Par Julius Muzart, ancien haut fonctionnaire (ER), enseignant en droit public, essayiste ♦ D’une part, je suis insurmontablement bien élevé. D’autre part, même entre adversaires résolus, une des plus solides conventions du débat exige qu’on évite, autant que possible, de traiter son vis-à-vis d’imbécile. Convenons néanmoins qu’il est des cas où c’est difficile à éviter : les propos tenus par certains locuteurs n’offrent guère d’alternative. Et, sauf à trahir tout ensemble son sentiment et la vérité on ne trouve pas d’autre qualificatif approprié à son vis-à-vis que « crétin » ou « abruti », flanqués de leurs auxiliaires accoutumés. La mauvaise nouvelle, c’est que rien n’a mis à l’abri le « monde d’après » de ce virus-là, et que l’avant-garde du monde d’après semble bien malade.
L’actualité des derniers jours, par exemple, nous a laissés deux fois sans autre ressource que le cri de consternation et de rage : « Mais ce n’est pas possible ! Regardez-moi cet abruti ! » Chacun dans un contexte différent et dans l’exercice de métiers distincts. Et pourtant, les propos tenus convergeaient dans le même degré de sottise basique et le même syndrome « d’anosognosie du crétin ».
Nicolas Cadène, la politique de la ville et la mixité sociale
« Mais regardez-moi cet abruti ! », premier épisode :
Nous étions en premier lieu dans la seigneurie du crétin endimanché, professionnel et sûr de lui (et d’ailleurs payé pour ça) sous l’avatar d’un nommé Nicolas Cadène.
Vous vous souvenez peut-être avoir furtivement entendu ce nom rapporté par les antennes comme celui de quelqu’un qui avait failli se faire remercier de son emploi en raison de la complaisance énamourée – mais trop voyante – qu’il vouait à certains proches d’un islam… prononcé.
Il avait échappé à l’opprobre mais c’est un homme gourmand d’éloges. Il n’a donc pas tardé à se remettre sur le devant de la scène. Et bien sûr, pour un coup de maître.
45 ans après le lancement de la tristement fameuse « politique de la ville » où des générations d’irresponsables ont déversé à fonds « perdus-mais-pas-pour-tout-le-monde » des centaines de milliards soustraits à la substance nationale.
Avec pour seul résultat d’alimenter toujours plus vif l’incendie des « quartiers », ceux au profit desquels on dépouille la France sous prétexte de vouloir les apaiser.
35 ans que l’impressionnante (en nombre et en complication technocratique) série de « lois Mitterrand » installait sur un piédestal la farce dénommée « mixité sociale », concept promis dès le départ à rester pour toujours un concept. Le type même d’idée que les forces de gauche adorent. Concept qui a bien tenu ses promesses depuis…
Eh bien, devinez : presque le jour même où la prudente Cour des Comptes se décide enfin à révéler au public ce que les professionnel connaissent depuis 30 ans (savoir : l’ainsi-nommée politique de la ville n’a jamais servi à rien d’autre qu’à garnir des caisses parasitiques et para- politiques), c’est le moment que choisit le citoyen Cadène (président désigné d’une de ces commissions-Théodule qui incarnent si bien la modernité macronienne en renouant avec la 3e République) pour réaffirmer la pertinence du concept de mixité sociale, et en faire la condition sine qua non de la lutte contre le développement du séparatisme !
« Si l’on ne renforce pas la mixité sociale, le repli communautaire se poursuivra ». Interview de Nicolas Cadène sur le projet de loi contre les séparatismes, qui ravive le débat sur la « laïcité à la française ». https://t.co/vPVDDBoWKC via @Lagazettefr
— Labo Cités (@CRDSU_LaboCites) December 3, 2020
Rendons hommage : il fallait oser.
Au moment où il n’y a plus un seul gauchiste de métier pour ignorer que le « séparatisme » soit définitivement, irréversiblement, enkysté dans nos « territoires perdus » qui sont ses « territoires gagnés »…
Au moment où il s’en vante sur la place publique, M. Cadene qui n’a rien vu, rien entendu, rien appris… remet sur le tapis (pardon !) la mixité sociale.
À moins qu’il ne tente de faire croire que l’adjectif « social » ait encore à voir avec la question…
S’agiter à ce point les pieds dans le plat du « tout faux », il n’y a guère de place pour le doute, hélas. Il faut être soit crétin (cf. supra), soit pervers (dans le style de ceux qui se délectent d’odeurs douteuses)… soit les deux à la fois !
Il faudrait peut-être que quelqu’un se dévoue pour expliquer à ce jeune homme sans passé, sans culture et sans lumières que cela fait 25 ans que les professionnels – même ceux qui s’en gargarisaient au temps de la loi Besson (1990) – en sont revenus, archi-revenus du concept de mixité sociale. Les immeubles « exemplaires » de la mixité sociale, aujourd’hui ils sont aussi combustibles que les autres.
Et qu’il faut – tranchons le mot – avoir sa patente de « cretinus simplex » pour continuer à prétendre – pire : à imaginer – que la « mixité sociale » puisse résoudre tout soudain les problèmes qu’elle n’a jamais résolus en 35 ans.
Tout ceci sous bénéfice d’inventaire ça va de soi.
Guillaume Meurice, le mépris rigolard
« Mais regardez-moi cet abruti ! » 2° épisode.
Pas non plus beaucoup le choix face à notre second exemple !
Là ce n’est plus endimanché. Ça tendrait même plutôt vers le vulgaire. Et ne me dites pas, Monsieur, que je prends avec mépris le « parler prolo » : vous n’avez rien des prolos, et les prolos ont leur dignité, eux.
Ce dont il s’agit, c’est de l’ersatz de réquisitoire prononcé par l’humoriste (sic) maison de France Inter.
Dans @sinemensuel de ce mois-ci, je suis un peu grognon. pic.twitter.com/f22Uzdd7dP
— Guillaume Meurice (@GMeurice) December 2, 2020
Le tombereau de choses pas propres qu’il a déversé sur les commerçants des centres villes n’était pas seulement humainement odieux (comment ne pas y sentir l’haleine aigre du jaloux de celui qui aurait été incapable de faire aussi bien). Il était aussi stupide, malséant et inculte, au sens banal.
Monsieur l’humoriste titularisé a jugé à propos de traiter de « losers » les commerçants des centres-villes que des diktats du pouvoir précipitent dans la ruine, et qui, selon M. L’humoriste fonctionnaire de 1° classe (à l’ancienneté) sont bien mesquins de se plaindre, parcequ’après tout ils ont choisi un métier à risque, alors qu’ils assument !
Que M. L’humoriste échelon fonctionnel égratigne des commerçants qui prétendraient empocher les bénéfices et être réassurés contre les pertes, soit.
Mais dans le cas précis, ils en appellent au Prince parce que c’est le Prince, qui par l’exercice même de son autorité leur a sciemment occasionné un préjudice !
Alors, si le prince rase ma maison et que je lui demande réparation, M l’humoriste titulaire va-t-il me traiter de « loser » ?
À mon avis, M l’humoriste titulaire n’a pas vu la nuance. M.l’humoriste est au-dessus de ça. « De minimis non curat morio. » Que peuvent bien lui faire ces détails qu’ il ne connaît pas. Il est un comique, lui. Il est là pour plaisanter : « Qu’ils crèvent ! » Ha Ha ha. Qu’il est drôle !
Mais il y a autre chose que M. l’humoriste ignore.
Dans sa hargne simplificatrice (les choses un peu complexes c’est bien ennuyeux), campé sur sa guillotine à « nantis » comme Ubu sur sa machine (pas de détail, tout le monde à la bascule à Charlot) M. l’humoriste n’a même pas pensé que dans la tourbe des boutiquiers il inclut, qu’il le veuille ou non, cette élite des métiers, ces « trésors vivants », eux qui éprouvaient déjà, sans confinement, les plus vives difficultés à survivre. Monsieur l’humoriste n’essayez même pas de les distinguer des commerçants que vous vilipendez : ils sont la même chair, les fils du même tissu.
De toutes façons vous ne seriez pas capable de les reconnaître.
Superflus sans doute à vos yeux. Et la preuve : tous des métiers non essentiels ! Ébénistes, bronziers, tapissiers, doreurs, sculpteurs, selliers, maroquiniers et cent autres. Et je cite ceux-là parce qu’ils sont les premiers de cordée, mais ceux qui ne sont pas « d’art » portent la même dignité.
Chez tous ceux-là, gageons, Monsieur l’humoriste, qu’il n’y en a pas un auquel vous pourriez vous comparer, sur le plan de la qualité professionnelle mais surtout de la tenue morale, si on en juge par le fiel que vous avez cru malin de répandre.
Et quand on pense, en lisant vos astuces de bistrot, que vous vous croyez peut-être marxiste !
Tout « ça » pour vous, c’est des boutiquiers du centre-ville. Ils ne pouvaient déjà pas vivre avant alors maintenant…
Mais qu’ils ne se plaignent pas hein ? Vous les ignoriez avant, alors maintenant raison de plus. Crevez Losers ! Vous enfourcherez d’un pied de Walkyrie votre trottinette ou votre scooter, vous rentrerez profiter de votre télé chinoise environné de vos meubles IKEA. Et vous oublierez bien vite les vieilleries poussiéreuses du centre-ville en vous félicitant de les avoir invitées à crever
Êtes-vous drôle, quand même !
Julius Muzart
11/12/2020
Source : Correspondance Polémia
Crédit photo : François de Dijonderivative work [CC BY-SA 4.0]