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Salvini : une bataille de perdue mais pas la guerre

Salvini : une bataille de perdue mais pas la guerre

par | 28 janvier 2020 | Europe, Politique

Salvini : une bataille de perdue mais pas la guerre

Par Marie d’Armagnac, journaliste et auteur de Matteo Salvini, l’indiscipliné ♦ Les élections régionales d’Émilie-Romagne en Italie ont été marquées par une grande hausse du vote pour Salvini dans une région historique de la gauche italienne. Cette hausse spectaculaire n’en a pas moins été insuffisante pour Matteo Salvini qui n’a pas pu remporter cette région symbolique. Mais, pour la journaliste Marie d’Armagnac dans les colonnes du Figaro Vox, si le leader populiste a perdu une bataille, il n’a pas encore perdu la guerre.
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Dans la nuit du 26 au 27 janvier dernier les résultats de ce scrutin tant attendu tombent: la coalition de centre-droit fortement dominée par Matteo Salvini ne parvient pas à emporter la puissante région de l’Émilie-Romagne, qui reste entre les mains de son gouverneur Stefano Bonaccini, membre du Parti démocrate (PD, gauche).

Jusqu’au dernier moment, les sondages évoquaient un coude-à-coude serré entre Stefano Bonaccini et Lucia Borgonzoni, la candidate de la Ligue, mais la peur de la défaite de la gauche, une défaite qui aurait été véritablement historique, a joué dans la forte mobilisation des électeurs. La participation à ce scrutin s’élève en effet à 67,67%, une participation qui est surtout celle de métropoles de la région comme Bologne, Modène et Ravenne et qui dans ce cas précis a été très favorable à la gauche. Sur le plan local comme sur le plan national, beaucoup d’enseignements peuvent être tirés de ce scrutin.

Sur le plan local, les résultats de cette élection montrent la permanence d’une certaine culture de gauche, très implantée dans cette région. Stefano Bonaccini a fait campagne là-dessus, revendiquant son bilan bien plus que son appartenance au Parti démocrate, dont le logo n’apparaissait pas sur les affiches de campagne.

Le mouvement des Sardines a joué en ce sens, en réveillant une militance résolument ancrée à gauche, par une communication qui, si elle n’était pas disruptive – le thème du rempart contre le fascisme s’insère parfaitement dans une dialectique très «politiquement correcte» maintes fois rebattue- était décalée, inattendue et fort bienvenue pour le candidat sortant. Il ne faut toutefois pas négliger le fait que le Parti Démocrate a perdu 10% depuis les dernières élections régionales en Émilie-Romagne en 2014, quand la Ligue passe de 19,4% à 32,1%.

Enfin, la complexité de la loi électorale italienne avec la possibilité d’un vote disjoint- scrutin de liste et vote pour le président de région -a suscité chez le M5S le réflexe du vote utile: selon l’Institut Cattaneo, l’électorat du M5S s’est reporté en masse sur le Parti Démocrate dans les villes de Forli, de Ferrare, de Bologne et de Ravenne.

Sur le plan national, c’est indiscutablement un coup dur pour Matteo Salvini. C’est une première défaite pour le leader de la Ligue: on lui a beaucoup reproché de personnaliser le débat, de vouloir faire de ce scrutin régional un test national. Mais avait-il vraiment le choix de ne pas s’impliquer comme il l’a fait? Le défi qu’il s’était lancé était de taille, et il s’est littéralement jeté dans la mêlée, en faisant une campagne que certains ont qualifiée d’américaine: 300 meetings et réunions publiques, parfois six par jour, en moins de trois mois dans une région qui n’a pas connu l’alternance depuis soixante-dix ans. Ses apparitions ainsi que celles de Giorgia Meloni sur les plateaux de télévision se sont succédé à un rythme effréné. Son objectif était évidemment de continuer à mettre la pression sur Rome: une victoire en Émilie-Romagne aurait fragilisé encore plus la coalition gouvernementale qui souffre déjà d’un manque de cohérence et d’un affaiblissement de l’un des deux alliés, à savoir le Mouvement Cinq-Étoiles.

Sa stratégie reste la même: les conquêtes successives des régions italiennes par les coalitions de centre-droit – le Trentin Haut-Adige en octobre 2018, puis les Abruzzes, le Molise, la Basilicate, la Sardaigne et le Frioul-Vénétie-Julienne en 2019 ont renforcé la légitimité d’une demande de retour aux urnes. Il devient en effet chaque jour plus criant que le parlement n’est plus représentatif de l’orientation politique actuelle de la majorité des Italiens. Pays légal contre pays réel. Dans cette manœuvre symbolique d’encerclement de la capitale italienne, la victoire en Émilie-Romagne devait, selon Salvini, porter un coup sérieux à la crédibilité du Parlement. Il n’en sera rien, en tout cas pas pour le moment.

Le chef du gouvernement Giuseppe Conte n’a pas attendu longtemps pour remuer le fer dans la plaie: évoquant «la défaite de l’homme aux slogans», il a évoqué la possibilité d’élargir la majorité gouvernementale, pour constituer un vrai bloc contre le centre-droit.

Néanmoins cette défaite de Salvini en Émilie-Romagne n’assure en réalité à Giuseppe Conte qu’un répit de courte durée: lors de ce scrutin, le M5S s’est effondré à 4,5% des voix, quelques jours seulement après la démission surprise de son leader, Luigi Di Maio, de la direction du parti. Le M5S, parti à l’origine antisystème, et dont la raison d’être était l’opposition au Parti démocrate, paie, et cher, son alliance avec le PD. Ce virage à 180 degrés n’a pas été apprécié par sa base militante, l’opposition de Di Maio au fondateur du M5S, l’ex-comique Beppe Grillo favorable à un rapprochement avec le Parti Démocrate (gauche) a augmenté la confusion.

Or, le M5S dispose d’une majorité relative au parlement, ce qui justifie sa présence dans la coalition gouvernementale. La faiblesse de son ancrage local ainsi que son incohérence idéologique, défauts structurels du mouvement, n’augurent pas de sa survie à long terme, et cela fragilise évidemment la tenue du gouvernement.

Il y a un autre enseignement à tirer de ce scrutin: l’effondrement du M5S signe-t-il le retour à un bipolarisme de la vie politique italienne? S’il est trop tôt pour le savoir, on peut cependant se poser la question, et surtout y voir, en creux, la possible défaite future de Matteo Renzi, l’autre Matteo. En créant son petit parti Italia Viva il y a quelques mois, il voulait faire de cette émanation du PD l’arme de destruction massive de ce dernier, sur le modèle de ce qu’Emmanuel Macron a fait en France avec le lancement de LREM: prendre la place du PS et le réduire à une formation politique anecdotique. Or, pour le moment il est indéniable, à voir la satisfaction de Nicola Zingaretti, le patron du PD, que ce dernier se maintient à un niveau non négligeable.

Enfin, ces élections en Émilie-Romagne sont emblématiques du nouveau clivage centre-périphérie qui vient, en Italie comme en France, doubler le clivage droite-gauche. En notant bien que ce dernier a évolué: plus qu’une opposition classique entre la droite et la gauche, il s’agit aujourd’hui d’une opposition entre une droite soucieuse de sécurité, d’identité et de souveraineté, et une gauche multi culturaliste et environnementaliste. Dans les manifestations des Sardines, on retrouve les mêmes militants que lors des marches pour le climat.

Enfin, si tous les regards se sont portés sur l’Émilie-Romagne, -et Matteo Salvini a dirigé lui-même les projecteurs sur cette élection, dictant une fois encore l’agenda médiatique-, il faut néanmoins rappeler que la coalition de centre-droit a remporté les élections qui se tenaient le même jour en Calabre. C’est la première fois que la Ligue dont les racines et les origines sont résolument nordistes, aura des élus en Calabre. C’est aussi, a commenté la leader du parti Fratelli d’Italia Giorgia Meloni, le signe que la Calabre, terre du Sud, très enclavée et victime depuis toujours d’une mafia très dure, la Ndrangheta, a manifesté une volonté de changement, de sursaut, à l’opposé d’une mentalité assistentialiste et étatiste qui a été alimentée par l’octroi, par le M5S, d’un revenu de citoyenneté équivalent à notre RSA. Revenu citoyen dont bénéficie largement la population du Sud.

Enfin, les élections qui se sont tenues ce week-end ne sont que les premières d’une longue série: en mai-juin 2020, les électeurs seront appelés aux urnes en Toscane, en Campanie, dans les Pouilles, en Ligurie, en Vénétie et dans les Marches. À ce moment-là seulement, on saura si l’élection d’Émilie-Romagne a constitué un véritable coup d’arrêt à la conquête du pouvoir par le leader de la Ligue, ou bien s’il a su rebondir et tirer profit de cette défaite. Pour l’instant il semblerait qu’il ait perdu une bataille, mais pas forcément la guerre.

Marie d’Armagnac
28/01/2020

Source : Le Figaro Vox

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