est pas démentie par des arguments : elle est condamnée par les faits.

Balbino Katz
19/12/2025

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