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Se distraire à en mourir, de Neil Postman

Se distraire à en mourir, de Neil Postman

par | 6 mai 2011 | Médiathèque

Se distraire à en mourir, de Neil Postman

Réédité en 2010, ce livre de Neil Postman date de 1985. Il ne prend donc pas en compte le phénomène Internet. Mais sa critique de la télévision reste pertinente. L’information y devient un spectacle qui tue la réflexion. L’âge de la télévision est l’âge du sentimentalisme, c’est-à-dire celui des foules psychologiques, comme disait Gustave Le Bon. C’est aussi l’âge de la mort de la démocratie. Voici la critique de Michel Geoffroy.

Le titre de la réédition de l’ouvrage de Neil Postman, paru en 1985, est trompeur car il traite non du divertissement mais de l’information. Il prolonge en fait les réflexions de Marshall Mac Luhan sur les médias. Pour Postman, en effet, le support qui véhicule l’information n’est pas neutre sur le contenu de celle-ci.

L’auteur distingue sur ce plan trois époques : celle où les informations et opinions étaient avant tout véhiculées par voie orale, celle où elles ont eu pour support l’imprimerie, celle enfin où elles sont véhiculées à distance, qui a été initiée par la télégraphie sans fil et qui trouve son plein développement avec la télévision et ses dérivés. Chaque médium emporte des conséquences particulières sur la nature de l’information et son expression.

L’oral valorise la mémorisation – en particulier par le truchement des proverbes – et la répétition des traditions. Le respect des canons de la rhétorique fonde la véracité.

L’imprimerie valorise un mode d’argumentation démonstratif. En effet, le lecteur dispose de la capacité de prendre du recul pour analyser et critiquer les thèses de l’auteur. La lecture est par nature réflexive. La vérité doit donc désormais se démontrer et la référence aux proverbes n’est plus une preuve suffisante.

L’information transmise électriquement détruit l’espace et le temps, en particulier le temps de la réflexion critique. Elle nous fait entrer dans un monde de discontinuité.

Se fondant avant tout sur ce qui s’est passé aux Etats-Unis, l’auteur affirme que le télégraphe a eu pour conséquence de changer la nature de l’information. Phénomène amplifié avec la télévision.

À l’âge de l’oral et de l’imprimerie, l’information est rare mais utile à celui qui la reçoit car elle repose sur la proximité.

L’information devient un spectacle qui tue la réflexion

L’âge de l’électricité et de la télévision conduisent au contraire à déverser un flot continu d’informations qui n’ont plus aucune utilité, car plus aucune proximité, avec celui qui la reçoit. Avec le télégraphe et la télévision, les Américains ont brusquement accédé à des « nouvelles », puis à des « images » relatives à ce qui se produisait dans tous les Etats de la fédération, puis partout dans le reste du monde. L’information devient un spectacle, qui tue la réflexion car il est essentiellement vide de sens pour celui qui la reçoit. Avant l’âge de l’information instantanée, les Américains étaient de grands lecteurs et cela dans tous les milieux sociaux. Aujourd’hui l’audiovisuel a tué la lecture et a modifié aussi profondément la presse, la publicité, l’enseignement et la politique.

Neil Postman dresse un constat pessimiste sur ce plan : il ne s’agit pas pour lui d’un progrès dans la « transparence » au sein du « village global mondial » mais bien d’une régression. Régression qui s’observe aussi dans le système politique. Les politiciens étaient dans le passé des orateurs et des écrivains : ils étaient capables d’argumenter plusieurs heures d’affilée pour convaincre leur auditoire. La démocratie reposait sur la confrontation publique des arguments.

Les politiciens de l’âge de la télévision sont, eux, incapables d’articuler plus de 200 mots de vocabulaire en moyenne, ne lisent plus, ne rédigent plus leurs discours et se contredisent sans vergogne. Ils ne cherchent plus à convaincre mais seulement à faire bonne impression, bonne image au cours d’une émission, qui ne doit pas en outre être trop longue. L’âge de la télévision est l’âge du sentimentalisme, c’est-à-dire celui des foules psychologiques, comme disait Gustave Le Bon. C’est aussi l’âge de la mort de la démocratie.

De même, au temps de la « réclame » on cherchait encore à argumenter sur la qualité du produit et l’intérêt qu’il y avait à l’acheter. Mais à l’âge de la « pub », on ne vend plus un produit mais une image, sans rapport réel avec lui : comme ces « pin-up » qui font vendre des autos. C’est bien l’intérêt de l’analyse de Postman d’élargir sans cesse la perspective, d’autant que la réalité américaine qu’il décrit nous est familière : c’est la nôtre aujourd’hui.

C’est pourquoi il faut le lire, et donc le méditer, absolument.

Michel Geoffroy
28/04/2011

Neil Postman, Se distraire à en mourir, Nova éditions, coll. Nova documents, septembre 2010, 254 pages.

Michel Geoffroy
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